L’Université Paris-Saclay sera le plus grand écosystème de recherche en France. Et peut-être bien d’Europe. La première rentrée universitaire vient d’être effectuée *

Les français aiment les comparaisons. Une Silicon vallée à la française, un campus-archipel universitaire, un pôle d’excellence scientifique, une cluster-cité : on aura tout dit sur le modèle auquel référer le projet d’Université Paris-Saclay, au sud de Paris. Toujours ce fichu problème de visibilité avec, en filigrane, l’éternel complexe français de la taille critique : trouver la bonne échelle pour que les synergies recherche, industrie, enseignement supérieur fonctionnent au mieux et figurer dans le Top 15 des meilleures universités mondiales ( Classement de Shanghaï).

Une Silicon Valley ? Il faut voir. La Silicon Valley en Californie compte 3 millions d’emplois, 2 millions d’habitants sur 5000 km2. Le Campus Paris-Saclay, avec ses quelques 650.000 habitants, ne s’étend que sur un territoire de 77 km2, Soit la taille de Paris. Pas mal tout de même.

Le projet n’est pas nouveau. Fort de 60 ans d’histoire, ce site scientifique d’Ile-de France peut se prévaloir de nombreux atouts. Polytechnique, le Centre d’énergie atomique CEA, HEC, le CNRS de Gif sur-Yvette, et la Fac de science d’Orsay, l’AgroParis Tech, les Mines Paris, l’ENSAE, Centrale. Sans oublier le synchrotron Soleil (accélérateur de particules). Le site de Saclay témoigne aussi d’une amorce de dynamique de coopération avec les fameux Réseaux thématiques de recherche avancée comprenant Digitéo, (Sciences de l’information), l’école des Neurosciences et le Triangle de la Physique Palaiseau-Orsay-Saclay. Non négligeable mais pas suffisant pour souffrir la comparaison avec les campus de Stanford ou de Cambridge.

« Depuis plusieurs décennies, les installations se sont échelonnées sans schéma d’ensemble et sans interaction entre les établissements », souligne Dominique Vernay, ex-Pdt de la Fondation de coopération scientifique (remplacé au mois de juin 2015 par Gilles Bloch. NDLR) qui «pilote» le projet. Plusieurs fois, le doute s’est installé sur la faisabilité du projet. Problème de vision stratégique et de gouvernance. 25 établissements aux statuts différents, plus de 230 laboratoires, près de 50 communes, des regroupements géographiques compliqués… pas facile de mettre tout le monde d’accord et parler le même langage. Le territoire est grand, dispersé et les procédures sont compliquées. Sans compter les critiques sur la nature du projet lui-même. Au Conseil régional Ile-de-France, on ne cache pas ses réticences du début. Manque de concertation. « Le plateau de Saclay ne part pas de zéro, soutient Isabelle This Saint-Jean, Vice-pdte du Conseil régional d’Ile-de-France, en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche. La Région a beaucoup investi notamment dans le synchrotron Soleil, les 3 bâtiments de Digitéo Labs et le pôle d’ingénierie ». L’option du Conseil régional était de privilégier la mise en réseau des équipes de recherche sur l’ensemble du territoire plutôt que de miser sur un marketing d’excellence dans un périmètre strict, avec le risque de déséquilibrer le paysage de la recherche . « Tout ce qui renforce la recherche, j’y suis favorable, à condition que ce qui est entrepris ne se fasse pas au détriment des autres lieux d’excellence, ajoute-t-elle. Le plateau de Saclay doit s’ouvrir et aménager sans tarder d’autres espaces: à l’est le Génopole d’Evry, à l’Ouest, le site de Satory où il y a un vrai potentiel d’innovation. Sans compter Saint-Quentin où se trouvent de nombreuses entreprises de recherche ».

« Aujourd’hui, après de fortes oppositions, après un travail intense, le consensus s’est établi », se félicite Dominique Vernay. « Chacun a remisé ses critiques et ses doutes, commente Pierre Veltz, le Pdg de l’établissement public chargé du développement et de l’aménagement (EPPS) sur le site. Le Campus Paris-Saclay n’est plus un sujet clivant car l’opération est lancée. Les patrons des grands organismes de recherche, au premier rang desquels le CEA, le CNRS, l’INRIA, se sont engagés personnellement en sachant entraîner dans leur sillage les grandes écoles et les universités » . Et même l’X, pas forcément enclin à composer, du fait de sa culture militaire, a intégré en bas de son logo la marque « Université Paris-Saclay ». C’est dire !

Sur la table de Pierre Veltz, trois dossiers sont particulièrement lourds : le déménagement des grandes écoles, la mise en place des moyens de transports collectif, la sanctuarisation par la Loi de 2300 ha de terre agricole.
Concrètement, sur le quartier Polytechnique à Palaiseau, les conditions réglementaires de la ZAC sont en place depuis janvier 2014. L’ENSTA (techniques avancées) s’est déjà installée. La livraison de l’ENSAE (statistique) est prévue en 2015. Puis, ce sera au tour de Mines télécoms en 2017. En 2018, devrait s’implanter AgroParisTech. 2500 logements sont prévus dans le quartier. « L’autre quartier du Moulon, sur les communes de Gif-sur-Yvette et Saint-Aubin est actuellement un patchwork qui nécessite une restructuration très profonde » précise Pierre Veltz. Ce quartier incluera 2250 logements. L’école Centrale s’y implantera en 2017, près de Supelec. Puis ce sera au tour de l’Ecole normale supérieure de Cachan. Le projet attribué à l’architecte Renzo Piano sera prêt en 2018. Des grands instituts (mathématique, biologie, photonique) viendront s’ajouter sur les différents sites. Sans oublier la faculté de pharmacie de Chatenay-Malabry. Une grande place est accordée à la Biologie avec le dimensionnement international de l’Institut de Biologie cellulaire I2BC à Gif sur Yvette. Il faudra aussi rénover l’existant, principalement le parc immobilier de l’Université Paris-Sud dont la Fac des sciences d’Orsay

Côté entreprises, des poids lourds de la R&D comme EDF qui vient de poser la première pierre de son futur grand laboratoire pour lequel est prévu 1000 emplois d’ici la fin 2015, rejoindront les pionniers installés depuis plusieurs années déjà (Air Liquide, Thalès, EDF, Ipsen, Danone ou Alcatel-Lucent’s Bell labs, Dassault Systemes, Ipsen, General Electric). Le gros problème, ce sont les transports. Le plateau de Saclay reste un vaste champ, avec planté ici et là, tous les dix kilomètres un établissement. Demandez aux étudiants d’HEC, ils se sentent un peu loin de tout, isolés au milieu des terres agricoles. Ce sentiment d’isolement devrait s’estomper avec l’arrivée de la ligne 18 du métro, confirmé en octobre 2013 par Matignon, qui reliera Paris. « L’objectif est de créer un campus urbain plus vivant et d’assurer la connexion entre les quartiers avec une place importante accordée aux liaisons douces. » conclut Pierre Veltz. Comme tout écosystème, le processus est évolutif. Paris-Saclay est une structure vivante qui doit s’adapter au monde qui l’entoure.

* Ce texte a été précédemment publié dans The Good Life n°13

ITW de Dominique Vernay. Pdt de la Fondation de coopération scientifique

 Quel est l’enjeu d’un tel projet?
Fabriquer une université fédérale avec 19 établissements dont 7 organismes de recherche et 12 écoles sous le chapeau de l’Université Paris Saclay. L’ambition d’ici 2024? Rassembler sur le site 20 % de la recherche française. 48 000 étudiants dont 7 000 doctorants, et 12 000 chercheurs. Devenir la première université d’Europe.

 Comment un tel ensemble est-il « gouvernable » ?
A terme, trois dispositifs seront à l’œuvre.
Un Conseil des membres des 19 établissements. Ce conseil sera consulté sur des points importants tels que le budget ou le règlement intérieur.
Un conseil d’administration avec 26 personnes, des responsables d’établissements des élus de chercheurs et enseignants, deux représentants des collectivités, deux personnes qualifiées, deux membres du monde socioéconomique ;.
Un Conseil académique consultatif de 220 personnes, consulté sur des questions scientifiques, de formation et de la vie du campus .
Aujourd’hui la Fondation a créé un sénat académique interimaire de 150 personnes pour conduire le projet. Le taux de participation qui est de 75% dépasse largement l’engagement prévu. C’est la preuve que le système marche.

 Quel est le budget ?
Sur les 4 Mds au total , 1 Md vient des Investissements d’avenir du Grand Emprunt, 800 millions du Ministere de la recherche et 450 millions du Plan campus. Sans oublier les résultats des ventes du patrimoine immobilier

  Sur le plan de l’enseignement quel est l’enjeu?
Il y aura un diplôme unique pour attirer les doctorants. Un collège doctoral sera lancé à la rentrée 2014. Ce dernier aura la charge de délivrer ces diplômes pour l’université Paris-Saclay, en lieu et place des divers établissements actuels. Nous faisons tout pour qu’ils soient mieux reconnus dans le monde, en veillant à leur insertion professionnelle. Pour des raisons historiques, certains établissements peuvent continuer de proposer un diplôme propre ou coaccrédité avec d’autres établissements.

– A quand l’ouverture officielle de l’université ?
Le recadrement de la Loi de recherche a pris du temps. Et il y a encore quelques détails juridiques à régler. Les statuts sont sur la table. Mais il faudra attendre Septembre 2015 pour la rentrée des cours.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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