Des initiatives se développent pour inventer une pédagogie adaptée afin que les débats sur notre avenir se déroulent dans la construction d’un dialogue serein, la tolérance des points de vue et l’évaluation continue des problèmes posés. Un exemple : le Parlement du futur.

Les nombreux débats sur les grands enjeux du futur qui agitent l’opinion (réchauffement de la planète, crise de l’énergie, nanotechnologies, clonage génétique…) nous montrent que les avis sont très partagés sur les risques à prendre (ou à ne pas prendre) pour y faire face. Trop souvent, ces avis se cantonnent à des arguments tranchés : « no future » ou « avenir radieux ». Scientistes ou obscurantistes s’y adonnent à cœur joie, au gré des fantasmes qu’inspirent les peurs et les illusions.

C’est sur ce terrain des rapports compliqués entre science et avenir, avec en ligne d’horizon le fossé croissant entre science et public, que s’est créé le « Parlement du futur », un rendez-vous annuel, initié par l’association Vivagora. Objectif : identifier et expérimenter les outils démocratiques pertinents pour mettre en cohérence les attentes sociales et les investissements scientifiques et techniques.

« Le Parlement du futur représente une posture nouvelle », souligne Dorothée Benoit-Browaeys, la déléguée de Vivagora. En clarifiant les rôles respectifs, du chercheur, de l’expert et du politique, nous souhaitons distinguer ce qui relève du débat d’experts sur les risques et du débat de valeurs sur les utilités et finalités. Il s’agit de sortir d’une expertise scientifique ou économique impuissante à expliciter les conflits d’ordre politique, souligne le document de présentation de la première réunion du Parlement du futur qui s’est déroulé, au Sénat, le 23 avril dernier.

« Nos calculs, nos modèles, nos programmations de la matière ou du vivant échouent à prévoir l’évolution de la grippe A ou le comportement du volcan islandais, explique Dorothée-Benoit Browaeys. De même les promesses (fin de la faim) adossées au techno-marché sont devenues le plus souvent insoutenables. Nous ne pouvons en rester à des aménagements cosmétiques qui se limitent à courir après un train qui écrase la biodiversité (40% de nos espèces vivantes sont menacées) et notre survie et qui fait enfler les injustices sociales. Nous ne pouvons poursuivre des développements technologiques aveugles à leurs propres dégâts ».

Incertitudes, inquiétudes, peurs, catastrophe… ces mots font partie du vocabulaire courant de notre société quand elle décline le mot progrès ou quand elle doit faire face à des menaces liées au changement climatique, aux pollutions de l’environnement, aux épuisements de nos ressources. A ces mots sont liés ceux de prévision, de précaution, de prévention, de sécurité…mais aussi d’espoir, de confort, de vie meilleure. Les chercheurs, eux, nous rappellent que la science est aussi affaire de risque. Cette confrontation dialectique est nécessaire pour avancer. A condition qu’elle soit maîtrisée. « L’homme et sa sécurité doivent constituer la première préoccupation de toute aventure technologique » estimait Albert Einstein.

Difficile d’établir un dialogue serein sur ces questions. Le Rapport du récent débat national sur les nanotechnologies, débat malmené entre technophiles et technophobes, et qui n’a pas pu se dérouler normalement, mentionne parmi les difficultés rencontrées « l’aspect hautement scientifique des thèmes abordés mais surtout le « véritable problème de communication que rencontre la science ».

Pour Bernadette Bensaude-Vincent, professeur d’histoire et de philosophie des sciences (Université Paris Ouest), présidente de VivAgora :  » il y a un fossé grandissant entre experts et profanes. Situation inconfortable aux yeux de certains, habitués à considérer que les questions scientifiques ne sont pas des « affaires publiques ». L’opinion publique est perçue comme un risque majeur car elle semble irrationnelle, inattendue, imprévisible, capricieuse… Le public s’est résigné à ne pas avoir d’opinion sur les questions scientifiques, à considérer qu’elles ne relèvent pas de la sphère publique ».

Alors comment faire ? Comment mener le dialogue ? La question de la démocratie et de la responsabilité est au cœur de la méthode à trouver. Le philosophe Paul Ricoeur, aujourd’hui disparu, soutient qu’ « une démocratie n’est pas un régime politique sans conflit, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et en outre négociables (…) Sous ce régime, le conflit n’est pas un accident ou un malheur ; il est l’expression du caractère non décidable de façon scientifique ou dogmatique du bien public ». Voilà qui nous place d’emblée dans le vif du sujet, quand on parle de risque et de précaution et qu’on traite de la science.

« Le rapport aux savoirs et à l’expertise suppose le besoin de clarifier les rôles et les pouvoirs », note la déléguée de Vivagora. Edgar Morin nous invite à la métamorphose : inverser le courant, rétablir la confiance, faire du principe de précaution un outil au service de l’intérêt général et des générations futures et non un outil de manipulation au service des lobbies. La vie est ainsi faite, d’évaluation permanente du danger, de la menace, mais aussi du bienfait, de l’avancée. Il y a bien dans ce dialogue une dialectique à maîtriser entre risque et précaution, deux élément indissociables.

Le risque est-il bien contrôlé en France questionne François Rollinger, responsable du service de l’ouverture à la société, à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)? « C’est notre mission qu’il soit le plus faible possible. Mais quel que soit le risque, c’est à la société de débattre collectivement du niveau de risque acceptable en fonction des bénéfices qu’elle attend d’une activité. Et pour cela il est nécessaire de partager nos connaissances, d’associer tous les acteurs à nos évaluations et permettre ainsi à chacun de construire sa propre opinion et d’intervenir dans le débat public ».

Une des questions centrales est de savoir comment assumer notre responsabilité, construire un savoir prévisionnel qui anticipe les risques et nous aide dans nos décisions présentes. Plus les connaissances se développent, plus l’incertitude progresse.

« Le savoir prévisionnel est un savoir, par construction, rempli d’incertitude. Il est en retard sur le savoir faire, il scénarise et ouvre des pistes de prospective. Il est donc par nature incertain. Sa complexité le rend encore plus incertain » explique Roland Schaer, directeur sciences et société, de la Cité des Sciences et de l’Industrie. Aujourd’hui, sur tous les sujets sensibles et globaux (biodiversité, ressources énergétiques, gestion du cycle de l’eau,…), les communautés scientifiques sont invitées à produire des scénarios du futur.

Selon Roland Schaer, « le GIEC a été une tentative de la part des communautés scientifiques, à la demande des politiques, de construire un outil d’élaboration de la responsabilité collective dans la fabrication du futur ». Le consensus du GIEC n’est pas un consensus sur les connaissances scientifiques, mais un consensus sur les dissensus, sur les incertitudes ». Or, ce qui apparaît dans les débats mouvementés sur le sujet, montre que cette incertitude court toujours le risque d’être politiquement instrumentalisée. « Il est très risqué de publier de l’incertitude pour un scientifique. La société et les politiques attendent des certitudes et ce savoir scientifique qui ouvre un espace à la délibération déstabilise. Les scientifiques eux-mêmes sont très gênés par cette position ».

Quant à la prévention, elle ne doit pas être confondue avec la précaution. Quand les risques sont avérés, il est question de prévention. Les évaluer et même savoir s’ils existent est de plus en plus difficile. Dans ce cas, le principe de précaution doit s’appliquer. Est-ce une plus forte prise de conscience des risques possibles, une expérience du passé ou juste l’évolution des technologies qui font que le principe de précaution est de plus en plus sollicité ?

Dans ce climat d’incertitude, une chose est sûre, le dialogue démocratique, difficile à mener est nécessaire pour éclairer l’horizon. S’il n’est pas l’objet d’une véritable attention, la science d’un côté et les citoyens de l’autre risquent de subir longtemps l’inconstance de la décision issue de l’administration.

La charte de l’environnement, puis le début du Grenelle de l’environnement ont été des portes entr’ouvertes sur une autre façon d’envisager le progrès, en alliant l’environnement et le social et en remettant l’économie à sa place. Mais force est de constater que nombre des mesures ( l’instance spécifique de garantie de l’indépendance de l’expertise, gestionnaire éthique des ressources humaines, médiatrice des expertises contradictoires, recours des lanceurs d’alerte (article 52 du Grenelle 1) n’ont toujours pas vu le jour. Faute peut-être de cette vigilance dans le suivi et dans l’information aux publics.

Les initiatives comme « le Parlement du futur », ou comme le Conseil citoyen au sein de l’OPSCT sont des contributions essentielles à la mise en place de ce dialogue. Les médias internet au sein desquels se développent de nombreuses initiatives sur la science et la société, doivent eux aussi contribuer à rétablir la confiance avec la science. Un élément important en matière d’information peut être l’ouverture du site d’informations sur les nanotechnologies, le 1er juin 2011. Ce site est le fruit de la collaboration de l’Alliance citoyenne sur les enjeux des nanotechnologies (ACEN). Industriels, chercheurs, pouvoirs publics, associations, financeurs ou assureurs… la coopération s’impose pour faire vivre l’audace et la précaution en matière de technologies.

Place publique entend jouer pleinement son rôle de « média citoyen » en lançant un Observatoire « Science-médiation ».

Avec un ensemble de partenaires publics et privés, nous sommes en train de mettre sur pied un groupe de réflexion moitié think tank, moitié média, pour favoriser le débat , « Science dans la Société » et lui donner l’ampleur qu’il mérite dans un souci de concertation, de consultation et d’information .

Notre projet consiste à trouver une pédagogie adaptée afin que les débats sur notre avenir et celui des jeunes générations se déroulent dans la construction d’un dialogue serein, la tolérance des points de vue et l’évaluation continue des problèmes posés.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

Le Magazine, Sciences et société

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