La catastrophe de Fukushima impose de relancer le débat sur l’énergie dont la version 2003 ne fut qu’une parodie.

Malgré quarante ans de consensus plus ou moins fragile, la situation du Japon après la catastrophe nucléaire de Fukushima fait rebondir le débat en France. Certes, Nicolas Sarkozy, Président de la République, a réaffirmé que la stratégie énergétique française ne serait pas remise en question. L’argument est économique et de souveraineté nationale. Le nucléaire qui fournit les trois quarts de l’électricité consommée dans l’Hexagone, permet à la France d’atteindre un taux d’indépendance énergétique de plus de 50%, contre 25% avant que les centrales ne soient construites. Mais la cascade de situations incontrôlées dans une centrale exploitées par l’un des plus importants électriciens de la planète (Tepco) dans un pays qui fait partie – avec les Etats-Unis et la France – du trio de tête du nucléaire, oblige à s’interroger sur la légitimité des choix.

Nous sommes dans un contexte où la demande en énergie n’en finit plus de croître. Si on ne considère que la consommation d’électricité, elle a doublé en France en 25 ans. La règle des « trois 20 » (20% d’économies d’énergie, 20% de réduction de CO2, 20% d’énergies renouvelables en plus) à horizon 2020 implique de réaliser des progrès. Mais même en s’en tenant à ces hypothèses, les énergies renouvelables et les économies d’énergie ne permettent, globalement, que de compenser la hausse de la demande dans le cadre d’un bouquet énergétique comprenant… du nucléaire. C’est bien la raison pour laquelle l’atome civil a, jusqu’à présent, trouvé sa place.

L’objectif ne peut consister à prôner un basculement brutal du côté des énergies renouvelables : il serait impossible. En 2009, malgré le développement de l’éolien, l’engouement pour le photovoltaïque et l’importance de l’hydraulique qui reste la première source d’électricité verte en France, la part d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie (objectif de 23% en 2020) est passée de moins de 10% en 2005 à un peu plus de 12% en 2009. Et le Centre d’analyse stratégique (CAS) estime que, à horizon 2020, l’énergie produite par l’ensemble des éoliennes terrestres en France équivaudra à la production de quatre réacteurs nucléaires à laquelle il conviendrait d’ajouter la production de l’éolien off-shore correspondant à 1,5 réacteur. Soit seulement 8% du potentiel nucléaire actuel pour le seul éolien. Même avec l’hydroélectricité qui est à ce jour la principale source d’énergie verte en France (environ 15% de la production totale d’électricité, mais proche de la saturation), les renouvelables sont loin de pouvoir compenser le nucléaire.

Toutefois, tous les responsables politiques s’accordent à reconnaître que l’acceptation par le public du nucléaire civil est une condition nécessaire. Par ailleurs, en France comme dans de nombreux pays, l’Etat reste le garant du nucléaire. Dans ces conditions, la catastrophe japonaise contraint la représentation nationale à rouvrir le dossier de la politique énergétique française, et de la place du nucléaire. Les pistes tracées pour cette filière ont besoin, pour le moins, d’une nouvelle validation. D’ores et déjà, certaines peuvent apparaître dépassées.

Le débat politique est d’autant plus souhaitable que, en 2007, une enquête de l’Observatoire de l’énergie du ministère de l’énergie révélait que la proportion de Français pour qui le nucléaire présentait plus d’avantages que d’inconvénients était en progression, mais elle ne dépassait pas 51%. C’était quatre ans avant Fukushima. On peut parier que la catastrophe japonaise aura poussé nombre de Français à reconsidérer l’apport du nucléaire, ce qui pousse à s’interroger sur l’acceptabilité de cette énergie par l’opinion publique. Toutefois, la pire situation pour avoir une approche lucide, rationnelle et constructive de la politique énergétique consisterait à s’engager dans une guerre de religion sur le nucléaire. La véritable question consiste à savoir comment gérer le bouquet d’énergies déjà mis en œuvre aujourd’hui, et à quel rythme le faire évoluer.

D’autres pays ont déjà réagi à la catastrophe japonaise. Leur réponse n’est pas forcément satisfaisante. L’Allemagne, par exemple, a opéré une volte face. Elle avait décidé l’abandon progressif de cette énergie. Mais pour répondre à ses besoins, elle était prête à reconsidérer sa position et à allonger la durée de vie de ses centrales. Aujourd’hui, toutes les procédures de prolongation des centrales ont été gelées. Mais on doit toutefois se souvenir que l’Allemagne figure parmi les mauvais élèves de l’Europe en termes d’émissions de CO2, qu’elle produit toujours 20% de son électricité avec ses centrales, et qu’elle se fournit à l’étranger en énergie d’origine nucléaire, comme auprès de la Pologne.

Même si la composition du bouquet énergétique est reconsidérée, il n’en faudra pas moins de deux générations pour faire basculer les hiérarchies en matière d’énergie. Du coup, les tenants du nucléaire n’en démordent pas : « Dans quarante ans, les fondamentaux seront les mêmes : il faudra répondre à la croissance de la démographie, absorber la croissance des pays émergents, et gérer l’intermittence des énergies alternatives. On aura toujours besoin du nucléaire ». Toutefois, le sujet est trop sérieux pour qu’on se contente de formules vagues et réductrices. Un débat national sur l’énergie avait été lancé en 2003. Parodie de débat. Qui s’en souvient, d’ailleurs ? Il est temps de le relancer, avec en toile de fond la catastrophe de Fukushima pour que, cette fois, il soit pris au sérieux.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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