L’opinion libre de Denis Ettighoffer n’engage pas la rédaction de Place Publique. Le débat est ouvert.

Voilà quelque temps, un petit nombre d’élus certainement mal informés, mais heureux de faire parler d’eux, interpellaient les médias pour demander une fiscalité spécifique des oeuvres artistiques. A l’occasion, un souvenir m’est revenu.

En 2007, Jean-Pierre Jouyet remettait au président de la République un rapport sur l’économie immatérielle et des propositions pour des évolutions de la politique des patrimoines culturels. A l’époque, quelques élus, dont le sénateur Ralite, s’insurgèrent au prétexte que l’on prônait la marchandisation des oeuvres artistiques. Ce qui veut dire qu’ils s’opposaient aux transactions sur des oeuvres d’art du patrimoine français qui pourraient rapporter au Trésor public bon an mal an quelques centaines de millions d’euros bienvenus pour subventionner de jeunes artistes et des créations nouvelles mais aussi pour gérer un patrimoine culturel devenu gigantesque.

Ce refus, dont je parle des années après, était impressionnant pour deux raisons au moins. D’abord parce qu’il utilisait une dialectique de la diatribe faisant appel aux mannes des artistes sans démontrer grand-chose, sinon le refus de faire « bouger le mulet ». La marchandisation étant la plaie de la création artistique, qu’elle dévoie. Pour ces bien pensants « culculturels » «si la culture est un coût, elle n’a pas de prix ! ». Au final que disaient-ils avec emphase ? Qu’ils trouvaient indécent de faire entrer notre patrimoine culturel dans la sphère marchande afin d’améliorer notre budget. Et cela se traduisait par la volonté de geler tout ce patrimoine culturel afin de ne pas favoriser sa marchandisation. Que je sache, le budget de la culture, donc de l’Etat, ne finance pas que les spectacles de rue, il comprend la gestion, la garde et la maintenance de milliers d’oeuvres qui pourrissent dans un coin en se dévalorisant, qui sont volées ou qui disparaissent. Bref, le mot « optimisation des ressources » ne fait pas partie du vocabulaire des honorables parlementaires qui feraient bien de nettoyer d’abord devant la porte (et dans les entrepôts) de leurs musées qui non seulement ne sont pas ou peu visités mais plombent également nos comptes.

A vrai dire, il devient difficile de suivre le raisonnement de certains parlementaires pour qui la vision d’une politique budgétaire consiste à trouver une poche où prendre des sous et pour qui la politique culturelle française se réduirait en tout et pour tout à l’augmentation des dotations aux spectacles destinés au bon peuple de France. Peut être pourrait-on les encourager à lire l’excellent livre d’alerte d’Emmanuel Pierrat et de Jean Marie de Silguy ; « Museum Connection 1». Une enquête dérangeante sur le pillage de nos musées et la gabegie dans la gestion de nos patrimoines culturels.

Aussi, avant que de vouloir nous assommer d’un impôt, qui serait l’occasion d’une débandade des oeuvres d’arts à l’étranger, je suggère de préférer une maîtrise progressive de la commercialisation des oeuvres détenues pas l’Etat. Déjà que la gestion patrimoniale des bâtiments publics n’est pas un modèle d’excellence, peut être pourrait-on s’intéresser au commerce illicite des biens culturels estimé à 7 milliards d’euros par an. Une meilleure maitrise des stocks et des mouvements, une politique intelligente de vente ou de location des oeuvres d’arts détenues par l’Etat ou les collectivités locales amélioreraient le financement du recollement (archivage et gestion des stocks) des oeuvres en question. Tout immobilisme fera, pour de longues années encore, le lit d’un trafic des 6000 à 30 000 objets volés par an.

*1 First Edition. Avril 2008

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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