La France commence à restituer des œuvres « volées » à leurs pays d’origine. Un mouvement qui devrait être amplifié tant fut massive la spoliation par les pays occidentaux au fil des siècles.

Des manuscrits royaux volés en 1866 près de Séoul par la marine française et détenus par la Bibliothèque Nationale viennent d’être renvoyés en Corée du Sud ; le musée du Quai Branly va organiser en janvier 2012 une cérémonie solennelle de remise de crânes maoris détenus en France, permettant leur retour en Nouvelle-Zélande.
Ces deux évènements, impensables il y a encore quelques années, illustrent un phénomène irrésistible et salutaire : la restitution des pièces archéologiques, objets d’art, manuscrits, squelettes et crânes dérobés ou saisis abusivement pendant des siècles par les pays occidentaux.
Ce hold-up planétaire de peuples vaincus ou sans défense a été particulièrement sensible au 19ème siècle et au début du 20ème. J’ai pu le vérifier dans les pages du Tour du Monde, la grande revue géographique française (1860-1914), dont je me suis inspiré pour Aux Frontières du Monde, Ed. Jean Picollec.
Le constat est accablant : aucune autre publication n’a chroniqué de manière aussi détaillée cette vaste entreprise de spoliation au profit des grands musées européens et américains, menée par d’innombrables archéologues, savants, militaires, voyageurs et autres aventuriers sur les cinq continents.

Opération nocturne à Karnak !

Les exemples abondent. Pour s’en tenir au Louvre et au Proche-Orient, le Tour du Monde raconte par exemple comment Emile Prisse d’Avennes à volé à Karnak, en la démontant nuitamment avant de l’expédier à Paris, la fameuse Chambre des Rois de Thoutmosis III. Ou comment Marcel et Jane Dieulafoy ont berné les autorités perses pour récupérer à Suse les remarquables Frise des Lions et Frise des Archers, soutenus par une canonnière française, le Scorpion, pour libérer les « colis » bloqués à la douane de Bassorah.
En Asie, le Tour du Monde décrit l’assaut brutal qui a permis aux soldats français de s’emparer des manuscrits coréens, tout comme le pillage par les troupes européennes des palais impériaux de Pékin lors de la 2ème guerre de l’opium en 1860 (le « Sac du palais d’été ») ou après la révolte des Boxers (1900). Mais aussi « l’achat » dans des conditions douteuses à un moine taoïste illettré par Paul Pelliot, en 1908, de milliers de précieux documents historiques remontant au 6ème siècle, retrouvés dans un sanctuaire du Turkestan chinois.
En Amérique Latine, les voyageurs et grands « américanistes » français – Jules Crevaux, Henri de la Vaulx, Jules Chaffanjon, Désirée Charnay – ont rarement résisté à la tentation de piller tombes et sépultures, tout comme les « explorateurs » du Pacifique. L’île de Pâques a elle aussi subi ces sinistres déprédations, lors du passage du croiseur français Segnelay en 1877.

De l’inaliénabilité à la restitution

Autant de « biens mal acquis », pour reprendre une expression à la mode, que les grands musées européens veulent « conserver » au nom de la défense du patrimoine mondial et en vertu de l’aberrant principe « d’ inaliénabilité » des collections publiques. Autrement dit : ce qui a été volé est à moi pour l’éternité car la loi m’interdit de le rendre…
Pourtant, un mouvement se dessine et prend de l’ampleur depuis quelques années pour « restituer » ces biens saisis abusivement au long des siècles – comme nous avons dû rendre après Waterloo les milliers de tableaux et objets d’art dérobés par Napoléon en Europe dans le sillage de la Grande Armée.
Il n’est pas question bien sûr de « vider nos grands musées », comme le proclament en poussant des cris d’orfraie les responsables et conservateurs du Louvre ou du British Museum – intransigeants sur les frises du Parthénon réclamées par la Grèce.
Plus simplement, il s’agit de répondre aux demandes légitimes de restitutions formulées dans les cas les plus emblématiques de spoliation du patrimoine culturel ou ethnologique – que ce soit le buste de Néfertiti, des pièces du site de Machu Picchu ou les crânes maoris.
Mais au-delà de la réparation de simples vols – l’Italie a rendu à l’Ethiopie un obélisque saisi à Axoum en 1937 par les troupes d’invasion de Mussolini – ces restitutions répondent aussi à un enjeu plus important d’entente entre les peuples à l’orée du 21ème siècle.


L’image des occidentaux « prédateurs »

Quoiqu’en disent les critiques de la « repentance », l’image des Occidentaux « prédateurs » demeure forte à travers le monde et alimente les rancoeurs. Lors d’une visite à Séoul il y a une dizaine d’années, mes interlocuteurs coréens me posaient tous la même question : « quand allez-vous nous rendre les manuscrits ? ».
Et il suffit de voir avec quelle fierté sont accueillis les objets ou crânes restitués, partout où ils « rentrent au pays », en Namibie comme en Nouvelle-Zélande, pour jauger l’importance de ce phénomène.
Mettons-nous d’ailleurs à la place des peuples spoliés. Imaginons un seul instant nos réactions si de parfaits inconnus avaient débarqué il y a 150 ans sur les côtes de Bretagne ou de Normandie pour y fouiller les tombes de nos grands-parents ou s’emparer de la Tapisserie de Bayeux !

Vers une politique coordonnée

Au-delà des clivages politiques, Nicolas Sarkozy et Jack Lang ont donné l’exemple en organisant le retour en 2011 des manuscrits coréens à Séoul, même sous la forme hypocrite d’un  « prêt » pour calmer la fureur des « conservateurs » des musées français.
Il est temps d’aller plus loin et de mettre en place une politique coordonnée et réfléchie de restitution, une action volontariste et non liée à des pressions ou chantages – l’Allemagne vient de rendre une statue de Sphinx à la Turquie après qu’Ankara eut menacé d’exclure les archéologues allemands du pays.
Une telle politique doit tenir compte, bien entendu, de l’historique des acquisitions et des risques géopolitiques (Afghanistan par exemple).

Dépassant les méfaits initiaux de ses archéologues et explorateurs, la France avait su dès la fin du 19ème siècle mettre en place des structures de protection des patrimoines nationaux – le musée du Bardo à Tunis, les Ecoles françaises d’Athènes et d’Extrême-Orient, sans parler de l’action de Mariette et Maspero en Egypte.

Elle peut, à nouveau, montrer la voie.

Gilbert Grellet

 *Journaliste, écrivain, membre de la Société de Géographie, Gilbert Grellet vient de publier « Aux frontières du monde, la saga des derniers grands explorateurs » (Ed. Jean Picollec) où il retrace, sur la base du « Tour du monde », magazine de voyages, l’épopée des explorateurs entre 1860 et 1914 – de la découverte des sources du Nil (1862) à la conquête du Pôle Sud (décembre 1911).

Au sujet de Jean-Louis Lemarchand

Journaliste économique ayant effectué sa carrière dans la presse écrite (AFP, Les Echos, l’Express, La Tribune, La Revue de l’Energie) et la presse d’entreprise (Vivendi-Universal, Caisse d’Epargne), auteur (en collaboration) d’ouvrages sur l’énergie (Biocarburants ; 5 questions qui dérangent ; Le dernier siècle du pétrole : la vérité sur les réserves mondiales, tous deux aux Editions Technip).

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