La Ligue des Droits de l’Homme et les partis de gauche condamnent le projet annoncé par Xavier Bertrand, ministre du Travail et de la Santé, de la création d’« un fichier unique des allocataires sociaux avant la fin de l’année»

Pour le ministre du Travail, la création de ce répertoire unique répond avant tout à la volonté du gouvernement de lutter contre les fraudes sociales. « Cet outil permettra aux administrations de croiser les données des bénéficiaires et de s’assurer qu’aucun ne touche des aides auxquelles il n’a pas le droit. On saura exactement qui touche quoi. On pourra éviter les doublons et on s’apercevra des incohérences de versement » des prestations (RSA, allocations familiales, arrêt maladie…) a précisé le ministre.

En 2010, les fraudes aux prestations sociales détectées représentent 266 millions d’euros, en hausse de 19 % par rapport à 2009, selon la Cour des comptes. Dans un rapport parlementaire, la mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (Mecss) juge toutefois ces chiffres « insuffisants », estimant que la fraude aux prestations sociales représente en réalité 2 à 3 milliards d’euros pour le régime général. Concernant l’assurance maladie, les abus atteignent 156 millions d’euros.

D’ici la fin de l’année, le Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) devrait recenser tous les allocataires d’aides. Les administrations auront ainsi la possibilité de croiser les données et de vérifier que les bénéficiaires ne touchent pas des aides auxquelles ils n’ont pas droit.

Après les critiques de Laurent Wauquiez sur le « cancer de l’assistanat » et sa proposition de faire travailler bénévolement les bénéficiaires du RSA, ce fichage des allocataires a du mal à passer.

Le président du Nouveau Centre, Hervé Morin, appelle à la prudence pour l’utilisation du fichier unique. «Ficher les plus pauvres à des fins électoralistes ne saurait être une réponse à la détresse de millions de personnes honnêtes qui aspirent avant tout à sortir de la spirale de l’exclusion», a-t-il estimé.

Pour la Ligue des droits de l’homme, cette annonce vise à donner, une fois encore, des gages à la droite populaire, qui en avait fait un de ses thèmes favoris, et au-delà à l’électorat du Front national. « Sous couvert de lutte contre les fraudes, la mesure vise à stigmatiser les plus démunis et les plus faibles comme autant de fraudeurs potentiels, tout en renforçant les instruments d’un contrôle social sans grand rapport avec l’idée de justice sociale, de justice tout court ».

L’ensemble des partis de gauche s’élèvent contre la stigmatisation des pauvres. faisant observer que la fraude aux prélèvements, d’origine patronale, est nettement supérieure à celle qui affecte les prestations sociales

Le porte-parole du Parti socialiste (PS), Benoît Hamon, a fait le calcul : «Fraude aux prestations sociales 2 milliards, fraude des employeurs aux cotisations sociales, 8 à 16 milliards. Le gouvernement fiche les premiers, ignore les seconds», soutient-il. «Le fichage des pauvres, , marque le retour d’une époque que l’on croyait révolue, qui assimile les plus fragiles a des voleurs en puissance et traduit l’obsession liberticide du fichage généralisé de nos concitoyens.» estime pour sa part Marisol Touraine.

Au parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet, souligne qu’ « il faut d’abord lutter contre la délinquance en col blanc avant de ficher nos concitoyens comme des voleurs »

« Cette consternante annonce a lieu au moment même où le Samu social se voit amputé par ce même gouvernement de moyens pour agir. Non seulement on met en danger les plus fragiles mais voici maintenant qu’on les suspecte d’escroquerie » explique-t-on au Parti communiste.
Pour le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), «l’essentiel de la fraude sociale est lié au travail au noir, beaucoup plus qu’à la fraude aux allocations (…) »

Ce fichier unique s’inscrit dans une dynamique de multiplication de fichiers et dans une logique de leur interconnexion, lourde de périls pour les droits et les libertés tant individuels que collectifs.; conclut la Ligue des Droits de l’Homme.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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