*Mohamed Talbi est réputé pour être l’un des plus importants intellectuels tunisiens. Historien, philosophe, il est aujourd’hui l’un des penseurs les plus rigoureux et les plus audacieux de la réforme de l’islam. Il est aussi depuis 1995 membre du Conseil national pour les libertés en Tunisie (ONG non reconnue par le gouvernement Ben Ali) .

L’essentiel a été fait, et merci pour l’équipage qui, à travers vents et marées, a mené notre navire à bon port : le 23 Octobre, pour la première fois dans notre histoire, nous choisirons dans des élections vraiment libres et démocratiques notre destin. La première constitution tunisienne est celle de 1860, la première du monde arabo-musulman ; la deuxième est celle de 1958; et la troisième sera celle de 2011. Ouvrira-t-elle, à plus ou moins long terme, la voie au califat théocratique – la pire forme de tous les totalitarismes — vœu secret de tous les Salafistes quels que soient leurs déguisements démocratiques opportunistes ? Je souhaite que mon pays qui a donné au monde arabe, pour la première fois dans son histoire, la démocratie, lui donne aussi la première laïcité musulmane. Je crois que c’est possible. Je propose donc comme 1er article de la 3ième constitution tunisienne :

« La Tunisie est une république libre, démocratique et laïque. La majorité de sa population est musulmane, de langue majoritairement arabe, langue officielle du pays. L’Etat laïc tunisien garantit pour tous les citoyens la liberté de conscience, de croyance et d’expression, et leur assure un ordre de paix et de coexistence pacifique dans le respect de la loi. »

Pour nous, ce premier article trouve son fondement et sa justification à la fois, primo dans la constitution de Médine, la première écrite mondiale ; secundo dans le Coran.

En effet, le seul obstacle à la laïcité vient exclusivement de la Charia. Or celle-ci n’a aucun fondement coranique. De fabrication humaine et relativement tardive, elle n’oblige aucun musulman en conscience. Seul le Coran oblige. La question exige un long développement qui n’a pas sa place ici. Je me limite donc à un simple constat incontestable. La première Somme consacrée à la Charia est le Kitâb al-Umm, de Shâfi ‘î, mort en 804. Auparavant, c’est-à-dire près de deux siècles durant, les musulmans avaient vécu sans Charia sans se porter trop mal, bien au contraire. Ils peuvent s’en passer de nouveau sans mal, et se porter même d’autant mieux. Sous les pesanteurs de l’histoire, par le hukm al-ridda (la loi sur l’apostasie), inexistant dans le Coran, elle prit une forme terroriste incompatible avec la liberté et la démocratie. Sans Charia tout le monde se portera mieux. C’est dans ce sens que je travaille en tentant de rénover la pensée musulmane, condition sine qua non pour retrouver notre place dans 1′histoire, voire la redynamiser de nouveau.

Venons-en maintenant à la constitution de Médine. Elle fut négociée par le Prophète, en l’an 1 de l’Hégire, entre toutes les composantes sociales de la Cité-Etat, polythéistes, juifs et musulmans. Dans ses 47 articles (trad. fr. Hamidullah), il n’y est nulle part question d’une religion de l’Etat. Elle était une constitution laïque.

Passons au Coran. Il n’est ni un Code ni une Constitution. Il est le Livre de l’Heure, un appel à tous les hommes, partout sur terre, où qu’ils soient, en Orient ou en Occident, pour que chacun d’entre eux fasse individuellement son salut, indépendamment du régime sous lequel il vit. Il garantit à tous les hommes la liberté de conscience : «Pas de contrainte en matière de religion » ; « Ô vous croyants ! Occupez-vous de vos affaires. Ne vous porte aucun préjudice celui qui s‘égare, si vous êtes sur la bonne voie » ; « Si ton Seigneur l’avait voulu, Il aurait fait de tous les hommes une communauté unique. Or, ils ne cesseront jamais de vivre dans la diversité. »

Appliquons ces principes, et nous fonderons une laïcité musulmane, respectueuse de toutes les libertés, des Droits de l’homme, et de la démocratie, garantissant à tous les hommes une coexistence pacifique et fraternelle sur notre planète Terre, chacun vivant librement sa diversité singulière.

* Action Tunisienne qui a transmis à Place Publique cette tribune daté du 7 octobre 2011 est partenaire avec ICE (Initiative Citoyens en Europe) de Place Publique dans l’organisation d’un

grand Débat sur le thème « Tunisie-Europe: la transition démocratique » (voir article) qui se tiendra les 26 et 27 novembre au grand auditorium de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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