En proposant un tour d’horizon complet des fondements, de la réalité et des enjeux de l’économie sociale et solidaire, Muriel Jaouën, journaliste à Place-publique.fr, expose, dans son livre « L’économie sociale: la nouvelle donne », les conditions et les freins d’une alternative plausible à un modèle financier en bout de course.

L’économie sociale et solidaire est tout sauf une abstraction. Pour lui donner corps, ses défenseurs avancent régulièrement un catalogue de chiffres : deux millions de salariés, 10% de l’emploi, un emploi créé sur cinq, 200 000 établissements… Mais l’économie sociale et solidaire, c’est beaucoup plus que ça. L’accolement des termes “économie” et “sociale” cristallise à lui seul la teneur, les enjeux et les promesses de ce qui, par sa désignation même, apparaît comme une économie dans la société, qui ne se restreint pas au seul champ de l’économie, mais investit pleinement les sphères politiques et les lieux institutionnels de décision et d’action, les cercles de réflexion, les laboratoires d’expériences sociales et sociétales, les programmes d’éducation…

Au carrefour des solidarités horizontales et verticales

Après avoir rappelé les fondements historiques et principiels du secteur, ainsi que sa réalité politique, “Economie sociale : la nouvelle donne” en explique les tenants statutaires et en détaille le poids économique, en France, en Europe et dans le monde. Au fil d’interviews, de monographies et de mises en perspective, l’ouvrage balaie l’ensemble du spectre d’une filière protéiforme, où le micro-crédt côtoie les monnaies parallèles, où le commerce équitable inspire les entrepreneurs sociaux, où les territoires revisitent leurs frontières à l’aune de nouvelles coopérations.

L’économie sociale combine de manière intégrée solidarités verticales (accès à l’emploi, au logement, au crédit pour des populations cibles) et de solidarités horizontales (coopération entre territoires, entreprises, filières solidaires), sur un socle commun de principes : solidarité, démocratie, responsabilité.

Capitalisme financier en déshérence

Parce qu’elles se sont construites autour de finalités humaines et non lucratives, parce qu’elles privilégient la durabilité économique sur le court-termisme des marchés, parce qu’elle ne sont ni délocalisables, ni “OPEables, parce qu’elles sont ancrées dans les régions, parce qu’elles résistent mieux à la crise que les entreprises de capitaux, les structures de l’économie sociale et solidaire – associations, mutuelles, coopératives, fondations, entreprises sociales – apparaissent comme une alternative plausible aux modèles fondés sur la financiarisation des échanges, la compétition des organisations, la survalorisation de la performance, l’individualisme dans les comportements, la délocalisation des productions. Bref, l’économie sociale et solidaire pourrait bien être une réponse aux échecs d’un capitalisme financier en déshérence.

Une élite parisienne, mâle et plutôt âgée

Mais encore faudrait-il lever un certain nombre de freins. Muriel Jaouën montre que le secteur doit d’abord rassembler dans son propre camp. Parmi ses deux millions de salariés, combien s’en réclament ? Si elle veut migrer d’une logique d’adhérents vers une logique de promoteurs, l’économie sociale et solidaire, aujourd’hui portée dans sa représentation par une élite parisienne, mâle et plutôt âgée, devra veiller à mieux se connecter à sa base et à mieux en refléter toute la diversité.

Le secteur saura-t-il, au-delà des pétitions de principe, se départir du tropisme statutaire, bousculer les postures sectorielles, en finir avec les débats de clochers ? Acceptera-t-il, au-delà de revendications sincères, d’emmener dans un même projet ses trois familles et leurs limites supposées ou avérées : l’économie sociale (et son institutionnalisme), l’économie solidaire (et son “alrternativisme”), l’entrepreneuriat social (et sa proximité avec l’économie dominante) ?

Subsidiarité, régulation, subversion, adaptation ?

Ni publiques, ni capitalistes, les structures de l’économie sociale et solidaire proposent une “troisième voie”. Mais comme toutes les entreprises, elles doivent se développer et produire de la croissance pour se faire une place dans leurs marchés. Cette mise à l’épreuve leur pose des questions multiples. Jusqu’où leurs valeurs sociales et solidaires sont-elles solubles dans les logiques de la concurrence ?
Doivent-elles n’être que des structures supplétives au désengagement des Etats de leur mission sociale ? Comment gérer les changements d’échelle imposés par le jeu des marchés ? Quelle est leur contribution réelle à la richesse sociale et économique ? Parviennent-elles, au-delà des principes, à générer de véritables dynamiques d’innovation ? Quel doit être leur positionnement par rapport aux institutions économiques : subsidiarité, régulation, compétition, contradiction, subversion, adaptation ?

Pour essaimer de manière significative, l’économie solidaire a besoin de l’engagement de l’ensemble de la société. La solidarité ne se décrète pas, elle prend racine dans les gestes de chacun, dans ses choix politiques, stratégiques, de participation et de consommation. Citoyens, salariés, militants, élus, financiers, entrepreneurs, l’Etat : tous doivent à leur échelle, avec leur moyen, contribuer à l’affirmation et l’efficience d’un modèle à la fois pluriel et cohérent.

“Economie sociale : la nouvelle donne”, Editions Lignes de Repères, avril 2102, 176 pages.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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ECONOMIE, ETUDE

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