La longue nuit polaire, le craquement des glaces, la solitude, le froid du blizzard et les icebergs tranchants…
Restés longtemps inexplorés, les pôles sont devenus en un demi-siècle une véritable « terra scientifica ». Ces énormes réserves de froid que Paul-Emile Victor qualifiait de « déserts absolus » ont une influence prépondérante sur l’ensemble du globe. Ce qui attire les chercheurs ? Certes, il y a la beauté des aurores boréales, avec ses voiles mouvants de lueurs entre le bleu-vert et le jaune, sur fond de ciel sombre, chargé de particules électrifiées et de gaz raréfié. Mais bien sûr, ce n’est pas seulement de sensations qu’il s’agit.

L’Arctique, un mot magnétique !

Son nom vient du grec arktos (ours), d’après les constellations de la Grande et de la Petite Ourse, dont l’étoile polaire est la plus proche du pĂ´le Nord. L‘Arctique est le vestige d’un Ă¢ge glaciaire qui date d’un million d’annĂ©es environ. « Les bulles qui sortent du glaçon portent la mĂ©moire des pĂ´les » Ă©crit le glaciologue Claude Lorius (« Le grand dĂ©fi des pĂ´les». Gallimard. 2007). Et derrière cet « aimant », gĂ®t une bonne part des secrets du changement climatique. Selon Lorius, la glace de mer reflète 90% de la lumière solaire et si cette glace disparait, l’ocĂ©an absorbera les 4/5 èmes de cette Ă©nergie. « La banquise joue un rĂ´le fondamental sur le plan des Ă©quilibres environnementaux » rappelle Jean-Louis Etienne, celui qu’on surnomme le « marcheur des pĂ´les » et qui milite aujourd’hui pour faire de l’Arctique une « zone d’intĂ©rĂªt commun pour la planète ».

L’enjeu est de taille car le rĂ©chauffement climatique est bien lĂ  et l’Arctique en est la première victime. Selon l’OMM, les annĂ©es venant de s’écouler sont les plus chaudes jamais enregistrĂ©es depuis le dĂ©but des mesures en 1861. Les mesures terrestres de tempĂ©ratures rĂ©alisĂ©es au cours du XXe siècle montrent une Ă©lĂ©vation gĂ©nĂ©rale des tempĂ©ratures moyennes. Les diffĂ©rents rapports du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) attestent avec un degrĂ© de fiabilitĂ© de 90% la rĂ©alitĂ© du changement de climat. Les chercheurs constatent une amplification nette du taux de certains gaz Ă  effet de serre dans l’atmosphère et notoirement le dioxyde de carbone (CO2). (Le C02 plus connu sous le nom de gaz carbonique, provient essentiellement de la combustion du charbon et du pĂ©trole. Il met environ 125 ans pour disparaĂ®tre de l’atmosphère).

Cette urgence prend aujourd’hui la forme d’un vĂ©ritable dĂ©fi scientifique. Il s’agit de mieux comprendre l’ocĂ©an mondial qui, par son immense capacitĂ© de stockage, joue un rĂ´le central dans la rĂ©gulation des Ă©changes thermiques de la planète. En effet, « Il existe un lien physique particulièrement fort entre l’état ocĂ©anique et l’état climatique » souligne Jean-Louis Fellous, expert du CNES auprès de l’ESA. Aussi bien, l’OcĂ©an mondial est-il Ă  la fois le grand tĂ©moin des Ă©volutions et le vĂ©ritable chef d’orchestre du climat de notre planète, dont il couvre 70 % de la surface. 

C’est l’étude, d’une part : des glaces, des courants, des températures océaniques, de la salinité et, d’autre part : du cycle du carbone et de la richesse en phytoplancton, qui nous renseignent le mieux sur l’évolution future du « temps ». Ces projets, ces recherches peuvent nous le rendre prévisible. « L’attente du public et des décideurs auprès des scientifiques consiste naturellement en ce qu’ils élaborent un diagnostic aussi exact que possible des paramètres agissant sur le climat et qu’ils en dérivent un modèle prévisionnel concordant avec l’état présent et les observations à venir » souligne Jean-Louis Fellous (op.cit. Conférence).

Le pire est peut Ăªtre Ă  venir. Le taux de fonte de la glace depuis 1979 est dĂ©sormais de 10 % par dĂ©cennie, soit 500 000 km2 par an
Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’Ă©volution du climat, les modèles indiquent que la Terre se rĂ©chauffera de 1,8°C (scĂ©nario B1 : pollution la plus rĂ©duite) Ă  4°C (scĂ©nario A1Fl : pollution la plus forte) d’ici Ă  2100.

Et l’Antarctique ? Que nous dit-il ?

Alors que l’Arctique est un « trou » dans la partie nord du globe, le continent antarctique est un « dĂ´me » » dans la partie sud. Son altitude moyenne est de 2200 mètres, ce qui fait de lui le continent le plus Ă©levĂ© du monde (Le principal sommet culmine Ă  plus de 4000 mètres). Il fait tellement froid que l’air est incapable de garder l’humiditĂ©. Sa superficie est sensiblement la mĂªme que la banquise arctique mais sa calotte glaciaire est 8 fois plus volumineuse. Cet immense dĂ©sert de glace Ă©tincelant, entaillĂ© par de bĂ©antes falaises bleutĂ©es, reprĂ©sente 85% des rĂ©serves mondiales en eau douce. Son Ă©paisseur moyenne est supĂ©rieure Ă  2000 mètres.

L’Antarctique est la dernière grande Ă©tendue sauvage de la planète. Les indices des changements climatiques et de la pollution mondiale y sont donc particulièrement clairs. Jusqu’Ă  peu de temps, les scientifiques considĂ©raient l’Antarctique comme globalement Ă  l’Ă©quilibre, recevant peu ou prou, autant d’eau sous forme de chutes de neige qu’il n’en perdait sous forme d’icebergs. Mais aujourd’hui, les glaces de l’Antarctique ne seraient pas en meilleur Ă©tat que celle du jumeau de l’hĂ©misphère nord. Le continent blanc n’échapperait pas Ă  la rĂ©cession. En tĂ©moigne la rupture de grandes plates-formes de glace en PĂ©ninsule ces dernières annĂ©es. Il perdrait plus de glaces qu’il n’en fabrique.

Le risque de ralentissement des courants marins,

Les faits sont lĂ , ça tangue dans les pĂ´les ! A cause de cela, nombre d’experts avancent le risque de ralentissement des courants marins, voire de disparition de certains d’entre eux. D’autres mettent en Ă©vidence la grande variabilitĂ© d’une annĂ©e sur l’autre de leur salinitĂ© et de leur tempĂ©rature. La climatologie n’est pas une science exacte et on commence tout juste Ă  cerner les mĂ©canismes de l’influence de cet acteur essentiel du climat, les courants marins, sur l’atmosphère.

Une petite explication est utile pour comprendre la manière dont bougent les eaux des océans. La circulation océanique s’organise en deux types de courants marins principaux : l’un Horizontal, l’autre Vertical.

 Dans le premier type de courant (Horizontal ou courant de surface), on trouve, d’une part, le puissant Gulf Stream, rĂ©gi principalement par les vents alizĂ©s chauds, qui remonte vers le nord, et d’autre part, le courant descendant du Labrador. Ce courant froid du Labrador provient de l’ocĂ©an Arctique, il charrie les icebergs des rĂ©gions Arctiques vers Terre-Neuve, puis descend le long des cĂ´tes canadiennes et amĂ©ricaines, isolant celles-ci des eaux d’origine tropicale. Il vient enfin converger avec les eaux du Gulf Stream. NĂ© de la rencontre entre le courant de Cuba et le courant de Floride, le Gulf stream, occupe une place centrale dans les flux ocĂ©aniques et pour le climat. Il maintient la douceur des climats de l’Europe occidentale. C’est un vĂ©ritable fleuve, de plusieurs dizaines de kilomètres de large (entre 100 et 150km) et de 800 Ă  1200 m de profondeur, qui s’Ă©coule, emportant avec lui les eaux chaudes des Antilles. Remontant vers le nord puis obliquant vers l’est, il forme des mĂ©andres qui se sĂ©parent peu Ă  peu du courant principal. Ce phĂ©nomène produit des tourbillons qui le ralentissent et le diluent. Plusieurs jours ou plusieurs semaines plus tard, les eaux pacifiĂ©es devenues plus salĂ©es Ă  la suite de l’évaporation, arrivent du cĂ´tĂ© de la Norvège, rĂ©chauffant au passage l’Europe occidentale, tout en se refroidissant de 25° Ă  2° C. En arrivant au pĂ´le Nord, ces eaux de surface, se densifient et plongent Ă  pic au fond des ocĂ©ans. Ainsi, si l’on jette une bouteille Ă  la mer aux Bahamas, cette dernière pourra faire un pĂ©riple dans n’importe quelle direction pendant une journĂ©e et prolonger cette valse hĂ©sitation pendant plusieurs semaines. Mais quand bien mĂªme elle aura tergiversĂ© plusieurs fois, son dĂ©placement moyen se fera vers la longitude du Groenland.

Le fonctionnement du second type de courant est vertical. On la qualifie de «circulation thermohaline». (La circulation thermohaline est une circulation cyclique des courants dans l’ocĂ©an mondial liĂ©e Ă  la tempĂ©rature et Ă  la salinitĂ© des masses d’eau. Celles-ci, refroidies et salĂ©es, donc plus denses, plongent très en profondeur au large de la Norvège et du Groenland. Elles sont rĂ©chauffĂ©es dans les Tropiques, et remontent alors Ă  la surface, oĂ¹ elles se refroidissent Ă  nouveau, et ainsi de suite…). Elle est plus complexe et difficile Ă  mesurer. Il est mis en mouvement par les diffĂ©rences de tempĂ©rature (l’eau froide est plus dense que l’eau chaude) et de salinitĂ© (plus l’eau est salĂ©e plus elle est dense). En fonction de cela, il va des profondeurs des ocĂ©ans vers la surface puis redescend vers les profondeurs. Lorsque le courant horizontal charrie de l’eau dense au-dessus d’une couche qui l’est moins, cette eau de surface s’oriente alors vers le fond et active un courant vertical. Un phĂ©nomène d’hyperdensitĂ© intervient en hiver. Sous la banquise, l’eau ingurgite encore le sel expulsĂ© par les cristaux de glace en formation. Trop lourd Ă  supporter ! Alourdie par le sel, l’eau coule, littĂ©ralement, dans les abysses. Il est important de comprendre que cette plongĂ©e des eaux profondes est en lien direct avec les eaux de surface. Elle a une fonction de pompe aspirante.

Le ralentissement du Gulf Stream ?

L’histoire nous apprend que durant la dernière ère glaciaire, les courants ont connu d’importantes modifications, en particulier le Gulf Stream. Le dernier ralentissement date d’il y a 8000 ans. La cause de ces anomalies de circulation a Ă©tĂ© le plus souvent due Ă  une phĂ©nomĂ©nale rupture des couches de glace dont les blocs ont Ă©tĂ© emportĂ©s par le courant. Cela s’est produit au Groenland et au nord du Canada. La consĂ©quence a Ă©tĂ© un apport massif d’eau douce dans l’Atlantique, provoquant l’arrĂªt de la plongĂ©e des eaux de la mer de Norvège. Par voie de consĂ©quence, cet Ă©norme supplĂ©ment d’eau douce a empĂªchĂ© le moteur aspirant des courants profonds de jouer son rĂ´le. Il s’est trouvĂ© mis au ralenti. Par enchaĂ®nement, le ralentissement du Gulf Stream a, Ă  son tour, provoquĂ© en quelques dĂ©cennies seulement une chute des tempĂ©ratures en Europe et sur la cĂ´te Est des Etats-Unis (5 Ă  6°C de baisse de la moyenne annuelle), ainsi qu’une division par deux des prĂ©cipitations.

Aussi bien, la fonte des glaces actuelle et la dĂ©rive des icebergs au PĂ´le nord, et le fait que ce phĂ©nomène se soit dĂ©jĂ  produit dans l’histoire, fait-il craindre Ă  certains un nouvel Ă©pisode de ralentissement du Gulf Stream. Le dĂ©bit du principal moteur du Gulf Stream, en mer de Norvège, a ralenti de 2 Ă  4 % par an depuis une dizaine d’annĂ©es. L’étĂ© 2008 a connu une vĂ©ritable dĂ©bĂ¢cle des morceaux de banquise. Telle la rupture du plateau de glace Markham qui s’est dĂ©tachĂ© au dĂ©but du mois d’aoĂ»t de la cĂ´te de l’Ă®le d’Ellesmere dans l’extrĂªme nord canadien, zone dans laquelle la tempĂ©rature a augmentĂ© en moyenne de 2 degrĂ©s Celsius au cours des cinquante dernières annĂ©es. D’une superficie de 50 km2, ce plateau dĂ©rive dans l’ocĂ©an Arctique. En 2005 une plateforme de 66 km2, « l’Ă®le de glaces Ayles », avait dĂ©jĂ  rompu avec l’Ă®le d’Ellesmere. Une autre plate-forme glaciaire, le plateau Serson a perdu, durant l’étĂ©, deux vastes blocs Ă©quivalents Ă  60% de sa surface, soit 122 km2. Un peu avant, en juillet, le mouvement avait Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ© par la dĂ©sintĂ©gration de la plateforme Ward Hunt qui a vu se sĂ©parer deux plateaux de glaces qui se sont eux-mĂªmes brisĂ©s en multiples archipels d’icebergs.

DĂ©sormais, un seuil est atteint. Les plateaux qui se reconstituaient en hiver après les fontes d’Ă©tĂ© ne peuvent plus continuer Ă  exister et ils se cassent. Les eaux de l’Atlantique nord n’en finissent plus de se diluer avec l’apport supplĂ©mentaire de quelques 15 Ă  25 000 kilomètres cubes d’eau non salĂ©e issus de la fonte des glaces. Un des grands responsables de cette dĂ©bĂ¢cle serait le groupe des six grands fleuves sibĂ©riens ! En effet, le rĂ©chauffement terrestre fait davantage pleuvoir sur la SibĂ©rie. La majoritĂ© de ses eaux douces se retrouvent en Arctique. Des climatologues allemands indiquent qu’un changement relativement faible du bilan eau douce-eaux salĂ©es (pluies, dĂ©bit des fleuves, Ă©vaporation, formation de glace) occasionne des variations importantes. Ces Ă©pisodes ne font que renforcer le pessimismede certains chercheurs qui estiment Ă  1/3 depuis 50 ans la rĂ©duction du dĂ©bit du Gulf Stream. Au vu de tous ces Ă©vènements, certains experts vont jusqu’à se demander si ce grand tapis roulant du Gulf Stream ne va pas disparaĂ®tre. Un rapport confidentiel du Pentagone, datant d’une dizaine d’annĂ©es, a jetĂ© un grand froid dans la communautĂ© scientifique. Le document indique que la circulation des courants marins de l’Atlantique nord, dont le Gulf Stream, qui nous assure un climat tempĂ©rĂ© en Europe, pourrait se mĂ©tamorphoser vers 2010. Ă€ la clef, rien de moins qu’un nouvel Ă¢ge glaciaire des deux cĂ´tĂ©s de l’Atlantique, des sĂ©cheresses Ă©parses et des famines aux quatre coins du globe.

Les océans et le CO2

La rĂ©duction des Ă©missions de dioxyde de carbone (CO2) est l’un des principaux enjeux de la lutte contre le changement climatique, nous dit le GIEC. Et l’ocĂ©an mondial n’est pas Ă©tranger Ă  cette affaire. GrĂ¢ce aux campagnes polaires, on sait aujourd’hui que le climat se radoucit deux fois plus vite au pĂ´le Nord que sur le reste du globe. Les rĂ©gions arctiques forment une zone clĂ© pour le cycle du CO2, et pour les Ă©changes de gaz (vapeur d’eau et gaz carbonique) avec l’atmosphère. L’ocĂ©an austral qui borde le continent antarctique est Ă©galement le plus important puits de CO2 de la planète. Mais il est de moins en moins capable de tenir ce rĂ´le. La comparaison entre les teneurs relevĂ©es depuis 25 ans et les donnĂ©es fournies par les modèles numĂ©riques montrent que l’ocĂ©an ne parvient plus Ă  absorber autant de gaz carbonique qu’auparavant.
Il est clair que beaucoup de choses se jouent Ă  la surface de l’eau. La surface Ă©clairĂ©e de l’ocĂ©an, constituĂ©e par les premières couches des eaux ocĂ©aniques (entre 30 et 120 mètres), remplit un rĂ´le majeur dans l’absorption du gaz carbonique de l’atmosphère. Puis elle l’entraĂ®ne vers les profondeurs oĂ¹ elle le stocke. Ce processus est le rĂ©sultat du jeu de la photosynthèse. GrĂ¢ce Ă  la chlorophylle qui permet aux plantes d’’utiliser l’énergie du soleil, le phytoplancton fabrique la matière organique. Il absorbe ainsi 30% du gaz carbonique que nous rejetons. En proportion plus importante que les vĂ©gĂ©taux terrestres, il contribue Ă  la fixation du CO2.

Au cours des 200 dernières annĂ©es (depuis le dĂ©but de l’ère industrielle), les ocĂ©ans ont ainsi englouti et stockĂ© le tiers du gaz carbonique produit par les activitĂ©s humaines, soit 120 milliards de tonnes. Chaque jour, plus de 25 millions de tonnes de gaz carbonique se combinent avec l’eau de mer. Ce processus limite en temps normal le rĂ©chauffement de la planète. La difficultĂ© est que ce plancton est formĂ© d’un ensemble de plantes marines microscopiques, trop petites pour Ăªtre visibles Ă  l’œil nu. C’est la couleur de l’eau, grĂ¢ce Ă  la chlorophylle qu’elles contiennent, qui nous rend perceptibles ces microplantes. Heureusement, cette coloration de l’eau est visible par satellite. Mais malheureusement, cette couleur est sombre au sens propre et au sens figurĂ©. Depuis 2001, l’ocĂ©an semble avoir une crise d’indigestion. Les instruments qui mesurent les Ă©changes gazeux entre l’atmosphère et la mer ne sentent plus rien. L’ocĂ©an semble arriver Ă  saturation.

Que dit la cartographie spatiale des océans ?

Elle observe une désertification des micro-algues. La superficie de cette « désertification » marine, visible en taches plus sombres sur la planisphère a connu, lors de ces dernières années, une expansion de 15%. Elle augmente notoirement en Atlantique nord et sud et dans le Pacifique nord et sud. Comment expliquer cette désertification du plancton végétal? Les océanologues et climatologues pensent qu’elle est causée par la température des eaux de surface. Plus la température de l’eau de mer croît, moins l’activité de la photosynthèse est forte et moins naturellement le CO2 est soluble dans l’eau. Plus, les couches océaniques de surface qui profitent de la lumière du soleil sont chaudes, moins elles se mélangent aux eaux des profondeurs qui elles sont froides, comme on l’a vu précédemment. Or, cet apport d’eaux froides est absolument nécessaire à la croissance du phytoplancton. En effet, ce sont les eaux profondes qui, poussées par les courants marins, ramènent vers la surface les nutriments utiles à la vie du plancton. Les scientifiques ont remarqué en outre un important décalage entre les modèles théoriques qui ont prévu l’agrandissement de ces déserts océaniques et les observations concrètes qui, elles, montrent que cette expansion est dix à vingt fois plus importante que prévu.

Certains chercheurs se demandent du coup si on n’a pas surestimĂ© la quantitĂ© de carbone fixĂ© par les microalgues. Les mesures effectuĂ©es amènent Ă  relativiser cette contribution dans une proportion d’environ 40%. Mais cela reste Ă  vĂ©rifier. Faut-il attribuer cette surestimation Ă  des facteurs non encore Ă©tudiĂ©s par les chercheurs ou bien faut-il incriminer une aggravation du rĂ©chauffement du climat ? Les spĂ©cialistes de la photosynthèse de l’UniversitĂ© Stanford aux Etats-Unis et du CNRS en France, ont dĂ©couvert qu’une part importante de la masse chlorophylienne prĂ©sente au cÅ“ur des ocĂ©ans n’est pas associĂ©e Ă  la fixation du carbone mais Ă  une photosynthèse « cyclique » qui dĂ©gage puis consomme de l’oxygène chercheurs de l’IRD ont aussi leur petite idĂ©e. Ils pensent que, au lieu de descendre, une partie du flux de carbone resterait Ă  la surface sous forme de bouillon biogĂ©nique et alimenterait la faune qui s’y trouve. Encore mal connu, ce bouillon est soumis Ă  l’influence directe des courants de surface qui l’entraĂ®nent vers des zones ou des grandes masses d’eau se rencontrent et oĂ¹ s’accumulent les dĂ©bris flottants de la vie marine et les organismes qui s’en nourrissent. Une aubaine pour les poissons. Et… pour les pĂªcheurs ! Par exemple les thoniers. Ces incertitudes incitent Ă  amĂ©liorer toujours et encore les conditions d’observation de la mer.

Une des questions posĂ©es par les chercheurs de l’IRD est la propriĂ©tĂ© optique de cette soupe flottante dont la couleur est assez proche du pigment vert de la chlorophylle. Ne fausse-t-elle pas le système de calcul par satellite qui s’appuie prĂ©cisĂ©ment sur ces donnĂ©es de couleur pour Ă©valuer la concentration en chlorophylle et donc celle du plancton vĂ©gĂ©tal ? Ainsi, certaines grandes quantitĂ©s de chlorophylle dĂ©tectĂ©es dans ces zones de rencontres des grandes masses d’eau correspondraient en rĂ©alitĂ© Ă  des dĂ©bris flottants. Autre piste d’interrogation soulevĂ©e par les chercheurs : « l’accumulation de ces micro-organismes et de ces dĂ©bris flottants est susceptible d’influencer l’absorption du gaz carbonique par l’ocĂ©an. En effet, les Ăªtres vivants de l’écosystème des premiers centimètres aquatiques respirent et produisent du CO2. Dans ce cadre, l’existence d’un excĂ©dent de gaz carbonique juste sous la surface pourrait remettre en question les mĂ©thodes d’estimation de la quantitĂ© de carbone, absorbĂ©e par l’ocĂ©an ». La capacitĂ© des ocĂ©ans Ă  capter et stocker le gaz carbonique serait donc compromise. Le risque c’est que les ocĂ©ans larguent dans l’air le CO2 qu’ils piègent depuis des siècles. La consĂ©quence serait nĂ©faste. Cela aggraverait le rĂ©chauffement climatique. Ce cercle infernal rĂ©duirait Ă  nĂ©ant les efforts de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă  effet de serre. Ces hypothèses sont Ă  manier avec prudence. Tout reste encore ouvert Ă  l’étude dans les milieux marins. Car paradoxalement, les propriĂ©tĂ©s de l’eau de mer en surface sont moins bien connues que les eaux en profondeur. Ne serait-ce que parce que « les premiers centimètres de l’ocĂ©an, soumis aux remous des navires ocĂ©anographiques et au mĂ©lange que cela induit avec les eaux plus profondes sont plus difficiles Ă  prĂ©lever et Ă  analyser ».

Comprendre le mécanisme océan/climat

Les annĂ©es Ă  venir devraient Ăªtres dĂ©cisives dans la comprĂ©hension du mĂ©canisme OcĂ©an/Climat. De grands dĂ©fis scientifiques sont lancĂ©s. Ils permettent de mieux comprendre les ocĂ©ans pour mieux protĂ©ger la planète. L’impulsion Ă  la recherche polaire donnĂ©e devrait permettre d’affiner les mesures et de mieux prĂ©voir les fluctuations du thermomètre d’ici Ă  2100. Selon le scĂ©nario le plus optimiste du Giec, il serait possible de juguler le rĂ©chauffement. Mais il faudrait pour cela que les Ă©missions de gaz Ă  effet de serre (GES) relatives Ă  l’activitĂ© humaine plafonnent avant de dĂ©croĂ®tre. Cet objectif requiert un effort exceptionnellement rapide et vigoureux de la part de la communautĂ© internationale.

* Cet article est extrait du livre « la mer, le prochain défi » par Yan de Kerorguen, aux Editions Gutenberg Science

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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