30 décembre 2008

La mer en danger

L’atmosphère se réchauffe, la banquise fond, le niveau de la mer monte, les courants marins se dérèglent, les cyclones s’intensifient, des espèces disparaissent, la surpêche explose, la biodiversité se réduit à un train d’enfer, et les ressources naturelles diminuent comme peau de chagrin…

Et maintenant ? La question est insistante : comment protéger les océans de l’exploitation en toute impunité de ses ressources et éviter que la mer ne se transforme en poubelle ?

Le défi écologique est le plus urgent des défis de la mer. Il est le défi de la conscience des risques que la pollution fait courir à l’humanité, le défi de la lucidité pour agir au mieux et rapidement.
Soyons clairs : le transport maritime est à l’origine d’environ 15% des émissions de CO2 dues au transport et à moins de 4% de l’ensemble des émissions d’origine humaine. Chaque année l’océan reçoit près de 7 millions de tonnes de débris venant de la terre, transportés par le vent et les cours d’eau. 90 % de notre pollution finirait dans les océans ! 80% de la pollution marine est d’origine terrestre. Les quelque 60 000 navires en circulation sont également responsables de 10 % des émissions de dioxyde de soufre et d’azote, les gaz polluants des pluies acides. Bref la mer est en train de devenir une gigantesque poubelle à ciel ouvert .

Eaux usées, dégazages massifs, containers nucléaires, sacs plastiques, bouteilles, ordures ménagères et pesticides agricoles pullulent et menacent les écosystèmes marins faisant de nos océans une véritable déchetterie, toxique pour l’environnement.

Enfin, on ne s’étonnera pas de voir figurer au premier rang des menaces mentionnées , le réchauffement climatique, qui inquiète encore davantage les jeunes (54 %) selon un sondage publié le 9 juin 2008 par le magazine Femme. Ce phénomène, dont on mesure chaque jour, avec un peu plus d’effroi, la gravité, est véritablement le symbole de nos craintes pour des lendemains incertains. De même que la mer reste le symbole de la fragilité des équilibres de notre planète.

On voudrait tous que la « grande bleue » le reste. D’après une cartographie des problèmes prioritaires menée auprès de mille scientifiques (Futuribles, Jacques Theys , « Environnement : les problèmes prioritaires ») les principales priorités à résoudre sont ; la pollution des mers et du littoral : (52%) ; la dégradation des paysages côtiers par le tourisme et l’urbanisation mal contrôlée (27%) ; la surexploitation des ressources marines (21%). L’enquête mentionne toutefois dans ce domaine un déficit évident des connaissances fondamentales.

Est-il encore possible d’inverser la tendance et de préserver les ressources marines en les gérant de manière durable ? Le pessimisme est de rigueur. Car le constat est cruel.

Quand on parle de pollution, l’opinion retient presque toujours les marées noires. C’est le souvenir frappant de naufrages spectaculaires et l’image désolante de plages tapissées de pétrole et d’oiseaux mazoutés qui nous rappellent à la fragilité des océans.

Certaines dates restent gravées dans nos mémoires. En particulier celle du 18 mars 1967. Le jour où le pétrolier libérien Torrey Cayon échoue près des îles Sorlingues répandant son pétrole sur les côtes britanniques et françaises.

Cet événement fait découvrir au nations une risque jusqu’alors négligé. Cette marée noire très médiatisée provoque la prise de conscience du public. Les états se décident enfin à mettre en œuvre des mesures de protections et préventions : ce sont les fameuses Conventions de protection du milieu marin.

Malheureusement, ce naufrage n’est que le début d’une longue série de marées noires. Argo Marchant, Amoco Cadiz, Atlantic Empress, Tanio, ces noms sont de triste mémoire.

En 1989, 50.000 tonnes de pétrole ont été déversées sur les côtes de l’Alaska, suite au naufrage de l’Exxon Valdez. De récentes études ont montré que des résidus de pétrole se trouvaient encore sur certaines plages de la baie du Prince William.

Cela n’a pas empêche lé président George Bush de demander en 2008, au Congrès, l’autorisation d’explorer, en vue de forages, l’Arctic National Wildlife Refuge, une région protégée en Alaska dont le sous-sol est riche en pétrole, au risque de raviver la colère des associations qui militent farouchement contre les méfaits de l’exploitation de l’or noir dans cette région riche en flore et faune.

Plus près de nous, quand, le dimanche 12 décembre 1999, un pétrolier maltais répondant au nom d’« Erika », contenant 30 000 tonnes de fuel lourd, vient se casser en deux au large de la pointe de Penmarc’h en Bretagne déversant dans les eaux 13 000 tonnes de sa cargaison souillant le littoral de sa cargaison, c’est toute l’ampleur du problème qui, tel une bourrasque, vient frapper de plein fouet les rivages. 400 kilomètres de côtes sont souillées pour quelques galions de pétrole. On parle de « catastrophe ornithologique. 74 000 oiseaux mazoutés ont été comptabilisés et recueillis morts ou vivants (sur les 36 000 recueillis vivants, 20 000 ont pu être soignés) 61 espèces différentes sont touchées : le guillemot de Troïl (82%), le fou de Bassan (2,6%), le pingouin torda (3,55%), la macreuse noire (5%) et la mouette tridactyle (0,7 %).

Les experts maritimes ont insisté sur la vétusté du navire. Ses structures étaient dans un état qui ne lui permettaient pas de faire face aux contraintes de navigation.

Le 19 novembre 2002, au large des côtes de la Galice, en Espagne, un autre bateau, le “Prestige“ sombre alors qu’il transporte 77 000 tonnes de pétrole. Soit à lui tout seul, plus de la moitié des 150 000 tonnes de pétrole rejetées accidentellement chaque année.

Dans la plupart des cas, les navires naufragés sont en mauvais état. Faute de réglementation sévère, ils sont toujours en activité. Entre 1992 et 1999, 77 pétroliers ont été ainsi perdus en mer, dont 60 avaient plus de vingt ans. 9,5% des navires étrangers seulement ont été contrôlés dans des ports français, alors que la législation européenne impose un quota de 25%.

Les marées noires que provoquent les tonnes de mazout s’échappant des containers dévastent le rivage mais tuent aussi la grande majorité des algues existantes. En moyenne, il faut près de dix ans pour éradiquer les effets d’une marée noire.

Aussi bien, l’ouverture des voies maritimes en Arctique fait-elle courir de graves dangers écologiques. Dans cette région si cruciale pour la planète, la flore et la faune polaire ne se remettraient pas d’une marée noire ! Déjà plusieurs espèces animales sont menacées. L’ours polaire pourrait quasiment disparaître, en l’espace d’une génération. La morue de la mer de Barents, le stock le plus important au monde, qui se reproduit dans les eaux autour des Lofoten en février-mars, serait directement condamné.

Les experts indiquent en outre que les nappes d’hydrocarbures seraient beaucoup plus difficile à nettoyer qu’autre part. « Il y a plus de tempêtes ici qu’en mer du Nord, et en hiver, il ne fait jour que trois, quatre heures par jour », explique Maren Esmark, du World Wildlife Fund (WWF) Norvège..

Et il ne faut pas oublier les récriminations des défenseurs de l’environnement. « La question n’est pas de savoir si un accident se produira mais où et quand », assure Samantha Smith, directrice du programme arctique pour le Fonds mondial de la nature. Or techniquement, nous ne savons pas nettoyer une marée noire sur la glace », ajoute- t- elle. Pour Samatha Smith, « les gouvernements doivent imposer des standards écologiques très stricts avant que le trafic commercial puisse démarrer dans l’Arctique ».

Les marées noires discrètes mais permanentes dues aux dégazages en pleine mer représentent une autre plaie pour les ressources marines. Le dégazage consiste à vidanger les eaux sales d’un navire – eaux de cale contenant des résidus de gasoil et d’huile, eaux de rinçage des cuves des pétroliers, eaux de ballast.
Rien moins que 1 400 000 tonnes d’hydrocarbures sont déversées chaque année dans les océans.

Si cette pollution est moins spectaculaire que les nappes de fioul échappées du ventre des pétroliers éventrés, les quantités en jeu sont bien plus importantes. On estime que 90 % viennent de rejets volontaires, et seulement 10 % d’accidents. En réalité, au-delà des Zones économiques exclusives (200 milles), les déballastages peuvent s’effectuer en toute légalité à condition de ne pas outrepasser certaines normes.

La pratique est encadrée par la convention Marpol sur la prévention des pollutions maritimes. Mais en l’absence de surveillance sérieuse, et vu le coût de l’immobilisation des navires pendant la vidange, les capitaines sont tentés de fauter. L’arsenal judiciaire se durcit aussi progressivement. La répression, qui s’est développée en Europe depuis le début des années 2000, semble cependant porter ses fruits. Depuis 2004, 37 affaires de pollution volontaire jugées au tribunal correctionnel de Brest ont donné lieu à 7 millions d’euros d’amende.

La loi du 1er août 2008 sur la responsabilité environnementale vient de porter à 15 millions d’euros l’amende maximale. Résultat : même si une partie des déballastages reste non détectée, les pollutions constatées dans les 200 milles nautiques au large des côtes françaises sont en baisse, alors que le trafic maritime croît. Dans la zone atlantique, 139 pollutions avaient été rapportées en 2004, contre 41 en 2007. En Méditerranée le chiffre est passé de 193 à 110, et en Manche, de 48 à 26.

On serait tenté en lisant ces lignes, de penser qu’il n’y a que les marins qui polluent. Rien n’est moins vrai. Ne dédouanons pas les « terriens » car les activités sur le continent sont largement en cause dans la pollution des mers. Qu’il s’agisse des métaux industriels précipités par les pluies, des engrais et pesticides charriés par les cours d’eau, des déchets portuaires, des eaux usées, des détergents, des produits chimiques variés, des huiles diverses, et surtout des plastiques.

Dans l’hexagone, l’urbanisation du front de mer pose d’importants problèmes de gestion des eaux usées. Pour se mettre en conformité avec la directive européenne sur les déchets, les ports français doivent être en mesure de réceptionner les déchets ménagers, les eaux sanitaires, les huiles de fond de cale et les orienter vers des stations d’épuration. La mer est obligée d’en avaler des quantités incroyables. Au début, cette alimentation nourrit les algues qui prolifèrent. Mais plus elles sont nombreuses plus elles consomment l’oxygène dissout dans l’eau. Elles meurent, sont dégradées par des microbes qui eux aussi ont besoin d’oxygène. Coquillages, crustacés poissons meurent asphyxiés. Les zones les plus touchées sont les eaux calmes et limitrophes de grands bassins de population. La pollution intervient en général en période estivale lorsque les eaux se réchauffent.

Au large, le risque est celui des débris marins. Ce fléau affecte tous les océans. Les emballages, sacs ou bouteilles en plastique forment 90% des déchets flottants sur les mers sont les principaux responsables de cette situation dégradante. Sur les 100 millions de tonnes de plastique produits chaque année, près de 10% finissent à l’eau. Ils mettent entre 500 et 1000 ans à se décomposer totalement.

Une étude de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, commencée à la fin de l’année 1992, a tenté d’estimer le nombre de déchets gisant au fond des mers. Résultat: c’est près de 150 millions de tonnes qui se trouveraient actuellement dans la mer du Nord, 50 millions dans le golfe de Gascogne et 40 millions dans la mer Adriatique. Le bassin méditerranéen décroche la timbale avec près de 300 millions de tonnes. Ce sont les matières plastiques, constituées principalement d’emballages (sacs remis aux caisses des supermarchés, bouteilles, etc.) qui représentent la principale source de pollution, 60 à 95% selon les sites.

Un véritable fléau, puisqu’un sac en plastique met près de 500 ans pour se décomposer et le verre a besoin, lui, de 2000 à 4000 ans! Ces plastiques, matières synthétiques et composants chimiques qu’ils contiennent ont des effets désastreux sur de nombreuses espèces marines comme les albatros, les phoques, les baleines et les poissons, soit parce qu’ils s’y enchevêtrent soit parce qu’ils les prennent pour des proies et les avalent. 267 espèces différentes seraient affectés.(Lire Rapport Greenpeace 2006, sur « les débris plastiques et pollution des océans » ).

Depuis une vingtaine d’années, un monstre boulimique de déchets déversés dans les océans bâtirait son empire sur 3,43 km2, entre Hawaï et la Californie, soit un tiers de la superficie de l’Europe. Flottant entre deux eaux, bloqués là par les grands courants marins, cette gabegie gigantesque s’accumulerait autour du « grand vortex nord-pacifique ». Les gens de mer parlent de la « Grande plaque de déchets du Pacifique » comme on parle la « Grande barrière de corail ». Les micro-organismes qui nettoient l’océan ne les absorbent pas. Dans certains endroits, l’amas de plastiques est six fois supérieur à celle du plancton.

Toute la chaine alimentaire s’en trouve affectée. La tortue qui prend ces plastiques pour des méduses en est la première victime. Toujours selon Greenpeace, environ 100 000 mammifères marins et un million d’oiseaux sont victimes de ce monstre en plastique. Le drame est que personne n’a encore trouvé le moyen de résoudre ce problème. Autre incidence, au bout de quelque temps, les micro organismes se fixent sur les plastiques, les alourdissent et les font couler. Les fonds sous marins deviennent de gigantesques décharges.

Plusieurs milliards de déchets gisent aussi au fond de la Méditerranée. Toutes ces pollutions sont aggravées par le rejet massif des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ils ont augmenté de 22% depuis 1990 date qui serte de référence au protocole de Kyoto. Les océans absorbent 22 millions de tonnes par jour de CO2 produit par les activités humaines.

Des études récentes montrent ainsi que le réchauffement climatique qui découle en grande partie de ces rejets massifs provoque non seulement l’assèchement des terres émergées et la fonte des barrières de glace, mais aussi une augmentation exponentielle de l’acidité des océans.

Il en résulte une formation d’acide carbonique ayant pour effet de diminuer la quantité de minéraux nécessaires au développement d’un certain nombre d’organismes marins. Des chercheurs réunis à Monaco le 10 octobre 2008, pour le plus important colloque jamais consacré à l’acidification des océans ont dressé un tableau assez sombre de ce phénomène. «Les répercussions écologiques et économiques de l’acidification de l’océan qui dépendront de la réaction de l’écosystème, pourraient être considérables», souligne une synthèse des conclusions de ce symposium auquel participaient plus de 250 scientifiques du monde entier.

Un bouleversement durable des réseaux trophiques marins pourraient entraîner «d’importants bouleversements dans les stocks de poissons commerciaux», selon le document de synthèse. Une diminution du taux de calcification aura pour effet de ralentir la croissance des récifs coralliens. Un tiers des coraux sont actuellement menacés. Et quand les coraux meurent, les autres animaux et plantes qui en dépendent meurent aussi. Cela peut conduire à l’écroulement de l’écosystème.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ENVIRONNEMENT, ETUDE

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