Il y a 120 ans, Jules Verne se posait la question : « Qui sait si la terre ne sera pas trop petite un jour pour ses habitants dont le nombre doit atteindre six milliards en 2072 (…). Et ne faudra-t-il pas bâtir sur la mer alors que les continents seront encombrés ? » (« L’île à hélice ». Livre de Poche. 2005)

Ces perspectives sont aujourd’hui d’actualité dans certains pays possédant un littoral. Au lieu de s’opposer à la colère des océans, en sabordant les écosystèmes, en rehaussant les digues, en renforçant les barrages, et en multipliant les stations de pompage, pourquoi ne pas s’adapter à la mer en apprenant à vivre en harmonie avec elle ? Cette option « pacifiste », même si elle n’est pas encore dominante, anime de nombreux projets, non pas sous la mer, mais sur les flots. Le marché immobilier est bien plus vaste que le marché des niches sous marines.

Témoins, les projets de cités lacustres et de maisons sur l’eau qu’on voit aujourd’hui émerger en Hollande, en Chine ou à Dubaï. Les technologies nouvelles y sont pour beaucoup. L’utilisation du vent, du soleil, de la houle les stratégies de dessalement des mers, l’aquaculture, les nanomatériaux, autant de progrès susceptibles de projets futuristes.

Dès la fin des années 1990, l’émir Sheik Mohammed a eu une vision : transformer la façade maritime de Dubaï en implantant un archipel d’îles artificielles longues et étroites à 30 kilomètres des cotes.

Au total, cinq îles pouvant abriter plusieurs milliers de villas et d’hôtels de luxe. Si ce projet pharaonique nécessitant des millions de mètres cubes de sable et des millions de tonnes de rochers suscite l’intérêt de nombreux architectes qui voient là une possibilité d’expression créative sans égale, il n’en va pas de même des défenseurs de l’environnement, qui voient d’un mauvais œil le développement effréné et mal maîtrisé de l’émirat.

Pas de quoi rassurer en effet l’organisation mondiale de protection de l’environnement (WWF) qui s’inquiète de l’impact des dégâts que le dragage, peut causer aux fonds marins. Quid aussi de l’émission de déchets des milliers de résidents qui passeront leurs vacances sur ces îles artificielles. Plus généralement, certains craignent l’effet désastreux de la massification touristique dans cette partie du monde, ses conséquences sur la consommation d’eau et l’impact sur l’environnement de la pollution provenant du surcroît d’énergie utilisée.

Pour les promoteurs du projet, il n’y aura pas de dommages causés à l’environnement. Toutes les eaux usées produites par les deux usines de dessalement de l’eau de mer alimentant chaque île seront entièrement recyclées et utilisées à des fins d’irrigation. En outre, selon la société Nakheel qui pilote le projet, un écosystème serait en train de se recréer. Cinquante espèces de poissons et douze espèces de coraux habitent autour des digues de Palm Jumeitah, la première des îles. Les promoteurs affirment aussi que tout a été conçu pour évoluer en fonction de la force des vents des marées et des courants. Les constructions permettent de réduire la puissance des éléments naturels. Tout est prévu pour résister aux cyclones les plus violents et aux vagues les plus hautes.

Sur ce littoral, les constructions d’hôtels offrent aux architectes et aux ingénieurs hydrauliques la possibilité d’exprimer leur part d’utopie. Mais pour combien de temps encore; vu la crise traversée aujourd’hui par l’Emirat. Situé à 280 mètres au large des côtes de Dubaï, le complexe hotelier Burj Al Arab, inauguré en 1999, après cinq ans de travaux titanesques, est le plus haut du monde. En forme de voile gonflée par le vent, l’établissement est doté d’une partie sub-aquatique avec un restaurant panoramique sous-marin.

Dans d’autres pays, c’est la nécessité qui fait loi.

Aux Pays-Bas, la construction en zone inondable devient aussi un impératif. Le système des polders et de barrages anti-tempêtes qui maintient au sec les terres en dessous du niveau de la mer risque de subir de plein fouet la montée des eaux prévues dans les années à venir. Sans oublier les crues soudaines de la Meuse et du Rhin, qui traversent le pays, un pays dont les sols constitués de tourbe s’enfoncent régulièrement. L’accumulation de ces handicaps fait que les Pays Bas deviennent de plus en plus bas. Ces risques probables ont incité les autorités à chercher des solutions innovantes. Il ne suffira plus de renforcer les ouvrages existant ou de continuer à remblayer, il faudra adapter l’habitat.

Des architectes se concentrent sur des maisons amphibies en aluminium et en bois capables de résister à une élévation du niveau de la mer de plus de 4 mètres. Elles sont bâties sur des sortes de radeaux de béton creux qui flottent en cas de crues. L’entreprise Dura Vermeer et le cabinet d’architectes britanniques Barker and Coutts se sont spécialisés dans la conception de ces maisons flottantes .Un quartier amphibie est en projet dans le centre de la vieille cité de Dordrecht à l’emplacement d’une friche industrielle où est prévu un quartier d’habitations. Grâce à ce projet, l’eau à marée haute, pourra entrer et sortir sans que cela ne gêne la vie des citadins.

Un autre projet de maison-bateau écologique est développé à Amsterdam par la société Deltawonen, une petite entreprise HLM néerlandaise. Le projet s’appelle Gewoonboot.

A première vue, ce logement de forme cubique, construit en bois de cèdre et doté de grandes baies vitrées, ressemble à n’importe quelle maison-bateau néerlandaise, avec un espace intérieur de 120 m2 et tout le confort. Mais ici tout est rendu autonome, en circuit fermé. Il n’y a pas de tuyaux et de câbles de raccordement aux réseaux d’eau, de gaz et d’électricité. Des panneaux solaires, sur le toit, sont reliés à des accumulateurs qui stockent l’électricité. Pour le chauffage, la maison récupère la chaleur de ses eaux usées qui circulent sous le plancher. Deux réservoirs de 500 litres stockent l’eau de pluie et l’eau et les eaux recyclées. Tout est filtré, traité, contrôlé pour que l’eau soit à nouveau potable. Selon la société HLM, cette innovation dont la principale qualité est la souplesse et l’autonome – pas besoin de raccorder aux réseaux – est adaptée à des logements universitaires. Un consortium associant des collectivités, des associations et des entreprises a été créé. Le projet intéresse aussi des pays d’Afrique comme le Kenya. Il offre des solutions à la pollution, la hausse du prix de l’énergie, le manque de terrains constructibles et la pénurie d’eau.

Un autre projet de maisons flottantes est développé par l’agence d’architecture navale Techni-carène. Cet habitat flottant bioclimatique baptisé « Réania » intègre des turbines hydrauliques qui utilisent la force du courant des pompes à chaleur, des capteurs solaires et une éolienne.

D’autres projets sont à l’étude dans le monde. Les Japonais envisagent de créer à Tokyo un aéroport flottant; un méga-porte-avions, qui aurait en outre le mérite de protéger les côtes de la violence des raz de marée et des tsunamis. La Floride devrait accueillir le premier cimetière sous-marin du monde ! Bâti à 12 m de profondeur, à Key Biscayne, l’Atlantis Memorial Reef est prévu d’ici 6 ans pour quelque 21.000 personnes. Et c’est mêlées aux murs, aux colonnes ou aux sculptures de cette drôle de cité fantastico-kitch, que se trouveront leurs cendres pour 2600 euros en moyenne…

Certains projets flottants sont plus près du bateau que de la maison. Cela fait vingt ans que Jean-Philippe Zoppini s’échine sur des projets de « vivre demain sur l’eau ». Il est sur le point de finaliser son rêve d’architecte avec la réalisation de l’île mouvante Ocean Island Two. Reste à trouver la bagatelle de 2 milliards qui permettront à cette île d’acier (d’une circonférence de 1 000 mètres et située 78 mètres au-dessus du niveau de la mer) de voguer librement, à l’abri de toutes les pollutions, comme le souhaite son concepteur.

L’île ovoïde est prévue pour 10 000 touristes. Longue de 400 mètres et large de 300 mètres, la structure comprend un lagon central, d’une superficie d’un hectare, un héliport et un total de 5000 cabines. Sa capacité en base double serait deux fois supérieure à celle des plus grands paquebots actuellement en service. La construction est assez robuste pour faire face aux tempêtes, aux tsunamis et à des creux de 30 mètres.

Le premier défi serait sans doute le site pour le construire. La polémique gronde autour de l’utilisation potentielle de cette île. « Mégalomaniaque », disent les détracteurs du projet qui avancent des arguments écologiques pour dénoncer le projet et lui voient un destin en forme d’épave dans quinze ans. La dépense énergétique pour faire vivre et déplacer une telle ville flottante rend, selon eux, le projet impossible. Les charges seraient gigantesques. Certains imaginent que cette île pourrait se transformer en citadelle sécurisée pour milliardaires paranoïaques. D’autres pensent aussi qu’elle pourrait s’auto déclarer territoire autonome et devenir en toute légalité, un nouveau paradis fiscal. Mais ces projets ne sont pas très « tendance » dans le contexte économique actuel.

La société Freedom Ship International a développé un projet encore plus grand. 1370 mètres de long, 228 mètres de large, et 100 mètres de haut: ce sont les dimensions de la « ville-navire » Freedom Ship, 4 fois plus grand que le paquebot Queen Mary 2 ! Dans ce lieu d’habitat qui se veut permanent, tous les équipements d’une ville moderne sont à disposition : hôpital, écoles, banques, casinos, mais aussi des usines, des entrepôts, et des bureaux. Sans compter le centre commercial. Il faudra 3 ans à ce navire titanesque pour boucler un tour du monde, au large des grandes métropoles.

Lire aussi : « Habitat durable : une cité flottante aux Pays Bas » Magazine Novembre 2009

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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