Encore méconnu, l’enjeu de l’open data annonce l’économie du post numérique. La créativité citoyenne a un énorme rôle à jouer en la matière. Encore faut-il que la puissance publique et les entreprises mettent en place les plateformes permettant à cette intelligence collective de devenir un paradigme économique salutaire

Le dernier G8 a fait une déclaration reconnaissant la place de la donnée dans la conduite des affaires publiques. C’est une première ! Que les états se préoccupent de ce qu’on appelle l’open data, « la Big data » comme la surnomme les anglo-saxons est un pas important dans la redéfinition du monde économique que nous traversons. On parle de transition énergétique, on peut tout aussi bien parler de transition numérique. Et l’information ouverte, librement disponible, est au cœur de cet enjeu.

Un enjeu global car il concerne la société dans son ensemble, aussi bien les citoyens, les pouvoirs publics que les entreprises. Des initiatives spontanées d’ingénierie sociale foisonnent de par le monde reposant sur le partage de l’information. Avec le mouvement Open Data, la donnée numérique se démocratise à une vitesse qui ne peut laisser personne indifférent, tant par son ampleur que par les question éthiques qu’un tel développement soulève. Les portails open data se multiplient aux différents échelons politiques (du local à l’Europe en passant par la région et l’Etat). Surtout dans les pays anglo-saxons qui ont initié un mouvement géneral d’ouverture de leurs données.

En France, les grandes villes ont été parmi les premières à ouvrir leurs données aux citoyens. Mais certaines aministrations restent encore timides à laisser leurs données gratuitement. La révolution de la donnée prend également de cours les entreprises désarçonnées par le caractère massif de l’enjeu. Le problème est qu’avec la multitude, on assiste au « débordement » de la donnée que les entreprises ont du mal à prendre en compte. Les citoyens et les usagers d’internet semblent prendre la mesure du potentiel incroyable qu’offre l’ouverture des données. Tel est l’enjeu : définir des nouvelles coopérations entre la société civile, l’autorité publique et l’entreprise.

Les citoyens, au cœur de la révolution de la donnée

Selon Henri Verdier, le directeur d’Etalab (http://www.etalab.gouv.fr/), chargé auprès du Premier Ministre, de l’ouverture des données publiques et du développement de la plate-forme Open Data en France, il convient d’ analyser cette révolution numérique comme une révolution industrielle. Lors d’une Conférence sur le sujet, donné en juin 2013, (Compte rendu Thérèse Bouveret) ce dernier justifie l’importance d’un tel sujet pour l’innovation . « La plus grande valeur dans l’économie numérique, c’est les gens, nous, la multitude. Ce qui fait la richesse de l’information, c’est la création spontanée, volontaire ou pas, des individus. C’est une révolution d’une énorme ampleur, qui va changer les rapports sociaux, l’économie, les règles d’urbanisme, l’éducation, l’habitat etc… Il y une baisse de la barrière à l’entrée de l’innovation, qui s’ouvre à des acteurs légers, rapides, innovants. Ceux qui avaient mobilisé beaucoup de capital, ou des effectifs considérables, et qui se croyaient à l’abri, vont être challengés par des concurrents qu’ils ne connaissent pas.Et ces concurrents, ce sont pour la plupart des citoyens, des associations ou des petites entreprises « collaboratives » animées par le désir de partager ».

Une enquête du Groupe Chronos montre que les citoyens sont au cœur de la data. La capacité d’innovation citoyenne et l’autonomisation des pratiques du citadin est tirée par internet et supportée par la massification des pratiques numériques, souligne l’enquête. « Nous avons constaté que ce sont les gens qui évoluent dans un « champ de contraintes », par exemple les Franciliens qui vivent mal l’itinération domicile travail qui sont les premiers à mobiliser cette agilité numérique », explique Bruno Marzloff. En découlent des logiques d’opportunités économiques qui se distinguent par leur mobilité. « La donnée prend son sens et trouve son utilité dans le flux et le croisement, dans l’altérité ».

Collectivités territoriales, encore un effort pour ouvrir vos données

Le foisonnement des initiatives citoyennes autour de ce qu’on appelle la « shareeconomy » seraient difficilement possibles sans la possibilité d’accéder, de réutiliser et de rediffuser sans entraves des données publiques. C’est principalement dans la ville et autour des questions de mobilité que cette « invention du quotidien », à travers l’intensification des usages numériques dans la cité, prolifère, demandeuse de toujours plus de « don » et d’ « ouverture ».

Les services se multiplient dans les transports (autopartage, covoiturage, velib, velov…). Ils se développent dans les systèmes d’échange et de redistribution, par le biais d’un troc ou d’un don-contredon, selon le principe du CtoC « Consummer to Consumer ». Sans oublier les styles de vie collaboratifs. Ils rassemblent des facilités que s’accordent les individus animés par l’altruisme : coworking, colocation, repas chez l’habitant ou achats groupés…

Pourtant, nombre d’autorités locales ne savent toujours pas comment fonctionnent ces logiques citadines du numérique. Elles ont du mal à apporter des réponses pour envisager une politique de la donnée capable de soutenir les bonnes idées, d’intègrer les acteurs et d’en faire les meilleurs agents de l’écosystème local d’innovation. « La puissance publique est incapable de mettre en place les plateformes et de définir les règles qui permettraient de réguler ce qui est contenu dans le creuset des innovations en fusion liées à la libération des données », explique Bruno Marzloff. C’est bien de révolution industrielle des services qu’il s’agit, avec ce que cela implique de mutation du tissu urbain.

Côté entreprises : rompre avec les conservatismes

Les grands groupes sont encore peu nombreux à s’ouvrir à ces nouveaux modèles économiques. En témoignent les difficultés de Virgin Mégastore, de la Fnac, d’Accor ou Carrefour. Attendant que la puissance publique définisse les services, ces distributeurs ne savent pas tirer profit de l’intelligence de leurs clients et sont incapables de concevoir des API ouvertes à des développeurs externes pour qu’ils puissent concevoir de nouvelles interfaces. Elles n’ont pas mis en place l’infrastructure pour collecter les données et n’ont pas développé de politique d’innovation ouverte pour, le jour venu, en optimiser l’effet de levier. A de rares exceptions près, ces entreprises ne semblent guère prendre au sérieux l’émergence de ces nouveaux comportements collaboratifs. Ces dernières voient dans le copartage et l’échange solidaire des concurents déloyaux. Erreur! Elles devraient au contraire soupeser l’intérêt à collaborer avec ces nouvelles formes d’ économie, comme le font ceux qui font figure de pionniers en la matière : la Macif, La Poste, Orange ou La banque postale. La Poste était même le sponsor du OuiShare Fest, tout comme Orange.

« Le jeu de cartes va se redistribuer par les industriels du numérique comme Google qui sont capables, grâce à leurs données de concevoir des offres plus alléchantes en termes de tarifs, fait observer Henri Verdier dans son livre « Dans L’Age de la multitude ». ( avec Nicolas Colin). Des acteurs de nouvelle génération, d’autant plus agressifs qu’ils pratiquent des innovations de rupture, vont progressivement enfermer les acteurs plus traditionnels dans l’apathie et l’impuissance. Le danger est que les géants industriels du numérique (Face Book, Google, EBay.. ), forts d’un puissant lobbying, et outillés pour capter les innovations et s’allier les applications qui se crééent dans ce domaine, définissent des normes et prennent les manettes de l’open data. Un danger qui à terme pourrait aller à l’encontre de l’esprit de la data qui comme elle se définit elle-même est « open ».

Plateformes ! Le mot est très tendance.

Non il ne s’agit pas de quai de gare (platform en anglais) mais bien d’embarquement pour une nouvelle façon de concevoir le développement industriel post numérique avec, à la clé, de nombreuses applications prometteuses dans tous les domaines. Ce terme de plateforme en usage depuis longtemps dans le monde de l’informatique, prend aujourd’hui un nouvel essor. L’enjeu est de savoir comment continuer à capter la « multitude » des utilisateurs, à l’heure où des applications de toutes natures s’étendent à un marché devenu presque trop large.

La réponse des entreprises qui ont intégré la logique data ? Mettre leurs ressources à la disposition d’intermédiaires afin que se multiplient les applications. Le deal est gagnant/gagnant : construire des plates-formes offrant des possibilités d’accès aux données et aux ressources des entreprises en échange de nouveaux logiciels, de données personnelles, de recommandations, fournies par ce capital humain « hors contrat ». L’exemple le plus connu est l’i-phone. Des milliers d’applications sont offertes dans l’App Store sans qu’Apple n’ait eu à financer leur développement.

D’innombrables petites entreprises y exposent leurs produits qui sont utilisés par des milliers d’individus. Les acteurs de cette « shareconomy » sont lucides. Ils ont compris les alliances possibles avec les grands groupes : d’un côté, l’agilité, la rapidité, la possibilité d’expérimenter ; de l’autre, la surface financière et la capacité à industrialiser les méthodes.

Pour Henri Verdier, « c’est à l’Etat qu’il revient de définir et de mettre en œuvre une politique industrielle radicale, notamment sur le financement des entreprises, l’économie des données ou l’adaptation de la protection sociale aux risques contemporains, pour que nos grandes entreprises continuent à dominer leurs marchés après la révolution numérique ». Comme l’indiquent certains praticiens de l’open data, le jour où l’’Etat et l’éducation se transformeront en plates-formes, ce jour-là inaugurera peut être un nouveau paradigme économique, susceptible d’en finir avec la crise..

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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