A quelques semaines de la conférence de Doha, qui doit statuer sur l’ébauche d’un accord mondial post-2020, la forme que prendra la coopération internationale sur le changement climatique reste incertaine. Pourtant la question du réchauffement climatique est plus que jamais à l’ordre du jour. En témoigne, la violence de l’ouragan Sandy et les épisodes climatiques extrêmes qui ont sévi récemment.

New York sous le déluge, Rome sous les trombes d’eau, violente tempête à Marseille, multiplication des typhons et des ouragans, inondations gigantesques, sècheresses inédites, vagues de canicules… Sans compter la perturbation des systèmes agricoles et les effets sur la sécurité alimentaire… Jamais le climat n’a connu autant d’évènements si extrêmes en si peu d’années. Même là où on ne les attend pas habituellement. Le réchauffement climatique qui semble avoir disparu de l’agenda des priorités se rappelle à nous. Et avec lui son cortège de désolations. Autant de vies affolées ou volées, par centaines, par milliers.

Environ les trois quarts des populations habitant dans les zones à risque se trouvent en Asie. Comme souvent, ce sont les villages démunis qui payent le plus lourd tribut, les Namibiens, les Birmans, les Bengali….et plus généralement, les populations vivant sur les bandes côtières. Mais pas seulement ! « Toutes les régions du monde seront « touchées » par le réchauffement climatique, indique le climatologue Jean Jouzel. Même les grandes métropoles. Pour certaines régions, c’est le niveau de la mer qui sera (ou est déjà) le vrai problème. Pour d’autres ce sont des aspects économiques liés aux coraux. Pour les troisièmes, ce sont les cyclones ou ce qui va se passer en termes d’inondations ou de sécheresses ».

Alors serions-nous programmés pour redevenir poissons ? Ironique, la question est posée par les plus alarmistes des prévisionnistes. L’élévation du niveau de la mer pourrait provoquer des dégâts considérables sur les régions côtières, les deltas et les îles de faible altitude. Les études les plus récentes prévoient une hausse de 40 cm à 1 mètre du niveau des océans, à la fin du siècle. Ce qui revient d’ores et déjà à pousser à l’exil les 100 millions de personnes vivant à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer. Même de très légères modifications du niveau des océans poseront problème aux populations humaines qui vivent à proximité des rivages, estiment les scientifiques. Pour chaque centimètre de plus, il devrait y avoir un million de déplacés dans le monde. Si l’élévation du niveau des océans est de 40 centimètres, on doit aussi s’attendre à une multiplication des tempêtes avec des variations de 1 à 2 mètres et à un blocage des eaux dans l’estuaire de certains fleuves.

Plus précisément, quel est l’état des lieux aujourd’hui? La moitié de la population mondiale, soit quelques trois milliards d’humains, vivent à moins de 80 kilomètres des côtes et 500 millions à moins de cinq kilomètres. 350 millions d’individus habitent à moins de cinq mètres au-dessus du niveau de l’eau, voire pour certains en dessous, tels le Bengladesh. Les deux tiers de ce pays situé sur le golfe du Bengale consistent en plaines inondables. La plus grande partie se trouve à moins de 6 mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans cet immense delta, constitué par le Gange et le Brahmapoutre, 150 millions de personnes souffrent déjà de la perte d’une grande partie de leur territoire. Déjà, nombre d’habitants du Bengladesh connaissent l’exil. Lorsque le niveau de la mer se sera élevé de 1 mètre, 15 millions d’habitants devront partir.
Un bref panoramique de la situation mondiale montre que le littoral accueille les deux tiers des grandes agglomérations urbaines. 18 des 25 mégapoles de plus de 8 millions d’habitants sont situées non loin des rivages. 100 millions d’individus supplémentaires peupleront les rivages de la Méditerranée d’ici 2020. A une moindre échelle, la France n’est pas épargnée par la montée des eaux. Des observations effectuées à Brest montrent que le niveau de l’eau, depuis les années 2000 est monté de 3 mm par an, alors qu’il ne montait que de 1,5mm dans les années 90.

Tous ces chiffres devraient augmenter. Un rapport des Nations Unies indique que 80% de la population mondiale cohabitera dans un environnement côtier de moins de 100 kilomètres. Si l’on se projette dans le futur, dans vingt cinq ans, 75% des habitants de la planète (contre 60% aujourd’hui) résideront sur les rivages. . Amsterdam, Londres, Bombay, Shanghaï ou Djakarta et bien d’autres grandes capitales du monde ne sont pas à l’abri de méga-inondations. Les deltas du Mékong, du Nil, du Yang Tsé Kian, mais aussi du Pô ou du Mississipi, constituent autant de points chauds. Selon une étude du GIEC, Los Angeles et New York, les deux plus grandes villes d’Amérique du Nord, font face à un risque combiné d’élévation du niveau de la mer et de tempêtes susceptibles de faire monter le niveau des eaux.

Un scénario très sombre évoque des inondations gigantesques pouvant survenir tous les trois ou quatre ans au lieu d’une fois tous les cent ans. Les cinq territoires possédant la plus grande proportion de leur superficie menacée sont les Bahamas, les Pays-Bas, le Bangladesh, la Polynésie française et la Gambie. La conjonction de populations plus nombreuses sur le littoral et d’une plus grande violence des intempéries appellent les instances internationales à se saisir d’un problème massif posé par le changement climatique: la protection des populations.

En Afrique, de la Cote d’Ivoire au Nigéria, l’eau avance de 8 mètres par an. Des parties entières de la cote ouest-africaine, depuis la Mauritanie jusqu’aux forêts tropicales du Cameroun, risquent de se retrouver sous les eaux d’ici à la fin du siècle. Au Bénin, l’élévation du niveau de la mer a dévasté des centaines d’infrastructures et de récoltes, et menace d’inonder une bonne partie de Cotonou, L’érosion du littoral du golfe de Guinée, où se trouvent la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, et le Nigeria, a été imputée aux changements climatiques, à l’origine de l’élévation du niveau de la mer, d’inondations et de maladies hydriques. Les conséquences de l’élévation du niveau de la mer seront particulièrement dramatiques à Lagos, du fait de sa situation géographique, à l’extrémité sud du Golfe de Guinée, où sévissent de violentes tempêtes tropicales. La capitale économique du Nigeria, se situant à cinq mètres à peine au-dessus du niveau de la mer, risque d’être totalement inondée. Au total, ce sont 15 millions d’habitants qui sont menacés.

Les ouragans comptent parmi les fléaux qui menacent les habitants vivant au bord des océans. En moyenne, chaque année, près de 80 tempêtes tropicales ou cyclones font des ravages dans le monde. Sur le long terme, depuis une trentaine d’années, on observe une augmentation du nombre d’ouragans de forte intensité avec des vents dépassant la vitesse de 200 km/h. Sur le nord de l’Océan Indien, ces éléments extrêmes frappent en général cinq fois par an, soit en tout début de saison. Les tempêtes tropicales font aussi de plus en plus de dégâts, dans une large mesure, à cause de l’accroissement des populations côtières.

La fréquence et la violence accrues des ouragans ont-elles un rapport avec le réchauffement climatique ? C’est la question que se posent les populations locales inquiètes pour leur avenir. Débat très controversé qui divise les experts du monde entier. Pour Greg Holland, du Centre américain sur la recherche atmosphérique, et Peter Webster, de l’Institut de technologie de Géorgie (sud-est), cela est probable : le réchauffement de la planète et ses conséquences sur le réchauffement des océans sont responsables du doublement du nombre d’ouragans enregistré annuellement dans l’océan Atlantique depuis 1900.
Sur la base de ses données satellitaires, la Nasa, soutient qu’ »un plus grand nombre d’ouragans et de tempêtes tropicales pourraient se produire et être plus violents. Dans le rapport annuel du GIEC, paru en 2007, Hervé Le Treut, directeur de recherche au CNRS, note qu’ »on peut s’attendre à avoir non pas davantage de cyclones, mais d’intensité supérieure ». Le chercheur émet cependant « une réserve », soulignant que les études qui fondent ces observations sont plus nombreuses en Atlantique que dans l’Océan Indien : « Ce n’est que sur le long terme qu’on pourra dire si un évènement est associé à une véritable tendance: la météo est faite de hasard, mais le climat est constitué par des lois statistiques définies sur une trentaine d’années. Or, on n’a pas des systèmes d’observation et des enregistrements complets ou parfaits sur tous les océans du monde. Et surtout, on manque de recul sur ce qui s’est passé avant l’ère satellitaire ».
En réalité, les scientifiques se veulent prudents sur les liens entre changement climatique et cyclones. Les données dont nous disposons sur les 30 dernières années ne sont pas forcément assez fiables pour être en mesure de déduire une tendance locale. L’avenir reste très difficile à deviner

Ces terribles épisodes météorologiques déterminent une nouvelle catégorie de populations : les « écoréfugiés » ! Si 100 millions de personnes sont sur la liste des prochains migrants climatiques, un milliard d’écoréfugiés pourraient ainsi se déplacer dans le monde d’ici à 2050 ! Le chiffre fait frémir. Cette estimation, faite le 14 mai 2007 par l’ONG britannique Christian Aid, laisse entendre que 250 millions de personnes migreront à cause des inondations, de la sècheresse et de la famine. 50 millions à cause des guerres et des atteintes aux droits de l’homme. Et pas moins de 645 millions d’individus à cause de grands projets de développement tels que les barrages. En Chine, notamment. L’ONU parle pour sa part d’environ 150 millions de réfugiés du climat, d’ici à 2050. Ils représentent aujourd’hui une trentaine de millions. La réalité reste largement ignorée, estime pour sa part Christian Aid. Pour John Davidson, l’un des dirigeants de Christian Aid, « les vastes déplacements de population vont alimenter les conflits existants et en générer de nouveaux dans des régions pauvres, où les ressources sont les plus rares. Trois pays sont d’ores et déjà particulièrement concernés : Bali, la Colombie et la Birmanie. La Chine, l’Inde, le Bangladesh et le Vietnam sont aussi très menacés. Les migrations intérieures et transfrontalières seront particulièrement fortes en Asie du sud, en Afrique et en Europe, indique une étude du CSIS

L’accroissement et le renforcement des épisodes catastrophiques appelle des décisions politiques et humanitaires et des réponses immédiates d’intervention. Cela implique des déblocages financiers, une urgence logistique d’acheminement de l’aide, et beaucoup d’information aux populations concernées. Mais jusqu’à présent, les initiatives concrètes en la matière restent en deça des attentes. Les associations humanitaires sont en général plus en avance que les états. Qu’il s’agisse de la réflexion en cours sur le statut de « réfugié climatique », des recherches sur la façon de juguler les cyclones, de prévenir les tsunamis ou de gérer efficacement les situations humanitaires, des initiatives sont en cours pour trouver des solutions à ces problèmes.

Pour le haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU, « ce siècle sera celui des peuples en mouvement ». Une réflexion est en cours pour octroyer un statut à ces réfugiés environnementaux. Dans l’immédiat, des juristes s’organisent pour qu’ils obtiennent un statut reconnu par l’ONU en raison des dommages climatiques qu’ils subissent sur le plan de leur environnement. Les Belges poussent les Nations Unies à la reconnaissance internationale de ce statut. Le Conseil de l’Europe et le Parlement européen ont déposé des résolutions comparables. Certains mouvements écologistes demandent la création de nouveaux visas. Mais tout reste à faire. Quelques experts comme Andrew Simms, directeur du New Economic Foundation, (« Environmental Refugees. The Case for Recognition. A new status for environmental refugees. 2007) ou Norman Myers, de l’Université d’Oxford, militent pour la révision urgente de la convention de Genève, en demandant l’octroi aux éco-réfugiés un statut véritable leur assurant une protection internationale, indépendante et distincte des mesures gouvernementales nationales.

Les Amis de la terre ont, dans cette perspective, édité un « Guide du citoyen des réfugiés environnementaux ». Pour ces militants, il est nécessaire de créer une compensation des dettes écologiques, un mode de calcul, agréé à l’échelle internationale, clarifiant les obligations financières et environnementales des pays largement pollueurs, notamment la contribution qu’ils devraient apporter face aux problèmes liés au climat, tels que la multiplication du nombre d’éco-réfugiés. Une réflexion est en cours pour accorder un statut à ces « réfugiés environnementaux ».

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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