Quatre ans après la publication du rapport commandé par le chef de l’Etat, l’expert Pierre Le Roy, fondateur de l’indicateur du Bonheur National Brut donne ses appréciations


Le rapport Stiglitz, remis en 2009 à Nicolas Sarkozy, préconisait de perfectionner le PIB et la façon de le présenter, en créant en complément, des indicateurs de la qualité de la vie et du développement durable.
Quatre ans après, quel bilan peut-on en tirer ? Pierre le Roy, fondateur de GLOBECO ( www.globeco.fr), créateur de l’indice du bonheur mondial (IBM), de l’indice du bonheur national brut (BNB) à la Française et du bonheur régional brut (BRB) à la Française, répond à Place Publique.

Place Publique : les propositions du rapport Stiglitz ont-elles été suivies d’effet ?

La plupart ont reçu une application ou un début d’application, ou du moins ont donné lieu à des travaux et à des publications allant dans le sens des recommandations du rapport Stiglitz. L’INSEE, comme on peut le constater sur son site Internet, présente les propositions de la Commission par chapitres et les applications et /ou débuts d’application. Dans trois domaines les recommandations ont été suivies d’effet : PIB, qualité de la vie, environnement et développement durable. Pour chacun de ces domaines, l’Institut publie même périodiquement son programme de mise en œuvre du rapport.

  PIB : Parmi les travaux et publications effectués pour mettre en œuvre les propositions du rapport, citons des études relatives aux inégalités de revenus, à la pauvreté des ménages, aux disparités entre ménages, aux inégalités de patrimoine, aux niveaux de vie par âge et par génération, au travail domestique (60 milliards d’heures en 2010) etc…

  Qualité de la vie : les études relatives aux difficultés des plus modestes, à la qualité de la vie des personnes nées à l’étranger, aux moments agréables de la vie quotidienne, à la satisfaction dans la vie aux inégalités de logement, à la vie associative (16 millions de membres en France) etc

  Environnement et développement durable : les principales études citées sont les suivantes : contenu carbone du panier de la ménagère, l’empreinte eau et écologie en France, le capital social, la biodiversité, les indicateurs de développement durable etc …

Vous exprimez donc une certaine satisfaction ?

Plusieurs remarques s’imposent. D’abord, les travaux cités existaient déjà pour une bonne partie, et l’INSEE a simplement profité des conclusions du Rapport Stiglitz, soit pour les recycler, soit pour mettre l’accent sur certains types de travaux, relatifs en particulier aux inégalités, qui n’étaient pas tous politiquement corrects. C’est de bonne guerre !
Ensuite, certains de ces travaux n’apportent pas grand-chose de nouveau : il est intéressant de savoir que le travail domestique représente 60 milliards d’heures de travail en France, mais quelle conséquence cette étude a-t-elle eue sur le calcul du PIB et du taux de croissance? Aucune bien entendu, dans la mesure où personne ne connaît la valeur en Euros de ce type de travail et ce qui est vrai pour le travail domestique l’est encore plus, et pour cause, pour le travail bénévole qui, par définition, n’est pas rémunéré … D’ailleurs, y aurait-il matière à modifier le mode de calcul du PIB et de la croissance que ce serait impossible dans un premier temps : ce mode de calcul est régi par des conventions internationales applicables dans tous les pays de la même façon, pour rendre comparables les résultats des différents pays. Le jour où la France voudra modifier son mode de calcul du PIB, il lui faudra persuader la communauté internationale de la justesse de ses vues !

Il en est de même des travaux relatifs à la qualité de la vie et au bien-être social, et plus encore des travaux relatifs à l’environnement et au développement durable. Des travaux intéressants certes, notamment lorsqu’il s’agit d’établir des indicateurs sociaux ou environnementaux, mais en rappelant ce que la Commission elle-même affirme : la volonté d’intégrer dans le PIB des éléments représentatifs de la qualité de vie ou du développement durable est illusoire. Tout juste semble-t-elle proposer que se mette en place, à côté et en complément du PIB, un « système d’observation et de mesure de la qualité de la vie ». Une autre difficulté surgit dans ce domaine : la mesure de la qualité de la vie, doit-elle être objective, c’est à dire fondée sur des statistiques plus ou moins agrégées, ou subjective, c’est-à-dire fondée sur des enquêtes et des sondages ? Enfin, concernant les inégalités de revenus à l’intérieur de chaque pays, je constate que les organisations internationales ne publient plus que de façon parcellaire, avec des chiffres souvent très anciens, le coefficient de GINI qui est le marqueur de ces inégalités. Il est dommage que ce thème des inégalités de revenus internes à chaque pays, considéré comme essentiel, soit si mal traité dans les statistiques internationales.

Est-il possible d’aller au-delà du PIB et de créer de nouveaux indices reflétant mieux la réalité de la croissance ?

Bien sûr, mais il faut clarifier le sujet en indiquant que deux voies sont ouvertes : la voie de la Commission Stiglitz bien sûr, mais aussi la voie ouverte par ceux qui pensent qu’on peut aller au-delà du PIB en créant un nouvel indice qui peut être celui du développement humain créé par le PNUD, ou un indice du bonheur créé par l’organisme que j’ai fondé, GLOBECO.

On se doit de reconnaître que la Commission Stiglitz a eu le mérite de dénoncer une imposture et de tordre le coup à une illusion. L’imposture vient de ceux qui crient « A mort le PIB » ; ils dénoncent à juste titre les insuffisances du PIB, mais en profitent souvent pour dériver du côté des partisans de la décroissance : faute d’arguments convaincants, ils veulent casser le thermomètre ! L’illusion vient de ceux qui pensent que le PIB est fait pour mesurer la qualité de la vie, le bien-être social et le développement durable. Cela ne signifie pas que le mode de calcul du PIB ne peut pas être amélioré, et que sa présentation ne doit pas devenir plus « parlante », notamment quant aux inégalités de revenus et de patrimoines, et quant à l’importance accordée davantage aux revenus qu’à la production et aux ménages qu’aux individus. Pourquoi pas demain l’établissement d’un Revenu Intérieur Net, plutôt qu’un Produit Intérieur Brut, avec une meilleure prise en compte des revenus du patrimoine ?

Cela ne signifie pas non plus que les travaux relatifs à la qualité de vie ou au bien-être social, y compris à travers des enquêtes et des sondages, ainsi qu’au développement durable, soient inutiles, bien au contraire, mais c’est à travers des indicateurs distincts du PIB, et non pas intégrés au PIB, que cet objectif sera tenu. Il faut donc souhaiter que des indicateurs crédibles de la qualité de la vie et du développement durable voient le jour.

Que restera-t-il finalement du rapport Stiglitz ?

D’abord, il faut l’espérer, des résultats à venir, lorsque les organismes internationaux se seront mis d’accord, c’est-à-dire avec une échéance assez lointaine, sur des améliorations qui peuvent être apportées par les statisticiens à la méthode de calcul du PIB et du taux de croissance, par exemple en mettant l’accent davantage sur le revenu que sur la production, sur les ménages plus que sur les individus, sur les médianes plus que sur les moyennes. Ce ne sera pas une révolution, mais cela devrait permettre une meilleure compréhension de ces éléments par la société, à condition que les dirigeants politiques et les médias veuillent bien l’expliquer.

Ensuite, il restera une meilleure compréhension de ce que valent le PIB et un taux de croissance, avec leurs qualités et leurs défauts, et de ce qu’on peut leur demander ou non : il est important que la Commission ait insisté sur les limites du PIB sans vouloir l’assassiner, et qu’elle ait réfréné l’enthousiasme un brin naïf de ceux qui croient qu’on peut faire du PIB un instrument de mesure du bien-être social et du développement durable. Souhaitons aussi que les statisticiens réussissent à mettre sur pieds des indices sociaux crédibles et des indicateurs du développement durable, en partant par exemple des travaux relatifs à l’empreinte écologique.

Un regret toutefois : que la Commission ait omis, malgré la présence d’Amartya Sen en son sein, de mentionner les travaux relatifs à la mesure du développement humain, et qu’elle ait omis d’encourager les travaux visant à mesurer le bonheur par des indices fondés sur des agrégats statistiques. Il est vrai que depuis, l’OCDE s’est lancée dans des travaux de ce genre, et que les experts du PNUD sont entrain de construire, avec l’accord d’Amartya Sen, un indice plus sophistiqué, qui prendra en compte à terme des éléments comme l’inégalité, la sécurité, la liberté et le développement durable, se rapprochant donc progressivement de ce que fait GLOBECO depuis plus de 10 ans. De son côté, l’ONU publie désormais tous les ans un « rapport mondial sur le bonheur », et établit à cette occasion un classement de ses pays membres, avec une méthode qui est celle des agrégats statistiques et en la mélangeant (à tort selon moi) avec des résultats d’enquêtes et de sondages.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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ECONOMIE

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