Depuis quatre ans, en juillet, le centre de vacances installé à Daglan (Dordogne) propose à une quarantaine de jeunes, de 11 à 14 ans, de Saint-Denis et La Courneuve (93), des « ateliers philo ». Chaque jour, après le repas de midi, Clara Guenoun, assistante sanitaire, les invite à échanger leurs réflexions et leurs paroles sur les thèmes qu’ils ont choisis. L’occasion de « s’apercevoir qu’ils peuvent être producteurs d’une pensée qui leur est propre, que cette pensée est une force quand elle est mise en mots, et que ce sont toutes ces pensées qui font l’humanité », explique Clara. Quelques extraits de la cuvée 2005 (les propos des adultes, animateurs du centre, ont été mis en italique).

LA DISPUTE

 En fait pour moi la dispute, c’est un conflit qui naît entre des personnes.

 Pour moi la dispute c’est quand deux personnes ne sont pas d’accord l’une avec l’autre et qu’elles se fâchent.

 Pour moi la dispute c’est une chose essentielle, parce que je préfère voir deux personnes qui s’aiment et qui se disputent plutôt que des personnes qui ne se calculent même pas. Quand on ne se calcule pas, c’est sûr qu’on ne va pas se disputer, mais la dispute c’est un truc de la vie.

 La dispute c’est quelque chose qui peut arriver à tout le monde, ce n’est pas quelque chose qui arrive à certaines personnes seulement. Dès que tu as quelque chose qui ne va pas avec quelqu’un, directement ça peut se transformer en dispute.

 En fait parfois c’est mieux de se disputer que de garder les choses au fond de soi, parce qu’avec l’autre personne tout est clair : il n’y aura pas de malentendus ou d’autres choses qui vont générer encore plus de conflits en fait.

 Quelquefois ce n’est pas bien d’avoir des conflits, ça mène plus loin : si c’est un couple qui a des conflits, à la fin ils vont se séparer.

 S’il y a un couple qui a des conflits, ça montre qu’ils s’aiment.

 Parfois c’est à cause de la jalousie, et parfois ils se disputent pour un oui ou pour un non et ça crée les conflits.

 Quand on se dispute, on dit des choses qu’à un moment donné on ne pense plus. Ca nous déborde, on devient en colère et on va dire des choses à l’autre qui ne sont pas vraies, qu’on ne pense pas vraiment.

 On essaie d’arranger ce qui ne va pas, s’il y a des gens qui nous entourent ben ils nous aident.

 Il faut plutôt vivre avec que vivre sans, vaut mieux l’accepter et s’améliorer avec notre passé.

 C’est plus dur d’être entre une dispute, parce qu’on subit plus les deux côtés alors c’est plus difficile.

 C’est plus dur d’être la cause d’une dispute.

 Moi quand je me dispute, quand je suis en conflit, quand je suis en désaccord avec quelqu’un que j’aime, ce n’est pas grave pour moi. Mais quand c’est avec quelqu’un que je n’aime pas ça me bouleverse beaucoup, et quand ça m’arrive je dors une nuit et le lendemain quand je repense à la dispute ça a complètement baissé dans l’émotion.

 J’avoue c’est vrai ce qu’elle a dit K… : c’est très difficile d’être des deux côtés parce que parfois, on n’arrive pas à dire, à aider les deux personnes parce qu’on est au milieu, on ne peut pas choisir donc ça fait qu’il y a des fois où c’est un peu difficile.

 Le mot « dispute », il est bête, mais ça aide à se comprendre vis-à-vis de l’autre.

 « Dispute », c’est un mot naturel, mais il y a des fois où ça blesse. Il faut essayer d’arranger tout mais si on est entouré, c’est mieux que si on est seul. Mais c’est dur d’être face à face quand on essaie de s’expliquer.

 En fait ce qui est normal c’est d’avoir des désaccords avec les gens ou des incompréhensions, mais ce qui serait vraiment bien c’est de s’expliquer, parce que pour moi dans l’idée de la dispute il y a toujours l’idée de la violence et ça c’est difficile.

Merci à Linda, Rebecca, Kohane, Clément, Christelle, Eddy, Kassim, Sabrina, Candy, Mélinda, Nathalie, Kona, Rania, Fatoch, Marie-France et Patricia.

ETRE UNE FILLE, ETRE UN GARCON, DANS LA CITE

 Quelque part, dès qu’on parle de ça, les gens ils ont une mauvaise philosophie sur les filles dans la cité. Avec leurs idées strictes, ils ont des pensées un peu bêtes sur les filles, alors que des choses faites par les garçons on ne les considèrera pas comme ça. Ca serait mieux que les filles et les garçons soient égaux dans les cités, et pas que les filles soient plus mal vues que les garçons.

 Moi je pense que les filles doivent être égales aux garçons dans la cité, partout et tout le temps. Je pense que ça doit être très difficile d’être une fille dans la cité, mais je pense que les garçons rencontrent d’autres difficultés. Les difficultés ne sont pas les mêmes mais je pense que ce n’est pas plus facile pour l’un que pour l’autre.

 Moi j’ vais continuer sur ce qu’elle dit : la difficulté du garçon… Moi j’ comprends que c’est beaucoup plus difficile d’être une fille dans une cité, parce que c’est vrai qu’il y a beaucoup d’interdits posés sur les filles qui ne le sont pas sur les garçons : les sorties, les tenues vestimentaires. C’est vrai: il y a plein d’interdits qui sont pourtant des droits élémentaires, mais la difficulté du garçon c’est que, si on veut être intégré dans une cité, eh ben il faut avoir tous ces préjugés-là sur les filles : il faut être un macho, traiter les filles de « putes » et dire qu’elles sont « bonnes » . Un garçon, dans une cité, il ne peut pas se permettre d’être doux, gentil ou amoureux : il est obligé de rentrer dans un moule.

 En plus les garçons dans les cités ils sont souvent influencés, c’est ça qui change toutes leurs idées envers les filles et envers les difficultés qu’ils ont. Ils doivent éviter de prendre des routes difficiles comme la drogue, les armes, le terrorisme. Les filles ont d’autres obligations.

 En France, on est dans un état de droit, contrairement à certains autres pays où les droits des personnes n’existent pas, ou bien existent mais sont bafoués. En France, même si tous les droits ne sont pas respectés, il faut que les filles sachent qu’elles ont des droits et les garçons qu’ils ont des droits. Et on a même aussi le droit d’être, comment dire…, d’être différent de la majorité, d’être soi-même. Et moi je crois beaucoup à tout ça, je crois qu’il faut que les gens prennent conscience qu’ils ont à dire : « Moi je, moi je pense comme ça » , et peut-être que s’il y a moins ce sentiment de troupeau, de suivre la bande, de faire ce que disent les autres, peut-être que ça avancera.

 En fait il n’y a pas de droit dans les cités parce que les filles sont toujours…, on est obligé de s’habiller en pantalon, pas de mini-jupe, tout ça… Il y en a qui voudraient se changer mais les garçons ils les jugent trop, c’est pour ça qu’il n’y a pas de droit dans les cités.

 Moi j’ai remarqué que quand une fille avait un grand frère ou quelque chose comme ça, les garçons ils ne jugent pas tellement cette fille. Mais la fille qui n’a pas de frère, qui est seule et tout, ils veulent la juger, l’embêter, des choses comme ça…

 Dans une cité, comme elle l’a dit, il n’y a pas de droit. Quand un garçon ou une fille a des problèmes et qu’il n’arrive pas à en parler -des problèmes graves comme être insulté, traité, tapé- eh ben aller voir la police c’est impossible parce que ce n’est pas un ministre sur une petite chaise qui fera des choses. La police elle n’est pas dans les cités, elle ne voit pas ce qui se passe, ça ne changera rien d’aller à la police pour dire : « Tenez, j’ai une plainte contre untel ». Parce que dans la cité, si on sait qu’ils ont porté plainte, on les traite de balances et ce sera encore pire. C’est pour ça que les gens n’arrivent pas à bouger leurs fesses pour aller voir la police.

 Les grands frères dans les cités c’est eux qui protègent mais c’est eux aussi qui interdisent les sorties et tout ça. C’est pas seulement les garçons qui sont à l’extérieur qui interdisent, mais c’est aussi ceux qui sont dans la maison, c’est-à-dire que la relation garçons-filles j’ai l’impression qu’elle est un peu la même à l’extérieur et dans la famille. C’est vrai que si une fille a un grand frère elle va être respectée, mais le jour où cette fille-là va demander à son frère de sortir, eh ben il va se donner le droit de lui dire oui ou non – parce que souvent ils disent non les grands frères – et ça non plus c’est pas normal ce rôle des grands frères et des garçons qui est donné dans la famille : c’est les rois, c’est eux qui décident. Ca c’est pas normal.

 Bon, la cité, ça fait partie de la ville, ce n’est pas un endroit à part, donc le droit existe dans la cité puisqu’il existe sur tout le territoire français. Mais qu’il ne soit pas respecté, je l’observe aussi. A partir du moment où un droit n’est pas respecté, on a le droit d’aller se plaindre, il faut trouver des personnes pour ça et notre plainte sera prise au sérieux : il y a les assistantes sociales, les éducateurs, les enseignants. Ca demande du courage -le courage c’est affronter quelque chose qui nous fait peur- et c’est vrai qu’il faut avoir ce courage de sortir un peu du lot, et tout ça prend beaucoup de temps : ce n’est pas en trois ans que ça se fait, c’est en plusieurs générations, c’est peut-être à la génération de vos enfants que les choses auront vraiment changé, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut se décourager.

 En fait j’ai eu un problème en cours, et mon collège il est un peu strict : un jeune me traitait souvent, jusqu’à ce que j’arrive à un bord où je n’en pouvais plus. Et pendant tout ce temps où il me traitait, je suis allé souvent voir le même enseignant qui un jour a eu une réponse comme ça : « Nous, on joue plusieurs rôles, le rôle d’éducateur, le rôle de la police, mais moi j’aimerais bien avoir cinq salaires, j’ peux pas tout faire, alors tu vas voir autre part ou bien tu règles ton truc toi même ». La réponse m’avait un peu mis les boules, et deux jours après le jeune m’a encore dit un mot très vulgaire que je n’ai pas supporté, alors je sais que ça ne se fait pas mais j’ai répondu en frappant, et en fait j’l’ai mis à saigner. Le CPE il m’est tombé dessus, il m’a tué de paroles et j’ me suis retrouvé devant la police. J’ai dû prouver plusieurs choses sur des mots dans mon carnet, et le CPE a dû plusieurs jours après me donner des excuses pour ce qu’il avait fait. Alors les enseignants ou les éducateurs, ce n’est pas toujours eux qui peuvent résoudre les problèmes surtout dans des cités.

 D’accord, il y a des enseignants qui sont comme ça, mais il y a aussi des enseignants et des éducateurs, des assistantes sociales qui sont différents de ça.

Merci à Mélinda, Mohamed, Boubou, Yancoubou, Christelle, Kona, Linda, Landry, Mody, Moktar, Nicolas, Mounir, Patricia et Pauline.

L’AMOUR

 L’amour c’est beau.

 Ben le mot « aimer » ça veut dire, soit on aime une personne, soit… j’ai oublié.

 L’amour c’est comme un peu se lier à une personne entre un homme et une femme.

 L’amour c’est une sensation unique.

 L’amour ça peut être entre un homme et une femme, entre deux filles, entre n’importe qui, dans la famille, entre un homme et une femme.

 L’amour c’est deux personnes qui ressentent des sentiments l’un envers l’autre.

 L’amour c’est avoir confiance en soi.

 Ben il y a l’amour entre deux personnes et il y a aussi l’amour familial, et c’est un peu la même chose sur le mot mais ça a deux sens différents : l’un c’est plus aimer les gens qu’on côtoie dans la vie, et l’amour entre deux personnes c’est une autre sensation on peut dire.

 Moi j ‘ dirais qu’il y a l’amour quand on aime une personne et qu’il y a l’acte sexuel.

 En fait quand on aime quelqu’un, je pense que ce qui est important c’est de l’aider à s’aimer soi-même, s’il ne s’aime pas déjà lui-même, de lui renvoyer une belle image, de lui ou d’elle bien sûr.

 L’amour pendant l’acte sexuel c’est une preuve de confiance en l’autre, pour lui dire « Je te laisse mon corps, tu me laisses le tien » , et je trouve que c’est une grande confiance envers l’autre qu’a l’autre personne envers elle.

 Quand on aime et qu’on est aimé, la vie est belle et les oiseaux chantent.

 On peut aimer aussi en amitié, on peut aimer une copine : c’est aimer.

 Je trouve que l’amour c’est une denrée incroyable parce que plus on en donne et plus on en reçoit. Je crois que plus on en donne, et au lieu d’en perdre, plus on en gagne.

 Dès qu’on dit « amour » , ben parfois on arrive à des choix : le mariage, les fiançailles. Et dans les preuves d’affection énorme entre deux personnes, arrivent par exemple des frères ou des sœurs.

 L’amour ça peut aussi être réciproque.

 L’amour ça peut être aussi entre un animal et nous.

 En fait quand on dit le mot « aimer » à une personne, c’est qu’on ressent des choses très fortes pour elle, des sentiments ou autre chose.

 En fait si on ouvre le dictionnaire à la page d' »aimer », il y a une trentaine de lignes. C’est pour dire que le mot « aimer » veut dire beaucoup de choses : c’est pour les animaux, c’est pour le familial, c’est pour les amoureux, ça veut dire qu' »aimer » on peut le dire à une personne en qui on a confiance et qu’on aime, qu’on a dans le cœur, on pense à elle parfois.

 Dans l’amour il n’y a pas de limites : ça peut toujours continuer comme s’arrêter, et voilà.

 Il y a des gens qui parfois n’ont pas confiance dans le mot « aimer ».

 Le mot « aimer » , c’est avoir de l’affection pour quelqu’un ou quelque chose.

 Je pense que ce qui est totalement primordial, c’est d’avoir été aimé dans les toutes premières années de sa vie par ses parents : ça, ça donne des forces pour toute sa vie. Et je voulais dire que l’amour on croit que c’est illimité, c’est beau de penser que c’est éternel, mais moi je pense que l’amour c’est comme un feu : c’est un feu qui brûle en nous mais qui peut s’éteindre. Il faut l’entretenir, il ne faut pas croire que quand on est aimé et qu’on aime ça va durer toute la vie, quoi qu’on fasse. Il y a des choses qui font que l’amour un jour il peut mourir.

 Ben moi j’ pense aussi que dès qu’on est enfant, dans les premières années de notre vie, si on n’a pas tout l’amour qu’on veut, c’est comme si on avait envie les années d’après de recevoir encore plus d’amour d’une personne ou d’aimer encore plus.

 Il y a des gens qui jouent avec l’amour des autres : ils disent à quelqu’un, par exemple, qu’ils l’aiment, et deux jours après ils lui disent : « J’ t’aime plus ».

 Pour moi il y a une différence entre l’amour de sa famille, qu’on ne choisit pas à la base – et du coup le temps passe et on se sent obligé de les aimer, alors qu’on n’est pas obligé, même si c’est dur à dire -, et la personne avec qui on veut vivre, qu’on aime vraiment parce qu’on l’a choisie. Et en amitié c’est pareil : nos amis on les choisit, on a envie d’être avec eux, on est content qu’ils soient avec nous, alors que notre famille elle arrive là comme ça. C’est eux qui ont choisi qu’on vienne sur terre mais pas nous.

 Ben moi j’ trouve que c’est complètement vrai : dès qu’on arrive sur terre, on n’a pas voulu venir sur terre par nos parents et on n’est pas obligé d’aimer un père ou une mère. Dès qu’on se sent obligé d’aimer un père alors qu’on ne l’aime pas, eh ben ça fait un peu de mal à son cœur, à lui-même, ça veut dire qu’après on a le sentiment de montrer son amour, mais que dans le cœur en fait on n’a rien du tout.

 En fait l’amour quand même c’est important dans la vie, parce que sans amour ça serait bizarre.

 Quand on naît, c’est pas nous qui avons demandé, et les parents ils croient qu’on est obligé de les aimer parce qu’à chaque fois, j’ sais pas si vous ressentez la même chose, on se dispute avec les parents et après, je sais pas comment expliquer… ça veut dire… je sais pas comment expliquer.

 Moi j’ trouve que dans la vie on a tous eu au moins une personne qu’on aimait, même qu’on soit petit, grand, gros, maigre, eh ben on a tous un amour.

 Moi j’ voulais dire que l’amour de la famille, moi j’ trouve que ça passe avant tout.

 Peu importe que ce soit l’amour de la famille, d’une personne, d’un animal ou d’un objet, tant qu’il y a de l’amour.

 Ce qui se passe entre deux personnes, l’amour quoi, je trouve que c’est une grande décision. Quand on a des projets, qu’on veut se marier, ben faut pas prendre ça à la légère, on ne peut pas aimer quelqu’un un jour et quelques semaines plus tard tout casser du jour au lendemain.

Merci à Nathalie, Rebecca, Jade, Gaëlle, Mohamed, Amine, Eddy, Jonathan, Kohane, Jennifer, Michel, Louis, Fabien, Patricia et Priscilla.

ETRE VRAI, ETRE SOI-MEME

 J’ pense que pour être vrai il faut avoir un minimum conscience qu’on a de la valeur, parce que si on pense qu’on est nul, on va forcément avoir envie de jouer le rôle de quelqu’un qui est bien puisque on pense qu’on n’est pas bien, alors que si on pense qu’on est quelqu’un de bien, ça ne veut pas dire forcément quelqu’un d’extraordinaire, juste suffisamment bien pour être avec les autres, eh ben on a juste à être soi-même.

 Etre vrai c’est être soi-même, montrer ce qu’on a dans le cœur.

 Etre vrai c’est ce qu’on est en vérité.

 Etre vrai c’est ne pas vivre en fonction des autres, c’est ne pas faire attention au regard des autres, être naturel.

 Etre vrai c’est ce qu’on vit tous les jours.

 Etre vrai c’est comme chacun de nous ici : on est comme on est et c’est comme ça.

 Etre vrai c’est ne pas avoir peur de montrer ce qu’on a dans le cœur, parce que souvent on attend d’entendre le regard des autres, et dès qu’ils nous disent des choses pas bien sur nous on va essayer directement de les changer, et en fait on ne sera plus vrai et là c’est montrer une autre formule de notre pensée.

 Dans certaines situations c’est difficile d’être soi-même, et parfois pour s’en sortir, on est obligé de montrer une autre personnalité, sinon on est fini.

 En fait quelqu’un qui chaque jour veut être vrai, c’est difficile parce que les gens maintenant dans la vie ils dépendent du regard de l’autre personne, tout le temps, c’est comme ça. On se dit : « Tiens je vais mettre ce jean, comme elle a l’autre personne » alors qu’il faut être sûr de soi et faire les choses comme on le sent.

 Et en fait, pour avoir une assez bonne image de soi-même, je pense qu’il faut garder à l’intérieur de soi les regards des gens qui nous ont regardé positivement. Par exemple dans le film qu’on a vu (L’esquive), j’ai trouvé qu’il y avait une scène qui était très belle : c’est quand les parents étaient fiers de voir leurs enfants faire du théâtre, qu’ils applaudissaient et que tout le monde était heureux de voir que ces enfants étaient capables de faire un beau spectacle. Les parents étaient très fiers, et ces regards positifs que les parents ont portés sur nous, je pense que ça nous accompagne pendant toute la vie.

 Quand on essaie de ne pas être nous-mêmes, c’est difficile parce qu’on essaie toujours de suivre les regards, genre il faut ça, il faut ça, alors que si on montre notre personnalité, ils vont l’accepter comme on est.

 A un moment la prof (dans le film L’Esquive) elle dit que sur la scène il y a les riches qui veulent jouer les pauvres et les pauvres qui veulent jouer les riches. Et en fait on se rend compte que les riches n’arrivent pas à jouer les pauvres puisqu’ils sont riches naturellement, et vice versa. Etre vrai c’est… on ne peut pas être faux parce que obligatoirement va ressurgir ce qu’on a de vrai chez nous.

 Toujours autour du film : on a vu quoi ? On a vu une personne qui avait envie de faire du théâtre par rapport à une fille. Ben ça en fait c’est encore du cinéma, parce que dans les cités ils vont dire : « Les autres ils vont me traiter, ils vont m’insulter et me dire des choses comme « pédé » , tout ça juste parce que je fais du théâtre, eh ben tiens j’en ferai pas ». Tout ça à cause du regard des autres, et ça ça gâche des passions, ça gâche des envies, et des gens sont obligés de faire du théâtre en cachette.

 Quand on est soi-même c’est plus facile parce qu’on montre ce qu’on est et on n’a pas besoin de se cacher, alors que quand on essaie d’être quelqu’un d’autre, on est toujours obligé de regarder si ça va bien ou si ça va pas, donc c’est plus difficile.

 J’ pense qu’on est plus soi-même avec les gens qu’on connaît mieux qu’avec les gens qu’on ne connaît pas bien, parce qu’avec les gens qu’on ne connaît pas bien on ne va pas essayer de se montrer tel qu’on est réellement, alors que nos proches ils nous connaissent donc ça va être plus facile.

 Ben moi, j’ crois qu’il faut accepter qu’on n’est pas parfait, qu’on a des défauts. Et il me semble que moi j’arrive à être vraie avec les gens quand je suis dans un groupe où je me dis que je peux avoir confiance. Par exemple dans ce groupe-là, ce soir, j’ai confiance : les gens ne sont pas là pour me juger mais sont là, comme moi, pour réfléchir, donc je peux être moi-même. Et je remarque que parfois il faut qu’il y ait quelqu’un qui mène le groupe pour que ça se passe bien, par exemple dans une classe à l’école, ça peut être super si le prof met en confiance les élèves les uns avec les autres, mais ça peut être le bazar total s’il n’y a pas ça.

 Pour moi les gens qui ne veulent pas être eux-mêmes c’est des gens qui veulent plaire aux autres, ils veulent faire leurs intéressants, ils veulent être les meilleurs alors ils changent.

 Moi ce que je trouve intéressant c’est de se dire, quand on a l’impression de ne pas être soi-même, qu’on est égaux, et que face à l’égalité on ne peut être que soi-même puisqu’on est égal aux autres, donc on n’a pas besoin de s’affirmer.

 Au niveau de rebondir sur la question, dès qu’on arrive dans un endroit où on n’a pas l’habitude d’être, on voit des gens nouveaux, on est un peu timide, un peu renfermé sur soi-même, et on montre des choses qui ne sont pas vraies. Parfois par exemple, une personne qui n’a pas de mal à parler, le premier jour elle va être timide, renfermée, elle va rester dans sa chambre. Alors que quand on est avec notre famille, on montre la pureté de nos pensées, on vit ce qu’on vit avec eux en fait, on vit au jour le jour, on fait les choses comme on est.

 C’est comme quand on est arrivé au centre : il y en a comme moi, j’étais un peu timide, je n’arrivais pas à parler parce que je ne connaissais personne, et quand on a appris à se connaître et ben on n’est plus timide.

 Parfois être soi-même c’est plus dur, parce qu’on peut être rejeté par les autres parce qu’on est différent.

 C’est mieux quand on est soi-même, parce que quand on n’est pas soi-même on essaie plus de faire des choses par rapport au regard des autres. Alors que quand on est soi-même, les autres, même si au début ils ne nous aiment pas, à la fin ils nous acceptent comme on est.

 C’est vrai qu’il faut être soi-même mais parfois, dans plusieurs situations, on n’a pas le choix de montrer notre personnalité, et pour s’en sortir ou face à une situation assez délicate, on est obligé de montrer une autre personnalité.

 En fait, à la fin du spectacle des petits, dans le film, la dernière réplique c’est : « Tout ce grand voyage pour revenir à soi-même… » Ca m’a plu cette phrase parce que ça m’a fait penser aux vieux sages qui ont cherché toute leur vie, et qui finalement arrivent à vivre simplement comme ils sont. Il y a une autre phrase que j’aime bien et que je voulais vous faire partager, c’est Jean Cocteau qui a dit : « Ce que les autres n’aiment pas chez toi, cultive-le : c’est toi ».

 Dans le film on voit des gens au cinéma mais c’est comme s’ils étaient dans leur vraie vie. Krimo on voit qu’il est timide, qu’il ne parle pas beaucoup, mais en dehors du film -ça c’est la preuve qu’on ne peut pas être vrai partout- je l’ai vu dans des interviews : il disait des choses pas bien sur les gens qui ont participé au film, alors qu’à d’autres moments il disait des choses bien. Et ça je me demande à quoi ça rime, et c’est la preuve qu’on n’est pas toujours soi-même partout, surtout dans des cas où on se croit supérieur aux autres.

 Pour rebondir sur la fin du film qui disait : « Tout ce grand voyage pour rien… » – parce que la base de l’histoire c’est une histoire d’amour entre Lydia et Krimo – on se rend compte que toutes ces embrouilles autour de cette histoire, c’est pour rien : à la fin on voit que Lydia passe sous la fenêtre de Krimo et qu’il ne se passe rien.

Merci à Rania, Mody, Boubou, Amine, Nathalie, Kassim, Rebecca, Nicolas, Eddy, Moktar, Kona, Sabrina, Linda, Christelle, Clément, Landry, Mohamed, Jelali et Patricia.

Au sujet de Philippe Merlant

Journaliste professionnel depuis 1975 (France Inter, L’Equipe, Libération, Autrement, L’Entreprise, L’Expansion, Tranversales Science Culture et aujourd’hui La Vie) et co-fondateur du site Internet Place publique, Philippe Merlant travaille depuis 1996 sur les conditions d’émergence d’une information « citoyenne ». Il a été le co-auteur ou le coordinateur de plusieurs livres collectifs, notamment : Histoire(s) d’innover (avec l’Anvar, Paris, InterEditions, 1992), Sortir de l’économisme (avec René Passet et Jacques Robin, Ivry-sur-Seine, Editions de l’Atelier, 2003) et Où va le mouvement altermondialisation ? (avec les revues Mouvements et Transversales, Paris, La Découverte, 2003).

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