Voilà une affaire bien française qui secoue les sphères intellectuelles : l’emploi du Français dans l’enseignement supérieur. Loin d’être une querelle d’experts, une forme de combat des anciens contre les modernes, elle met en lumière deux sujets déterminants : le rôle de la langue française face à l’expansionnisme de l’anglais et l’influence de l’université française dans le monde.

« L’affaire » a commencé le 20 mars quand Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, a présenté en Conseil des Ministres un projet de loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche qui vise notamment à étendre l’autorisation des enseignements en langue étrangère dans les universités.

L’actuel article L121-3II du Code de l’Éducation dispose que la langue de l’enseignement supérieur est le français, sauf deux exceptions justifiées par les nécessités pour l’enseignement des langues étrangères ou pour les enseignements des professeurs étrangers invités. Le projet de loi ajoute à cet article deux exceptions supplémentaires : lorsque les enseignements sont dispensés dans le cadre d’un accord avec une institution étrangère ou internationale ou dans le cadre de programmes européens.

L’argument avancé par la ministre de l’Enseignement supérieur tient au renforcement du rôle d’attractivité des facultés françaises. Plaçant cette disposition « dans la continuité de l’abrogation de la circulaire Guéant qui limitait l’accès à l’emploi pour les diplômés étrangers », le ministère souligne (je cite) : « C’est en permettant aux étudiants étrangers de suivre des enseignements dans leurs langues que nous pouvons leur donner envie de s’imprégner de la culture française, pour mieux la diffuser ensuite. ».(L’observateur remarquera le propos apparemment paradoxal : c’est en permettant aux étudiants de suivre des enseignements dans une autre langue, et plus spécialement l’anglais, que ceux-ci pourront découvrir et apprécier la culture française. Comme si la langue ne constituait pas un élément fondateur de la culture d’un pays ! ) Et Geneviève Fioraso détaillait : »L’Inde compte un milliard d’habitants, mais nous n’accueillons que 3 000 étudiants indiens en France. Nous sommes ridicules. L’une des raisons est qu’il n’y a pas assez de cours en anglais ».

Mesure en soi mineure dans un projet de loi aux larges ambitions, cette disposition réduisant l’emploi du Français a aussitôt suscité une levée de boucliers des défenseurs –et promoteurs – de la langue française. Gardienne de la langue, l’Académie française demande « instamment » au législateur de renoncer à cette mesure présentée comme d’ordre technique mais qui de fait «favorise une marginalisation de notre langue » en portant atteinte au statut de la langue française dans l’Université.

Alimentant largement les colonnes des journaux par leurs points de vue, les gardiens de la langue française voient dans cette mesure une rupture avec les décisions officielles prises depuis 1972 –et notamment la loi Toubon du 4 août 1994, pour éviter « l’intrusion » de l’anglais dans la langue parlée et écrite française. Le législateur s’appuie sur un principe défini dans la Constitution en son article 2 : « : « La langue de la République est le français ».

Faudrait-il sacrifier une parcelle du patrimoine culturel français pour accroître l’attraction des universités françaises face à leurs concurrentes ? C’est l’argument de l’efficacité, de la « modernité », de l’ouverture sur le monde vanté jusqu’aux plus hauts lieux de la République. Est-il probant ? Les doutes se manifestent même parmi les rangs socialistes. Pouria Amirshahi, député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France (Afrique du Nord et de l’Ouest), estime non seulement que l’article 2 assène un coup « terrible » à la langue française « qui unit tant de peuples sur les cinq continents » mais affirme que cette disposition n’est nullement en mesure de rendre les universités françaises plus attrayantes. D’ailleurs, ajoute le parlementaire, est-ce bien nécessaire ? : »L’enseignement supérieur en France dispose déjà d’atouts considérables. Le faible coût de l’enseignement, l’intérêt culturel, mais aussi les immenses débouchés que représentent les marchés du travail de l’espace francophone, en Amérique du Nord, en Afrique comme en Europe, sont autant de ressources pour le rayonnement universitaire de la France ».

Ces premières joutes laissent prévoir sur les bancs des Assemblées quand le projet viendra en discussion des échanges riches …. d’enseignements. Et qui ne se résument pas à une querelle de mots.

Au sujet de Jean-Louis Lemarchand

Journaliste économique ayant effectué sa carrière dans la presse écrite (AFP, Les Echos, l’Express, La Tribune, La Revue de l’Energie) et la presse d’entreprise (Vivendi-Universal, Caisse d’Epargne), auteur (en collaboration) d’ouvrages sur l’énergie (Biocarburants ; 5 questions qui dérangent ; Le dernier siècle du pétrole : la vérité sur les réserves mondiales, tous deux aux Editions Technip).

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