Les prémisses de l’avenir du travail sont déjà là. Les horaires fixes accusent un recul de plus en plus fort. Les heures de travail quotidien deviennent de plus en plus flexibles tandis que les horaires atypiques ou variables : temps partiel, travail de nuit, horaires décalés, heures sup, travail le dimanche… se cumulent ; bon gré, mal gré. Les rapports du travail au temps et à l’espace sont modifiés sous le double effet d’internet et de la société de la connaissance. De nombreuses activités n’ont plus besoin de lieux identifiées pour être exercées ; conseil, expertise, recherche. Déjà, de plus en plus de free lance, networkers ou travailleurs indépendants s’organisent dans des plates-formes communes de partage des ressources. A l’avenir, le travail ne sera plus enfermé dans une simple valeur « métrique ».

Le progrès technologique et l’innovation sociale formeront le réservoir déterminant de la productivité, disent les sociologues du travail. Pour nombre d’entre eux, cet enjeu se confond avec celui de la société de la connaissance dans laquelle nous entrons. Ce n’est désormais pas tant la quantité ou la durée du travail qui compte que la créativité et la qualité du travail bien fait. Bientôt un milliard d’individus seront en ligne avec la possibilité de collaborer sur le plan économique, de partager des connaissances, de fabriquer des idées et des services. Pour Denis Ettighoffer, (« Netbrain ». chez Dunod), « l’enjeu des revenus tirés des patrimoines intellectuels, des connaissances et des inventions, va devenir clé. On ne pourra plus, selon lui, payer les gens au temps passé, mais au résultat attendu ». Et ces résultats seront d’autant plus productifs que les personnes auront la liberté d’organiser leur temps, qu’elles pourront s’investir personnellement dans une tache qui les motive et profiter du temps social. « Ce temps social n’est pas improductif, explique Ettighoffer. Il permet d’éliminer du stress, de recharger ses batteries, d’échanger des idées ».

Le paradoxe de la productivité s’énonce clairement : les personnes sont beaucoup plus productives là où elles peuvent s’investir personnellement, hors du temps de travail, que pendant les heures dans l’entreprise. Aussi bien, l’un des enjeux de la société de la connaissance est-il la fertilisation croisée du professionnel et du personnel. Il s’agit d’apporter au travail une implication créative individuelle. Cette tendance est facilitée par Internet, le portable et les technologies de l’information qui créent de plus en plus un continuum entre vie au travail et vie en dehors du travail. L’activité ne se réduira plus à du temps de fabrication induisant une quantité de choses produites. «Elle s’apparentera de plus en plus à un continuum de situations variées, avec des gens plus ou moins intégrés » explique Bernard Galembaud (in « La nouvelle configuration humaine de l’entreprise ». ESF.EME)
L’homme au travail s’émancipe peu à peu de l’entreprise en organisant de nouvelles solidarités professionnelles. Cette tendance prend actuellement la forme du télétravail et du travail coopératif en réseau, très développés dans les pays scandinaves et anglo-saxons. Développement des plates-formes commune de partage des ressources, nomadisme électronique, free lance ou net working, le travail s’affranchit de l’espace et sort de l’entreprise. Ce qui fait dire à certains que « les réseaux de compétences remplaceront les bassins d’emplois ».
Nous commençons à assister au développement de la pluriactivité, affirme le sociologue Guy Aznar ( « La fin des années chômage. La stratégie de l’emploi pluriel ». Syros). Nous nous consacrerons à plusieurs métiers et plusieurs taches à la fois ». Dans certains cas, le travail salarié ne sera qu’une composante parmi d’autres. Aznar insiste sur la nécessité de réduire sa place dans nos têtes et dans nos vies au profit d’autres activités personnelles (relations affectives, création individuelle..) ou associatives (vie de quartier, vie culturelle..). L’emploi pluriel permet de dégager ce temps qui devient précieux. Le post salarié de l’an 2020 va alterner des périodes d’emploi, d’inactivité et de formation tout au long de la vie. Des études sont aujourd’hui menées pour définir un système de protection sociale individualisé : contrat flexible, transférable d’une entreprise à l’autre. La conséquence du travail éclaté engendre cependant une forme d’insécurité : obligation de changer d’emploi plusieurs fois dans sa vie ; difficultés de concentration, relations plus fréquents mais plus brèves, isolement face à la prise de décision, risques décisionnels au moment d’un choix important, dérégulation des rythmes de travail. Aussi bien, un système hybride télétravail/travail dans l’entreprise ou au sein d’une équipe, basé sur l’aménagement du temps, permettrait aux salariés et au management de respecter et d’organiser la possibilité de choisir en fonction des réalités individuelle des uns et des autres.

Cette société de connaissance se confond avec la multiplication des services à valeur ajoutée sur le plan social. Le vieillissement de la population esquisse de nombreuses perspectives d’activités dans les services à apporter non seulement aux gens qui vivront plus longtemps mais aussi au retraités qui auront encore de belles années devant eux et qui auront besoin de services : (services à la personne, culture, tourisme, santé…). Les métiers de la relation sociale et de l’intermédiation seront au cœur des évolutions du monde du travail . L’économiste américain, Jeremy Rifkin, estime que 75% des tâches sont répétitives et sans intérêt. Il faut laisser les machines faire le travail. Pour lui, l’avenir des emplois est dans un nouveau secteur : la société civile. Le vieillissement de la population esquisse de nombreuses perspectives d’activités dans les services à apporter non seulement aux gens qui vivront plus longtemps mais aussi aux retraités qui auront encore de belles années devant eux et qui auront besoin de services.

Dans le travailleur de demain, on trouvera de plus en plus l’artiste, l’artisan, capable de polyactivité. Il peut faire plusieurs choses à la fois. Il aura plusieurs sources de revenus. Les gens seront payés en fonction de leur engagement. Cela contribuera à la motivation. L’imaginaire va devenir la puissance de feu de l’économie. Il faut donc apprendre à regarder devant soi et accepter de rêver. Concluons avec Roger Sue (Temps et ordre social PUF) qui explique que « tous les grands penseurs de la modernité, d’Adam Smith à Marx, en passant par Saint-Simon, et plus proches de nous, Keynes et Hannah Arendt ont dit que le travail avait pour vocation de s’autosupprimer ».

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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