Dans un contexte d’échec patent du capitalisme financiarisé et des politiques prônant l’individualisme et le court terme, l’esprit coopératif, mutualiste, ou associatif, parce qu’il reconnaît la primauté du social comme une dimension majeure de l’économie et parce qu’il se veut durable, est aujourd’hui sollicité.

Pas de doute. Les entreprises sociales et solidaires ont le vent en poupe. Les responsables politiques qui ont longtemps ignoré, méprisé ou minimisé le rôle de l’économie sociale en la reléguant au rayon d’ « accident de l’Histoire » ou, carrément, à la rubrique nécrologie – comme le fit il n’y a pas si longtemps un commissaire européen – l’appellent désormais en renfort.

Le 19 février 2009, une résolution du Parlement européen prenait acte de l’importance de l’économie sociale dans la crise. Le Plan d’action Obama, présenté le 9 février 2009 prévoit des investissements importants pour favoriser la création d’entreprises sociales. Un signe : la création le 12 mars dernier d’une Ecole de l’Entrepreneuriat en Economie Sociale à Marseille. La première du genre en France. Enfin, il n’est qu’à compter le nombre de Scop dans l’hexagone. Il a triplé en huit ans. Assistons-nous à une réelle volonté de changer l’économie ou bien n’est-ce là que l’un des épisodes de l’utilisation de l’économie sociale comme roue de secours, pour éviter l’accident grave ou équilibrer les problèmes de cohésion sociale ? Une chose est sûre, la réalité de ce dynamisme historique, en constante évolution, reste méconnu.

Une multiplicité d’acteur mais des principes communs
Au juste, qu’est ce que l’économie sociale ? La commission européenne parle de « 3ème système ». Il inclut une multiplicité de parties prenantes : les associations, les fondations, les mutuelles, les coopératives… Certains utilisent le terme de secteur à but non lucratif.

A la différence du capitalisme où c’est celui qui finance qui décide, dans l’économie sociale, le projet est collectif. Il n’appelle pas à l’accumulation du capital. « Le profit n’est donc pas le but de ces entités. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne doivent pas réaliser des bénéfices, essentiels pour assurer la stabilité financière et donc la pérennisation de la structure », explique Antonella Noya, analyste des Politiques au sein du programme OCDE-LEED. « L’économie sociale a toujours été dans le marché, mais pas dans le monétaire. Ceux qui veulent l’écarteler entre le marchand et le non-marchand n’ont pas compris la nature même de l’économie sociale, renchérit Thierry Jeantet, directeur général d’Euresa, un réseau européen regroupant des mutuelles et des coopératives d’assurance. L’économie sociale a toujours défendu la pluralité d’entreprendre ».

« Qu’il s’agisse des « charities » à l’anglosaxonne, des organisations autogérées allemandes (Netz) , des « communautés » au Brésil, ou des sociétés coopératives ouvrières de production (Scop) à la française, l’économie sociale est animée par des principes démocratiques qui forment une ligne de rupture avec le capitalisme », soutient Thierry Jeantet. «Ces règles sont l’épanouissement de la personne, la « libre adhésion », la juste répartition de la création de richesse, l’indépendance vis-à-vis des Etats, les valeurs collectives de solidarité, la gestion équitable (une personne = une voix à la différence des sociétés où une action = une voix)». Dans les Scop, les salariés sont associés majoritaires. Ils détiennent au moins 51% du capital, et représentent au moins 65% des droits de vote, mutualisant équitablement les risques et les grandes décisions.

L’économie sociale restera-t-elle marginalisée ou est-elle appelée à devenir le socle d’une économie durable ?

Selon les Organisations de solidarité internationale issues de la migration (OSIM), les flux migratoires vont, dans les années à venir, changer la donne en faveur du co-développement. Les pays émergents, eux, n’attendent pas.

Au Brésil, une bonne partie de l’insuffisante réforme agraire passe par l’économie sociale, au sein de laquelle vingt mille coopératives sont très actives. L’élection de l’ex-syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva à la tête du pays, mais surtout l’action du Mouvement des sans-terre (MST) y sont pour quelque chose.

L’organisation des paysans à travers le MST a permis de mieux gérer la production, la transformation et la commercialisation des produits. Elle a également facilité la diffusion des services de base en milieu rural (santé, éducation, etc.), la revalorisation culturelle des campagnes mise à mal par le « tout urbain », l’agriculture biologique, la protection des semences et des variétés locales. Sans parler de la participation accrue des paysans et des ruraux aux décisions.

Dans les pays de l’Europe orientale, où la période de transition a donné à l’économie sociale une orientation « société civile », l’évolution du secteur n’a pas été simple, l’idée de coopérative étant rejetée du fait de son utilisation pendant l’ère communiste. Des mutuelles Santé sont néanmoins en voie de création en Pologne et en Slovénie.

Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le rééquilibrage du social et de l’économique constitue aussi un enjeu essentiel. L’« écodéveloppement » théorisé par l’économiste Ignacy Sachs y devient un enjeu reconnu. Mais il faudra gagner en crédibilité sans perdre de vue la finalité du modèle. Cette économie a « constamment besoin de faire le point sur elle-même pour mieux se projeter dans le futur et réaffirmer clairement son rôle d’alternative globale, insiste M. Jeantet. Sa vraie liberté, c’est d’être un projet politique. Ce n’est pas seulement une myriade d’entreprises dans le monde mais un modèle structurant de la société ».

L’économie sociale ne chôme pas. Constitue-t-elle une alternative au capitalisme ? Comme le sous-tend Thierry Jeantet, « elle ne règlera pas le fardeau de la dette des Etats. Elle ne résoudra pas les crises répétées des réserves internationales… Il serait ridicule de penser qu’elle va être un miraculeux opérateur mondial ». Mais, si elle sort de son rôle d’élève sage, sa plasticité et l’imagination dont elle fait preuve pour développer la solidarité, lui permettent de proposer des solutions, « non pour fonder un ordre mondial, mais plutôt pour permettre aux femmes et aux hommes de participer à un multi-développement mondial ».

* Extraits d’un article de Yan de Kerorguen publié dans le Monde Diplomatique du mois de juillet 2009

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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