Il m’arrive parfois de passer le long de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles, lieu où Pierre et Marie-Curie avaient leur laboratoire. Sur le côté, rue Pierre Brossolette sont exposées sur les murs des photographies. Ce sont des photos de « têtes chercheuses ». Des portrait de femmes honorées pour leur science et leurs recherches.

J’éprouve une certaine émotion à l’idée de leur célébration publique, dans la rue, à deux pas de la rue Vauquelin, là où Pasteur et sa « bande » (Roux, Calmette, Metchnikoff, Jaccotot, Yersin..), s’étaient installées pour travailler, avant de déménager dans les nouveaux bâtiments de la rue Dutot dans le 15ème, comme le raconte Michel Deville dans « Peste&Choléra » (Prix femina 2012). Car on ne le répètera jamais assez, alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans le monde de la recherche, – leur progression est plus vigoureuse que celle de l’effectif masculin – on les connaît et reconnaît beaucoup moins que les hommes.

La même émotion me prend à écouter Pascale Cossart, directrice de l’Unité des interactions Bactéries-cellules et professeur de classe exceptionnelle à l’Institut Pasteur.

Cette biologiste « pasteurienne » vient de gagner le prix Balzan*. Il y a 25 ans, elle a créé une nouvelle discipline la microbiologie cellulaire. Elle est principalement reconnue pour le champ qu’elle a ouvert sur la « listeria », et pour ses recherches fondamentales et cliniques sur les maladies infectieuses. « Nous avons démarré nos travaux à la fin des années 80. Le domaine était terra incognita. C’était en fait une véritable mine d’or pour d’importantes découvertes à venir. ».

C’est au Forum des lauréats du Prix Balzan organisé, dans les locaux de la Swiss National Science Founation, à Berne, que je l’ai rencontrée pour évoquer avec elle son parcours hors du commun qu’elle raconte avec grande simplicité.
Une maîtrise de sciences en 1968. « C’était la période faste de la recherche. La chimie était séparée de la biologie ». Elle effectue ensuite un séjour à Lille dans un laboratoire de chimie biologique. Puis, une année au Laboratoire de chimie des protéines de Georgetown à Washington. Enfin, direction l’Institut Pasteur. Elle obtient une bourse Roux après une interview avec Jacques Monod, l’un des 3 Nobel français en 1965 ( avec Lwoff et Jacob). Elle travaille bientôt au sein de l’équipe de Georges Cohen avec qui elle effectue sa thèse sur le séquençage des protéines. C’est la première scientifique à séquencer un gène. « Pas facile de s’intégrer parmi les pasteuriens, au milieu d’un cénacle scientifique parisien assez fermé, souligne-t-elle. Surtout quand on est provinciale, issue d’un milieu non scientifique. Mais je ne regrette pas. Les recherches développées sont stimulantes, et Paris est magique. Pasteur est un lieu unique au monde qui attire les individualités. C’est un aimant où les gens passent au gré des conférences et des coopérations internationales».

La listeria, tout le monde connaît. La presse en a abondamment parlé à la suite d’une contamination alimentaire imputée au Vacherin Mondor. Cette bactérie qui contamine les aliments peut traverser la barrière intestinale, toucher le foie, entrer dans le sang, et se disséminer dans les organes les plus profonds pour enfin atteindre le cerveau et le placenta des femmes enceintes. Cela peut entrainer des conséquences médicales graves chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli : des avortements, des gastroentérites, des méningites des encéphalites. « Ce qui caractérise « listeria », à la différence d’autres bactéries, c’est qu’elle est capable d’entrer dans nos cellules, de s’y développer et de s’y dioviser ».

C’est en étudiant la listéria, qui ne figure pas parmi les agents infectieux les plus meurtriers, que Pascale Cossart et les équipes de chercheurs ont pu faire des découvertes clés sur les stratégies et les outils utilisées par Listeria et parfois par d’autres bactéries. Son talent avoir su introduire une discipline au bon moment, au sein d’une autre discipline. « En étudiant l’infection des cellules, nous avons découvert des composants de nos cellules que les biologistes cellulaires ne soupçonnaient pas, explique-t-elle. La listéria est un modèle pour mieux comprendre les maladies infectieuses qui reviennent en force. La plus forte résistance aux antibiotiques, les changements climatiques, la contamination animale mais aussi le manque d’hygiène, du à la misère sociale et économique ont créé une nouvelle urgence thérapeutique.

Dans le monde, 15 millions de personnes meurent chaque année de maladie infectieuse. La moitié des morts sont des enfants de moins de 5 ans. Le problème qui se pose, ce n’est pas le traitement, mais la rapidité du diagnostic pour prévenir la maladie, et la recherche de nouveaux vaccins ou de nouveaux médicaments. La situation est grave ». Pour Pascale Cossart, le défi actuel est d’établir une surveillance constante et la connaissance approfondie de la biologie des agents infectieux.

Femme de recherche, Pascal Cossart est aussi femme d’action. « Je suis de culture fondamentale. Ma conviction est qu’il faut aider la recherche fondamentale. Chacun son métier. Mais dans mon cas, les applications de la recherche sont venues assez naturellement. La question de l’alimentation n’intéressait pas les chercheurs, mais cela concernait les industriels. Faire de la science implique de déployer beaucoup d’énergie pour trouver des moyens. Quand les crédits sont passés par l’Agence Nationale de la Recherche ANR, il n’y avait pas à frapper à la porte. C’était plus simple. Mais cette manne s’est beaucoup réduite. L’argent a été placé dans les investissements d’avenir lors de la création du Grand Emprunt. Les expériences coutent cher et parfois, elles ne rapportent rien. Si on veut faire des avancées, il faut donc se battre. Je n’attends pas que les caisses soient vides. Je frappe à toutes les portes, dans les entreprises, à la Commission européenne. Tout est en réseau ».

Rares sont les femmes à être distinguées pour leurs recherches. Ces dernières constituent à peu près 28% des chercheurs, ce qui correspond à la moyenne européenne. « Elles n’ont pas moins de talent que les hommes, souligne Pascale Cossart. Mais, les femmes s’autolimitent. Elles sont moins ambitieuses et plus spontanées. Les hommes calculent davantage leur stratégie de carrière.

  • • Le Prix Balzan

Créée à Lugano en 1956, la fondation italo-suisse Balzan encourage partout dans le monde les sciences en devenir et les chercheurs de point. Elle décerne 4 prix annuel d’un montant assez conséquent. Les candidatures pour ces « petits Prix Nobel », comme les décrit Marcello Foresti, du bureau de presse, sont présentées par des institutions culturelles du monde entier que la fondation Balzan sollicité expréssément à cet effet. Elles sont ensuite sélectionnées par le Comité général des Prix, organe de la Fondation dont les membres représentent différents pays européens. La moitié du don octroyé au chercheur primé doit être consacré au financement de projets de recherche menés de préférence par des jeunes chercheurs. Cette année, la Fondation Balzan a primé Pascale Cossart, biologiste, Manuel Castells, sociologue, André Vauchez, historien et Alain Aspect, physicien.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

Le Magazine, Sciences et société

Etiquette(s)

, , , , ,