21 mars : journée internationale de l’élimination de la discrimination raciale. A l’occasion de cette campagne annuelle à dimension internationale visant à promouvoir les principes de respect, d’égalité et de diversité culturelle, Place Publique publie l’interview d’Olivier Noël, doctorant en sociologie, sur la discrimination à l’emploi et ses rouages.

Evelyne Jardin : Le racisme et les discriminations, est-ce la même chose ?

Olivier Noël : Les représentations communes ont tendance à associer ces deux notions. La discrimination s’inscrit dans le registre des pratiques, des faits alors que le racisme s’inscrit dans le registre des représentations, des valeurs, des idéologies. La combinaison racisme-discrimination existe, certes, mais elle est loin d’être la plus fréquente. Une intention non-raciste peut se combiner avec une pratique effectivement discriminatoire.

C’est l’exemple de la coiffeuse qui vous explique qu’elle est « très attachée aux principes de la République, que sa fille milite dans une association anti-raciste, etc. »… mais, qui, ayant constaté des propos tendancieusement xénophobes d’une partie de sa clientèle, décide de ne pas recruter une jeune apprentie coiffeuse d’origine maghrébine. C’est un cas typique de pratique discriminatoire, non directement intentionnelle, mais bien effective.

À l’opposé, j’ai enquêté auprès d’employeurs ouvertement racistes, affichant un discours extrémiste, et expliquant assez simplement : « s’ils [les immigrés] font bien leur travail, il n’y a aucune raison que je ne les embauche pas ». Cela signifie qu’ils développent des idées racistes, dans une forme assez classique, coloniale, mais qu’ils ne discriminent pas, tout au moins au moment de l’embauche.

E,J : La France s’est dotée de lois pour lutter contre le racisme. Sont-elles efficaces ?

O.N. : Non. La discrimination est encore considérée par beaucoup comme un délit relatif, mineur, sans gravité. Il est toujours intéressant, devant un parterre de chefs d’entreprises, de leur signifier que lorsqu’ils discriminent, ils deviennent des délinquants. Ils ont souvent tendance à penser que ce sont ceux qu’ils discriminent qui sont potentiellement des délinquants.

Le droit contre les discriminations est un droit neuf, très technique, que peu de juristes maîtrisent en France. Il y a un gros effort à faire de ce côté-là. Et il me semble impératif que ce droit devienne une menace véritablement crédible et que des procès exemplaires voient enfin le jour.

E,J. : Des enquêtes statistiques montrent que les jeunes issus de l’immigration s’insèrent plus difficilement sur le marché du travail. Peut-on parler de discriminations à l’emploi envers cette population ?

O.N. : Oui, assurément, les jeunes sont particulièrement visés par ces pratiques en combinant des critères d’origine, d’âge, de lieu de résidence, etc. qui se combinent, aux yeux des recruteurs, pour mieux les discriminer. Cela a un effet dévastateur sur leur intégration sans que soient pris en compte les efforts réels des jeunes pour s’intégrer.

Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont souvent les jeunes diplômés qui sont les plus discriminés. Dans une grande usine automobile de l’Est de la France où j’ai enquêté, des jeunes issus de l’immigration turque ou algérienne qui devaient devenir ingénieurs ou techniciens supérieurs ont rencontré des difficultés d’embauche. Ce recrutement discriminatoire était conditionné par le refus des ouvriers sur les chaînes d’être commandés par un « étranger ». On peut dire que paradoxalement la discrimination ethnico-raciale survient au moment où l’intégration est réussie.

E,J. : Les employeurs peuvent se rendre coupables de pratiques discriminatoires mais sont-ils les seuls ?

O.N. : Dans l’exemple précédent, on voit bien que celui qui est invoqué pour justifier la discrimination est l’ouvrier de la chaîne et non l’employeur. Dans l’exemple de la coiffeuse, c’est la cliente supposée xénophobe. La discrimination fonctionne comme un système sans qu’aucun acteur puisse être défini comme l’acteur principal et le coupable. Bien souvent cela résulte d’une chaîne de propos banalisés, de silences complices, de petites décisions ordinaires qui au final exterminent, au sens littéral du terme, les jeunes issus de familles immigrées.

Nos recherches montrent que les intermédiaires de l’emploi ont eux aussi pendant longtemps coproduit la discrimination en se refusant à en reconnaître la réalité massive et à la rendre publique.

Pour autant, même si leur responsabilité professionnelle est engagée, il importe de pointer les responsabilités institutionnelles à tous niveaux. Les pouvoirs publics adoptent une logique de « culbuto » qui se traduit par une fuite en avant rhétorique invoquant les grands principes de la République et de la démocratie et une fuite en arrière pratique dès lors qu’il s’agit de les mettre concrètement en œuvre. Le référentiel de la politique est flou et les principes d’action sont mous car le public ciblé est inhabituel : il ne s’agit pas d’agir sur les faibles, les dominés, mais au contraire sur les dominants, ceux qui ont le pouvoir de discriminer et d’exclure.

E,J : Peut-on dire que les jeunes co-produisent aussi le phénomène discriminatoire à l’emploi ?

O.N. : D’une certaine façon, les jeunes sont des coproducteurs du silence, du déni sur la question. Dans nos interviews, nous constatons que nombre d’entre eux l’ont intériorisée. Le discours sur leurs supposés manques et sur les efforts à consentir pour « mieux s’intégrer » y a largement contribué.

E,J. : Que faire pour que tous les jeunes soient traités à égalité vis-à-vis de l’emploi ?

O.N. : Avoir les mêmes exigences et leur donner d’égales conditions d’accès à tous les domaines de la vie sociale (emploi, logement, loisirs, etc.). Si je suis optimiste quant aux solutions possibles et aux formidables perspectives qu’ouvrirait une politique ambitieuse de prévention et de lutte contre les discriminations, je reste assez pessimiste sur la situation actuelle. Il y a encore du chemin à parcourir pour lever le voile sur le système discriminatoire.

Entretien réalisé par Evelyne Jardin.

(1) Doctorant en sociologie, chercheur-coopérant à l’Iscra (Institut social et coopératif d’étude et de recherche appliquée).

Pour en savoir plus

 Les travaux de recherche et les articles d’Olivier Noël sont consultables sur le site : www.iscra.org

 Le site du ministère des Affaires sociales publie les derniers rapports sur le sujet : www.social.gouv.fr (rubrique “Point sur”, lettre “d” pour “discrimination”)

 Le site du 114 (numéro de téléphone à composer si vous êtes victime ou témoin de discrimination) : www.le114.com

Des lois pour lutter contre la discrimination : petit historique

 1946 : le Préambule de la IVe République réaffirme que  » tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés « .

 1/7/1972 : après ratification par la France de la Convention internationale de New York, la loi Pleven punit le délit raciste et permet à des associations de se porter partie civile. Mais il faut apporter la preuve qu’il y a eu acte raciste pour ouvrir une procédure pénale, ce qui est la plupart du temps difficile.

 13/7/1990 : la Loi Gayssot réaffirme l’infraction pénale pour tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

 1/3/1994 : le nouveau code pénal renforce la répression des crimes et délits racistes. Il octroie à des personnes morales, comme les syndicats, la possibilité de représenter les victimes d’actes racistes devant les tribunaux.

 16/11/2001 : la transposition d’une directive communautaire renforce le dispositif juridique. Il est plus aisé d’engager un procès car la plainte peut être portée devant un tribunal civil et plus uniquement pénal. Ceci permet d’inverser la preuve du délit, de la victime (loi de 1972) vers le supposé coupable qui doit désormais prouver son innocence. De plus, le rôle des inspecteurs du travail et des syndicats est accentué pour lutter contre les discriminations sur le lieu de travail. Autre nouveauté : les discriminations indirectes, autrement dit les actes qui ne sont apparemment pas discriminants mais qui ont un effet indirect sur tel ou tel groupe racial ou ethnique, sont prises en compte.

Lire : « Histoire des politiques françaises antidiscrimination : du déni à la lutte », par Erik Bleich, Hommes&migrations, n°1245, 9-10/2003.

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