20 janvier 2004

Larguons les voiles

Déjà enveloppée de son vivant dans son linceul, elle est à genoux pour accentuer sa soumission à l’homme. Exécutée, au nom de la charria – stricte application des lois coraniques – par une assemblée de porteurs de barbe. Chacun, de son regard exorbité et sanguinaire, a re-formulé sa sentence. Spectacle de choix que nous donnent des machistes les plus vils qui soient, nourris de frustrations. Il a bon dos, l’Honneur ! Bon grief que le manque de morale ! Quelle facilité, la rumeur ! Et l’Islam dans tout ça ?

Partout dans le monde, en Jordanie, au Congo, Nigeria, en Argentine, Iran, Algérie, Irak, Afghanistan, la barbe, cette pilosité, signe extérieur de virilité, s’autorise toutes sortes d’abus. Ont-ils oublié que le temps des guerres tribales est révolu, que la femme n’est plus à considérer comme un butin de guerre qu’il faut protéger par le voile et la séquestration, que la femme esclave n’est plus. Le voile comme précepte de l’Islam est controversé au sein même des théologiens de même confession. Pour les uns, il est obligatoire ; pour d’autres, c’est une simple tradition.

Le voile est-il d’essence religieuse, ou, par sa fonction première décidée par les hommes, simplement une enveloppe qui réduit au silence les femmes ? Comment, sans un minimum d’esprit critique, accepter que des hommes, incapables d’assumer leurs propres faiblesses et dénués de tout sens des responsabilités, puissent gérer le salut de l’âme des faibles créatures que nous sommes, nous les femmes, et de décider à quel moment nous devons respirer, à quel autre nous devons étouffer ? Est-ce au nom de la religion ? De quel droit se préoccupent-ils de nos vies ici bas et ailleurs ?

Au nom de toutes ces femmes assassinées parce qu’elles ont déshonoré, nous nous insurgeons contre l’abus d’individus qui, parce qu’ils ne peuvent convaincre, persécutent.

Comment se taire, quand des mots, des phrases vous reprochent à tout moment d’être née fille, au nom d’écritures saintes rédigées par des hommes, qui vous traitent de traînées, de chiennes, de provocatrices, de filles des rues…

Notre seul tort est celui de ne pas se soumettre aux vindictes des frères, des oncles, de la famille en général, pour s’étendre ensuite à toutes personnes que l’on reconnaît comme étant un « bon » musulman. Le qu’en dira-t-on est une règle qui prévaut. L’honneur de la famille devient un point essentiel à leurs yeux. Craignent-ils d’avantage le voisinage que le Dieu qu’ils vénèrent ?

Cet acharnement vis-à-vis de la femme, fait de violences physiques, morales et psychologiques ne serait-il pas tout simplement la résultante d’une masse musculaire plus développée ? En France, pays des droits et libertés, les récentes statistiques avancent qu’une femme sur trois est, a été ou sera battue. Nous pouvons aisément conclure qu’une femme sur trois n’a de cesse de refuser cet état de soumission, de dénégation de soi, de rejet de l’autre, dans lequel, nous ne voyons qu’un effacement de l’être que nous sommes.

Nous vivons en France et malgré des souvenirs douloureux provoqués par toutes sortes de discriminations, notre combat pour le respect de la laïcité et des valeurs républicaines ne cessera jamais. Bien au-delà du respect de soi, il y a la dignité bafouée de la femme. Bridée pour mieux la soumettre, battue pour mieux la diriger, humiliée pour mieux lui faire courber l’échine. Nous sommes des milliers de femmes à vivre en harmonie et en adéquation dans le pays de Victor Hugo, le pays des Lumières, entre Voltaire et Rousseau.

Nous sommes nombreuses à être reconnues dans l’environnement social, professionnel, associatif, artistique et autres, dans lequels nous évoluons, même si nous rencontrons des réticences que nous nous efforçons toujours de surpasser et qui nous rappellent trop souvent qu’en plus de ne pas être l’égale de l’homme, nous ne le sommes pas moins de nos concitoyens.

Comme des milliers de femmes et d’adolescentes, nous cherchons à sortir de ce carcan, à nous débarrasser de cette muselière. Nous luttons pour notre émancipation, sans avoir expressément en tête le modèle occidental, mais simplement le refus de l’autorité du père, de la mère, du grand frère et pour finir du mari. Si, en plus, le religieux vient demander sa part, quel espoir nous reste-t-il ?

N’est-il pas incongru, alors qu’en Algérie des filles se font égorger ou arroser d’essence parce qu’elles ne veulent pas plier sous le poids du voile, qu’en France, elles en revendiquent le port au nom de la laïcité ! Les unes connaissent le sens des mots courage et dignité, les autres celui de peur, soumission, repli identitaire ou lâcheté.

Alors, face à quelques cas isolés de femmes voilées, quelle légitimité nous donnez-vous ?

Vous les journalistes qui faites de la surenchère médiatique, que faites-vous de l’image de la femme que nous défendons depuis toujours, certes en silence. Quel est le sens de tout ce déballage où figure en première ligne une petite minorité ? Pourquoi n’avez-vous pas rapporté des témoignages voilés de filles, de femmes, de confession musulmane ou non, contraintes de le porter. C’eut été un beau pied de nez que de « flouer » à l’écran le visage de ces filles qui cherchent à se dévoiler pour mieux se dégager de la soumission qu’elles subissent.

Nous sommes une grande majorité, sans voile, bien placées pour vous parler du combat que nous menons, depuis le premier cri qui nous a ouvert à la vie. Nous avons tant combattu, qu’il nous a semblé, face à la polémique du voile islamique, que nous pouvions faire preuve d’un peu d’égoïsme. Vous n’avez que très peu écouté les revendications de celles et ceux qui acceptent les lois de la République.

– Sans doute est-ce notre faute de ne pas avoir crié plus fort que la poignée de femmes dirigée, pour nombre d’entre elles, par leur mentor ?

– Sans doute est-ce notre faute d’avoir trop écouté nos parents et, comme eux, de ne pas avoir fait de bruit, par respect ou peut-être par peur de l’accueillant ?

– Sans doute est-ce notre faute d’avoir mis toute notre énergie à vouloir vivre en conformité avec des termes comme démocratie, égalité, fraternité, laïcité ?

– Sans doute est-ce notre faute d’avoir laissé une place vacante, là où d’autres ont su s’engouffrer aisément.

– Sans doute encore de notre faute de ne pas nous sentir concernées par ce voile, parce qu’il ne nous concerne pas, il ne nous représente pas.

Ne nous blâmez pas, nous avions plusieurs combats à mener au quotidien : celui de nous affirmer en tant que filles originaires d’Afrique du Nord, farouchement attachées à notre dignité et à une France fraternelle. Au lieu de nous épauler, vous avez préféré le spectaculaire de la situation. Sur la défensive, nous étions, mais, force est de constater que nous n’avons pas baissé la garde.

Plus que jamais, notre combat pourrait se révéler d’utilité publique. Lorsque José Bové se met à confondre le combat de la mal bouffe et celui des femmes et de leur liberté de penser, nous devons plus que jamais être vigilante.

Quant à vous, Messieurs les politiques, pensez-vous qu’il ait fallu attendre le 21 avril pour faire un coup médiatique avec une française d’origine nord-africaine au gouvernement, que l’on entend rarement ? Prenez, vous aussi, votre (trop grande) part de responsabilité.

Et vous, M. le ministre de l’Intérieur, vous avez officialisé le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) en mettant au pouvoir et en légitimant les actions d’islamistes censés représenter la communauté musulmane de France. Vous leur avez simplement laissé le soin de façonner, par une sorte d’esprit persuasif et dissuasif, la jeunesse issue de l’immigration nord-africaine. Une jeunesse paumée, qui traverse une grave crise identitaire. Nous précisons : identitaire et non spirituelle. Tant que vous ne reconnaîtrez pas que l’Afrique du Nord n’est pas arabe de par son histoire, vous vous heurterez d’une part aux islamistes qui veulent et qui cherchent le pouvoir et aux Berbères qui cherchent et veulent la reconnaissance de leur identité.

Pourquoi ne pas aborder les religions par une approche non religieuse. Soit par l’enseignement des faits religieux, dispensés non par des évêques, des rabbins ou des imams mais par des professeurs d’histoire, de philosophie ?
Combattre les intégrismes, c’est combattre l’ignorance, car à trop vouloir anticiper les susceptibilités de chacun, certains sujets jugés sensibles, ne seront jamais abordés.

Il nous semble en effet que le meilleur moyen de parvenir à vivre en bonne et bon citoyen(ne) dans notre société, est d’être identifié par sa culture ou celle de ses parents, non par sa religion. Ce n’est pas dans la spiritualité seule que l’on peut évoluer dans la cité mais dans la connaissance objective de ses racines et le profond respect des lois de la République française. Nous ne sommes pas arabes, la terre de nos aïeux est en Afrique du Nord. Nous avons comme ancêtres, les Berbères, non les Orientaux.

Chacune de ces cultures se respecte, mais il n’y a pas lieu de se donner un héritage qui n’est pas le sien. Et quel choix laissez-vous à la communauté nord-africaine dont la jeunesse n’a comme alternative que des cours d’islam ou des cours de civilisation islamique. D’ailleurs, ils en sont tellement convaincus qu’ils se proclament arabes et musulmans avant même l’appartenance à une culture, une identité. L’Islam serait-il en passe de devenir un paramètre culturel quand il n’y a rien d’autre à quoi se raccrocher ?

Pour vous, parents issus de l’immigration nord-africaine, vous avez aussi un combat à mener, celui de mettre tout en œuvre pour donner l’égalité des chances à vos fils comme à vos filles. Contraintes pour elle, et gratitude sans borne pour lui. Dans un cas comme dans l’autre, vous encouragez leur perte et freinez leur émancipation et leur réussite dans la société. Enseignez-leur votre passé dans la sérénité, parlez leur des « Imazighen » (1) que vous êtes et peut-être aussi de l’Islam de vos parents, celui qui dit « soyez bons, charitables et justes ». Ils ne vous en seront que plus redevables et vous ne les verriez pas ainsi tomber entre les griffes de cet Islam radical qui cause à notre communauté plus de désordres et de torts que ce que vous escomptiez pour eux. Vous ne les verriez pas non plus être ces citoyens fragiles et rejetés de toute part.

Si l’on en juge par toutes les différentes crises que traverse la France, la religion ne serait donc pas en cause dans le malaise du tissu social et culturel français ? Si tel est le cas, allons chercher du côté du manque cruel d’identité chez ceux qui ne savent plus où trouver des repères… En conséquence, la visibilité des signes ostentatoires ne serait-elle pas l’arbre qui cache la forêt. Cette forêt qui ne saurait être autre chose que la montée des tensions communautaires.

(1) Ensemble des groupes berbérophones

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