Respect pour Mohamed Ali, héraut de la dignité noire et de l’antiracisme. Mais une fois les hommages proclamés, une évidence s’impose : ce boxeur « légendaire » est mort des suites de la maladie de Parkinson, conséquence de coups répétés portés à sa boîte crânienne. D’où une conclusion logique : la boxe, activité violente, handicapante, quelque fois fatale, n’est pas un « sport » et doit être supprimée au plus vite du programme des Jeux Olympiques.

Retour sur la question à l’approche des JO de Rio.

La boxe n’est nullement le « noble art » vanté par les Anglais. Il s’agit d’un combat de rue qui consiste essentiellement à taper à coups de poings sur la tête de son adversaire, entraînant fréquemment des dommages irréparables au visage et au cerveau, et parfois la mort. Lorsque j’étais à New York dans les années 1970, j’ai assisté au Madison Square Garden, au bord du ring en tant que journaliste, à une réunion de boxe à laquelle participait Jean-Claude Bouttier. J’en suis reparti les vêtements maculés de gouttelettes de sang, écoeuré par le bruit sourd des coups portés aux visages déformés par la douleur. Nulle sensiblerie ici, mais le simple constat que la boxe, activité violente et destructrice, ne peut pas être considérée comme un « sport » et n’a donc pas sa place aux Jeux Olympiques, quoiqu’en disent ses promoteurs. Je ne suis ni le premier, ni le dernier à le dire.

Dans leur grande sagesse, Pierre de Coubertin et les organisateurs des premiers JO, en 1896 à Athènes puis en 1900 à Paris, avaient écarté la boxe, la jugeant trop dangereuse et pas vraiment discipline « olympique », puisqu’abattre son adversaire à coup de poings pouvait difficilement être assimilé à un « jeu ». Mais les Anglo-saxons se sont empressés de l'introduire lors des Jeux suivants, à Saint-Louis en 1904, puis à Londres en 1908. Avec un intérêt bien compris, d’ailleurs, puisque les Américains remportèrent toutes les médailles sans exception chez eux (7 catégories) et que les Anglais firent de même à Londres: 15 au total dans cinq catégories.

Depuis et de fil en aiguille, les catégories et les médailles se sont multipliées, en boxe comme dans la plupart des disciplines olympiques. Et le CIO en a rajouté dans l’absurdité aux derniers JO de Londres en 2012 en introduisant comme nouveauté la … boxe féminine. La parité dans la violence ! Voir des hommes se taper dessus dans un ring, c’était déjà pénible. Et maintenant des femmes : quelle déprime !

Nous avions déjà observé avec consternation la fille de Mohammed Ali croiser les gants avec celle de Joe Frazier, dans un remake improbable des fameux combats entre les deux hommes. On donne maintenant des médailles olympiques, sanctions de la beauté du geste et de la fraternité, à des femmes qui frappent consciemment leurs adversaires pour leur faire mal, comme le font déjà les hommes.

Résultat : pas moins de 52 médailles dans 13 catégories (10 pour les hommes, 3 pour les femmes) vont être octroyées pour ce soi-disant « sport » aux prochains JO de Rio. Ce qui place la boxe parmi les principales disciplines pourvoyeuses de médailles. On croit rêver. Encore pire cette année au Brésil : les boxeurs professionnels seront admis et les casques imposés en 1984 pour protéger les combattants seront supprimés !

Il serait temps de se pencher à nouveau sur la question, d’autant plus que des campagnes ont été lancées pour essayer de faire admettre aux JO les combats de MMA, une activité encore plus violente que la boxe, où on a même le droit de frapper son adversaire quand il est à terre…

C’est une banalité de rappeler que la violence a envahi nos écrans et nos sociétés en ce début du 21 ème siècle et qu’il y aura toujours des hommes et des femmes – souvent issus des classes sociales les plus démunies – disposés à se battre en public contre espèces sonnantes et trébuchantes. Mais ce constat ne vaut pas résignation et acceptation de l’inévitable. Dans d’autres disciplines violentes – le football américain, le rugby – les « experts » commencent enfin à remarquer que les multiplications de commotions cérébrales nuisent à la santé des athlètes, parfois de façon irréversible, et à réfléchir aux mesures pour y remédier. En boxe le déni est permanent. Seule une mesure radicale comme l’élimination de cette discipline aux Jeux Olympiques permettra de regarder enfin les choses en face.

*Ecrivain et journaliste

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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