Les innovations soumises aux entreprises sont le fait de métissage d’idées, de savoirs, d’expériences ou de transferts technologiques qui ont tous pour dénominateur commun d’être sortis du cerveau d’un nombre croissant d’individus collaborant ensemble. Ce saut créatif dépend moins de la connaissance acquise que de la capacité à poser en permanence sur le monde qui nous entoure un regard de curiosité et de questionnement permanent.

La créativité est autant le fruit de l’expérience pratique que de l’observation « innocente » de son environnement, elle est aussi le résultat de la confrontation de différents points de vue d’une collectivité. Le management moderne se doit de conduire une véritable révolution culturelle pour placer son personnel dans une posture d’adaptation permanente qui ne soit pas uniquement défensive. Un enjeu majeur dans un monde des affaires où il convient de pouvoir être capable, jusqu’au plus haut niveau du management, de conduire des stratégies opportunistes et anticipatrices.

Face à des évènements extrêmement complexes et variables, gagner en plasticité et en adaptabilité, est considéré comme une contrainte organisationnelle forte. Cet objectif reste trop souvent perçu par le personnel comme un événement momentané qui trouble un instant le cours tranquille des choses et non comme un changement nécessaire de posture intellectuelle pour faire face à un état de perturbation permanent. Les problèmes pratiques touchant à la requalification des organisations s’inscrivent dans un contexte de méfiance d’autant plus fort que le personnel et leurs représentants craignent tout changement comme la peste. Ils craignent d’y perdre de l’activité ou carrément leur travail. Comble de l’absurde, face à cette impréparation, à ces résistances internes compréhensibles, ce ne sont généralement pas les innovations organisationnelles anticipatrices qui font bouger les entreprises mais les adaptations brutalement imposées par les marchés. Elles renvoient dos à dos des protagonistes qui ont tout à perdre ensemble face au caractère inopiné et parfois violent des changements de conjoncture.

Notre histoire industrielle et économique est parsemée de ces terribles défaites collectives : ce n’est plus du gagnant-gagnant mais du perdant-perdant. Aussi devons-nous nous imprégner des stratégies à envisager pour être plus fertiles que nous ne le sommes aujourd’hui. De savoir si nous sommes « fleur » ou « abeille », c’est à dire générateur d’idées ou pollinisateur ? La planète numérique sera le lieu où seront mieux connues les multiples innovations des entrepreneurs qui, malheureusement, n’ont pas toujours la possibilité ni les capacités à les faire connaître au delà de leurs périmètres d’influence traditionnels. Avoir des idées et le faire savoir devient un aspect de la notoriété de son entreprise, de sa ville et – pourquoi pas – de sa région.

Reste à faire germer des idées avec des acteurs et dans les endroits ou les circonstances les plus inattendues. Peut-être pourrions-nous nous inspirer de la méthode du « happening » festif choisie par la ville de Singapour ? En novembre 2002, elle mobilisait quelques 8000 habitants durant une semaine dans un même lieu, pourquoi ? Pour chercher des idées. Sur quoi ? Eh bien sur tout, c’est tout ! Ce challenge consistant à inviter des gens à imaginer des idées sur des tas de sujets au choix est désormais inscrit au Livre Guinness des Records. Plus de 800 000 idées ont été proposées durant cette semaine. Bien sûr, elles sont inégales, bien sûr, elles ne seront pas toutes mises en pratique. Mais imaginez les liens sociaux qu’ont permis ces libres séances de remues
méninges ?! Toutes les personnes présentes ont vécu une expérience unique faite de stimulation, d’émulation bon enfant. Une sorte de voyage dans l’imaginaire à la fois individuel et collectif bien moins frustrant que des réunions pseudos rationnelles que nous vivons dans nos entreprises.

Créatif, le mot clé qui faisait déjà fureur début des années 70 revient en force avec ses ateliers de créativité. Savoir faire phosphorer ses équipes semble être l’impératif du moment. Il s’agit de se démarquer de son concurrent, de résoudre intelligemment et surtout économiquement des problèmes parfois complexes comme celui consistant à trouver un ingénieux système de portage des matériaux sur les piles du pont de Millau en France. Des concours d’idées mobilisant des régions entières, des quartiers ou des villes ouvrent la voie aux compétitions qui enrichissent l’expérience, apportent des économies d’énergies, répondent à des problèmes pratiques.

Que ce soit dans l’ameublement, l’automobile ou l’équipement des habitations, il devient indispensable d’investir en recherche & développement pour trouver des concepts, des composants, des matériaux, des couleurs qui participent à la différenciation positive de leurs produits. Les chercheurs, les designers sont mobilisés pour contribuer à ces objectifs afin de contourner la concurrence par les coûts. Sous la houlette d’Alessandro Mendini, directeur artistique de la marque Swatch, des designers venus du monde entier travaillent durant quelques mois pour apporter des idées originales. Ces architectes, ces designers, viennent se frotter à un sévère cahier des charges pour faire tenir des idées brillantes sur un cadran de montre. Objet très ordinaire, soumis à une forte concurrence, il devient un objet unique. Chacun de ces créatifs participent à la sublimation de cet objet en échangeant par la même occasion avec des groupes d’experts de toutes origines. Ici, la grande originalité de Swatch est d’avoir démontré que plus que son savoir faire industriel ce sont les idées venues du monde entier, de métiers et de cultures diverses qui ont fait le succès des collections de la marque. La créativité doit devenir une œuvre, une posture collective, un acte participatif à la vie sociale et économique. Pour Schumpeter c’est l’innovation, le lancement de grands projets relayés par les investisseurs qui vont déclencher la reprise, enclencher la phase de retournement de la conjoncture, relancer l’économie et donc la consommation. Mais cela ne vaut que pour les gens, les entreprises ou les nations qui ont des idées, des projets. On les attend, plutôt que des gestionnaires, des élites consanguines, des tueurs d’idées. Les idées, ça vient avant l’innovation. Non !?

Pour connaître les méthodes de gestion des jardins d’idées vous pouvez vous procurer le chapitre “Anticiper, le futur a de l’avenir !” du livre “Netbrain, les Batailles des Nations Savantes” (éditions Dunod 2008) premier prix du club de l’Economie Numérique

Pour en savoir plus : http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2012/01/28/cercle_42759.htm

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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Le Magazine, Sciences et société

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