Entretien avec Jean-François Tealdi, grand reporter à France 3 et l’un des initiateurs de « l’appel des journalistes de l’audiovisuel public pour des débats contradictoires ».

Le 7 février dernier, en lançant « l’appel des journalistes de l’audiovisuel public pour des débats contradictoires », une poignée de journalistes a souhaité alerter l’opinion publique et leurs propres responsables sur leurs insatisfactions liées au traitement médiatique de la campagne présidentielle 2007. Un constat et une inquiétude renforcés par les sentiments exprimés des citoyens : 75 % d’entre eux se disent intéressés par les élections, mais 71 % estiment que les débats sont de mauvaise qualité, 84 %, que les critiques personnelles occupent trop de place et 57 % que les vrais problèmes ne sont pas abordés ; enfin, 55 % pensent que la campagne n’apprend rien (sondages du Figaro du 31 janvier et 1er février 2007).

Alors, pour ne pas voir « le fossé se creuse(r) encore un peu plus entre nous et les citoyens qui nous financent au travers de la redevance », ces journalistes ont lancé une pétition dans le but d’obtenir l’organisation de débats contradictoires, pour permettre à tout un chacun de se prononcer au premier tour en ayant toute connaissance des programmes. Qu’en est-il, un mois plus tard ? Le point avec l’un des initiateurs de l’appel, Jean-François Tealdi, grand reporter pour France 3, responsable syndical CGT et membre du conseil de campagne de Marie-Georges Buffet.

Place Publique : A ce jour, que pensez-vous de l’accueil réservé à votre action en faveur de débats contradictoires avant le premier tour, de la part des médias comme de celui des citoyens ?

Jean-François Tealdi : Nous estimons que la mobilisation est globalement positive, puisque nous dénombrons environ 10 000 signatures un mois après le lancement de la pétition. C’est un peu plus compliqué que pour la mobilisation de 2005 (18 000 signatures en trois semaines) qui portait alors sur une équité de traitement entre les tenants du non et du oui au référendum sur la constitution européenne.

Mais l’essentiel est qu’à la suite de cette initiative sur le débat contradictoire, essentiellement portée au début par des confrères syndiqués, l’appel a été relayé auprès de nombreux autres confrères (près de 350 à ce jour) et de citoyens de toutes tendances confondues. De plus, au travers de la large revue de presse que nous avons collectée depuis un mois, nous constatons que cette idée du débat contradictoire est largement reprise, même si la pétition n’est pas explicitement toujours mentionnée. C’est devenu un thème de la campagne à part entière, et de nombreux éditoriaux et articles ont expliqué que cette demande correspondait à une attente des électeurs et des rédactions, ce qui nous ravit particulièrement.

P. P. : Concrètement, qu’a réellement permis cette pétition, au sein des rédactions et du côté candidats ?

J.-F. T. : Du côté des directions de l’information, jusqu’à maintenant, les responsables nous ont confié que si sur le principe, ils étaient d’accord, les candidats politiques s’y refusaient. Il en va ainsi de Paul Nahon, directeur de l’information de France 3, le seul a nous avoir reçu. Il nous a dit s’être adressé par écrit à tous les candidats pour leur proposer des débats contradictoires ; la seule a avoir accepté le principe a été Marie-Georges Buffet. Les autres directeurs de l’information (que ce soit Arlette Chabot pour France 2 ou d’autres), sans nous répondre directement, se sont dit favorables… dès lors que les candidats donnaient leur accord.

Et bien aujourd’hui, grâce à cette pétition, les choses devraient changer, puisque nous avons interpellé les candidats, qui, dans leur majorité, ont, en un mois de temps, changé de position et se disent près (même si tous ne nous ont pas reçus, loin de là) à participer à un débat contradictoire avant le premier tour. Seul Nicolas Sarkosy s’y oppose toujours, ce qui pour nous est révélateur d’une certaine vision de la démocratie. De notre côté, en tous les cas, la première étape a été de faire bouger les partis politiques, cela étant fait, nous espérons que dans le mois à venir, les directions de l’informations vont à leur tour bouger dans le bon sens.

P. P. : Mais est-ce bien normal qu’il faille attendre « l’accord des candidats » pour organiser des débats contradictoires ?

images-7.jpgJ.-F. T. : Non, bien sûr, cela soulève des questions profondes sur le fonctionnement de notre profession. Car, pour avoir animé pendant des années une émission politique tous les samedis sur France 3 Méditerranée, et couvert des soirées électorales, je ne me souviens pas que nous ayons jamais plié aux désirs d’un candidat sur l’organisation de l’émission. Le candidat ne doit pas interférer dans le travail journalistique. Quand j’ai évoqué cet exemple à Paul Nahon, il m’a répondu que ce qui se faisait au plan local est bien plus compliqué à décliner au plan national. Cela s’apparente à une démission des journalistes face au diktat des candidats.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, les excuses des directions de l’information ne tiennent plus puisque depuis que nous les avons contactées, l’ensemble des candidats eux-mêmes ont changé d’avis (excepté Sarkosy). Dans notre dernier communiqué (dans lequel nous faisons état de ce changement de position des candidats) nous appelons du reste clairement les directions de l’information à organiser des débats contradictoires. Et si Nicolas Sarkosy ne veut pas y participer, on se passera de lui, il assumera sa responsabilité devant les électeurs. Je suis en fait persuadé que si l’émission est programmée, si la direction de l’information en a le courage, il sera obligé de venir débattre. Et je suis convaincu que ce type de traitement médiatique correspondra à ce qu’attendent les téléspectateurs et les auditeurs.

P. P. : Vous avez participé au traitement médiatique de la campagne présidentielle de 2002, comment jugez-vous celui de 2007 ; des leçons ont-elles été tirées ?

J.-F. T. : Il semble que malheureusement les débats de l’époque que nous avons eu après les dérives de 2002, n’ont pas donnés lieu à de véritables changements. Certes, le thème de l’insécurité n’est plus le thème principal. Mais celui de l’identité nationale, qui prend une place importante, est en train de replacer l’insécurité au cœur de la campagne, alors que ce n’est pas la préoccupation première des Français, qui tourne plutôt autour des salaires, du logement, de la crise de l’emploi… L’insécurité n’arrive qu’en sixième ou septième position selon les sondages. En faisant le choix de focaliser sur l’identité nationale, cela évite de parler d’autres thèmes importants, comme les droits d’intervention des salariés dans l’entreprise, la résolution du chômage, le droit au logement, la situation dans les banlieues, l’Europe et son incidence sur nos conditions de vie à venir… autant de thèmes bien trop peu traités.

P.P. : Que pensez-vous des émissions comme « J’ai une question à vous poser » ?

J.-F. T. : Ces émissions mettant en scène les citoyens ont pu apparaître comme des changements positifs. Sur le fond, pourquoi pas. Mais ces émissions soulèvent deux problèmes. Tout d’abord, celui de la représentativité des personnes présentes. Ainsi, pour ma part, je n’ai pas senti qu’en tant que syndicaliste, j’étais représenté par les personnes composant le panel. Ensuite, l’absence de véritable présence journalistique et contradictoire me semble très dommageable, car seul le journaliste peut passer du cas particulier à une dimension collective, et mettre en regard les solutions préconisées par le candidat… Encore plus grave pour la démocratie et le droit à l’information, l’absence de mise en perspective des propos que tiennent lors de ces soirées les candidats, au regard de leurs actions menées avant leur entrée en campagne, sur le plan national ou européen.

C’est pour toutes ces raisons qu’il faut des débats contradictoires. Pour y voir plus clair entre la gauche et la droite, mais aussi pour se faire une réelle opinion sur les différentes propositions coexistant à gauche par exemple, pour bien cerner les divergences et choisir en véritable connaissance de cause. Au jour d’aujourd’hui, la presse audiovisuelle ne fait pas ces comparaisons qu’ il faut aller chercher dans la presse écrite. Or, quand on sait l’indice de pénétration de la presse écrite aujourd’hui, qui ne concerne que les couches les plus favorisées de la population, on voit bien que les couches populaires, qui lisent peu voire pas du tout, n’ont pas le droit au même débat que ceux qui achètent des quotidiens nationaux. Tout le monde n’a pas droit au même affrontement d’idées… c’est dramatique. Selon moi, l’audiovisuel public ne remplit pas son rôle dans le débat démocratique.

Propos recueillis par Sylvie Touboul

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