Le sociologue Fabien Hein vient de faire paraître un livre « Ecopunk, le mouvement punk et la circulation des idées écologiques » avec Dom Blake, aux éditions Passager clandestin. Nous l’avions interviewé il y a quelque temps, dans les pages du magazine Dirigeant.
Voici cet interview qui en dit un peu plus long sur ce sociologue atypique dans le milieu de la recherche. Fan de musique rock, il a pensé à faire de sa passion un sujet d’étude. Fabien Hein donne aussi des tournées de conférence comme on donne des concerts, en rocker-chercheur comme il se définit lui même.

  Q. Votre travail de sociologue est consacré aux industries culturelles et en particulier à la scène punk rock. Pourquoi avoir choisi ce sujet d’étude ?

80% des artistes font partie de cette partie « immergée » des industries culturelles dont l’économie est celle du système D. On ne sait finalement pas grand-chose de cette réalité. C’est une raison suffisante pour s’y intéresser. La plupart de ces artistes sont attachés à un genre musical particulier. L’exemple le plus fort est le courant « punk » à propos duquel j’ai consacré une partie de mes enquêtes. La France a du mal à s’intéresser aux courants marginaux, qu’elle juge négativement, à la différence des Etats-Unis où il existe des Rock studies. De nombreux sociologues anglo-saxons sont spécialisés dans l’étude de ces mouvances.

  Qu’y a-t-il de particulier dans ce mouvement musical ?

Les artistes qui se reconnaissent dans le mouvement punk ont érigé le “bricolage” en valeur cardinale. Ce sont de véritables entrepreneurs dont la détermination est de créer du sens autour de la musique. Leur mode de vie et leur façon de travailler sont intimement liées. On peut parler d’art de vie. Depuis longtemps, les groupes punks, les labels, les fanzines se développent sans discontinuité. Ils inventent leur quotidien. Cela leur procure une puissante source de satisfaction. Il y a parmi eux des musiciens, des organisateurs de concerts, des disquaires, des free lance. Certains d’entre eux ont des métiers libéraux. On trouve des médecins, des architectes, des avocats qui revendiquent leur culture punk.

  Q. Dans vos recherches, vous évoquez la pratique du « Do It Yourself » comme d’un moteur économique…

Le « Do It Yourself » (DIY) est le moyen par lequel ces industries culturelles et en particulier les Punks renforcent leur capacité d’action et s’émancipent. Ils sont fiers de faire les choses par eux-mêmes avec les moyens du bord et de se défier des grands labels dominants. Le DIY est une sorte de programme pédagogique. Leur valeur principal : être indépendant .

 Q. Comment qualifiez-vous ce type d’économie ?

Il s’agit d’une « économie modeste », dans laquelle se déroulent des échanges informels et des usages de reconnaissance symbolique autour de l’entraide. Ce modèle est en résonnance avec l’économie du partage, le troc, la gratuité. Les réseaux en ligne favorisent cette économe collaborative entre pairs. Autant de phénomènes qui se sont accentués avec la crise. La DIY économie s’appuie sur le constat qu’on ne peut plus compter sur les politiques pour trouver des solutions. L’auto-organisation est le modèle de conduite. Ils trouvent leurs ressources dans la communauté : « pas besoin d’aller chercher ailleurs ». C’est aussi une économie optimiste : « on verra bien ».

  Q. Quelle est la finalité de cette économie du Do it Yourself ?

Dans le domaine musical, de nombreux artistes font le choix de rester à la marge, au lieu de devenir des super stars. Ils travaillent en fonction des aléas et des opportunités. Leur capital, c’est le temps. C’est aussi une économie de l’occasion où la gratification professionnelle n’est pas centrale. Ils construisent leur parcours en faisant des compromis, reviennent en arrière, selon une gamme de repères d’actions et de rencontres. Ils vivent leur passion en famille. Ils sont pragmatiques, autoproduisent leurs disques, financent leurs tournées. Certains arrivent à se salarier. Pour compléter l’ordinaire, ils font des mi-temps comme travailleurs sociaux ou intérimaires. Dans le monde de l’économie modeste, beaucoup d’initiatives ne sont pas musicales. Elles se développent en particulier dans les secteurs de l’énergie, des circuits agricoles courts, dans les entreprises sociales et solidaires.

  Q. la notion de réseau est importante ?

Leur mode de vie économique repose sur leur capacité à maîtriser la solidarité du réseau d’interconnaissances. Avant internet, les Punks se connectaient grâce aux fanzines échangés par courrier dans le monde entier. Ils postaient leurs flyers, échangeait des compils de cassettes avec un système de correspondants mondial très élaboré. Désormais, grâce aux moteurs de recherche, les artistes touchent des dizaines de milliers de personnes. Ils savent où sont les salles de concerts susceptibles d’accueillir les tournées. Ils sont informés des lieux d’hébergement les moins chers. Cette économie est nomade et peu dépensière. Les punks vont en vacances les uns chez les autres, partagent les frais de transports, s’informent mutuellement sur les pistes de job. Un des principes est de ne jamais être isolé.

  Q. En quoi cette économie modeste est-elle pertinente ?

Plusieurs raisons montrent que cette « économie modeste » va durer. D’abord la crise ne va pas s’arrêter et l’économie n’est pas prête de connaître des taux de croissance comme ceux que les économies riches ont connu. Ensuite, à la différence d’autres modèles économiques complexes, cette économie modeste est régie par un principe de souplesse. Elle refuse le dogmatisme. Bâtie sur l’entraide, elle fonctionne au moindre coût. Quand vous n’êtes pas obligés d’attendre qu’on vienne vous chercher. Vous avez accompli un grand pas. La vie est plus simple. En réalité, on peut lire cette démarche de vie comme une forme d’éducation populaire basée sur l’enrichissement et la transmission de l’expérience.

Q. Sont-ils intéressés par la création d’entreprise ?

A la différence de nombreux entrepreneurs, ces petites entreprises de la scène musicale ne souhaitent pas grandir ni faire carrière. Les punks, par exemple, se satisfont de dégager un ou deux salaires et de continuer à avoir du temps pour faire de leur mode de vie une façon de la gagner. A la différence de leurs homologues américains qui créent des entreprises, ils fonctionnent en mode associatif et obtiennent parfois des subventions ou des emplois aidés.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ART & CULTURE, Le Magazine

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