par Gilbert Grellet

« Je ne crois au Paradis que lorsque je goûte un instant de paix.
Qui est jamais allé en enfer, qui revient jamais du ciel ? »
Omar Khayyam

Voyageur au long cours, le Docteur Montaldo parcourt en 1879, aux Philippines, les îles de Jolo et de Mindanao, où des « Moros polygames et esclavagistes », de religion musulmane, résistent depuis des siècles à l’occupant espagnol.

Il y observe notamment le phénomène des « Juramentos », sortes de kamikazes terroristes de l’époque, dont il décrit les actes suicidaires et les motivations pour la grande revue française Le Tour du Monde.

« Excités par de longues prédications qui détaillent en termes brûlants les jouissances du pays (paradis) de Mahomet », écrit-il, ils attaquent les  Chrétiens comme des « fous » avec leur « kriss » (long couteau), avant de périr sous les balles des soldats ou des policiers.

Aujourd’hui  les couteaux font encore leurs sinistres besognes, mais ils sont  le plus souvent remplacés par des ceintures explosives, des kalachnikovs ou  des véhicules lancés à grande vitesse – on vient encore de le voir à Barcelone –  pour massacrer des « infidèles » innocents au nom d’Allah et mourir en martyrs.

Et tous les acteurs dévoyés  de ce terrorisme islamiste vont à la mort sans hésiter, car ils sont convaincus – à tort – qu’en agissant ainsi, ils accèderont à l’Eden musulman, où les attendent  les fameuses 72 vierges aux « grands yeux noirs », pourvoyeuses de plaisirs éternels. Une certitude partagée par des  pirates de l’air du 11 septembre 2001 comme par les apprentis terroristes de Daech.

La fatale combinaison d’une insondable crédulité humaine et d’un intense endoctrinement religieux  pousse ainsi des hommes souvent jeunes et pleins d’avenir  – mais aussi des femmes – à sacrifier leur bien le plus précieux, leur propre vie, pour un hypothétique accès à  un « paradis », dont l’existence n’a jamais été prouvée. « Qui est jamais revenu du  ciel » ?  notait fort justement l’immortel poète Omar Khayyam.
Pour quiconque s’efforce de réfléchir  – penser au lieu de croire – c’est  évidemment aberrant.  Mais nullement surprenant. Depuis la nuit de temps, le mythe du paradis et de la vie éternelle a été utilisé non seulement pour attirer et contrôler les « croyants » un peu partout à travers le monde, mais aussi pour inciter aux assassinats et aux prouesses guerrières.

Les « Juramentos » de Mindanao  étaient déjà les lointains successeurs des Assassins,  poussés au meurtre et au sacrifice au 12ème siècle par le « Vieux de la Montagne », depuis sa forteresse d’Alamut, en échange d’un accès prioritaire au paradis.

Et le Pape Urbain II, en lançant la première Croisade en 1095, avait promis sans détour le paradis aux preux chevaliers chrétiens – les Croisés – qui  risquaient de perdre la vie en allant libérer à Jérusalem les Lieux Saints contrôlés par les « infidèles » turcs et musulmans.

Quant à la bravoure proverbiale de nos ancêtres les Gaulois, elle semblait bien liée à leur  conviction d’accéder à un au-delà paradisiaque, plein de banquets et de festins, s’ils périssaient courageusement au combat. Pour les vaillants guerriers nordiques, c’était le Walhalla.

Que faire ?

L’idée de de gagner le paradis en tuant ses ennemis n’est donc pas nouvelle. C’est l’accélération du phénomène depuis le début du 21ème siècle dans le monde musulman qui est notable. Comment y faire face et contrer ce puissant argument de passage à l’acte pour les terroristes islamistes, au-delà des motivations politiques ou de leurs désirs confus de vengeances ou de « reconquêtes » ?

D’abord en rappelant à satiété une idée simple : dans les systèmes monothéistes comme l’Islam auxquels ils adhèrent, assassiner ainsi des hommes, des femmes et des enfants envoie ces meurtriers directement  en enfer et non pas au paradis, quoiqu’en disent certains imams ou commanditaires manipulateurs.

Ensuite, pour ceux qui persistent à croire le contraire, leur dire sans arrêt qu’ils sacrifient inutilement leur vie en commettant des crimes dans l’espoir d’accéder à l’Eden de la jouissance éternelle, accompagnés de leurs familles et de leurs amis.

C’est une erreur fatale : ce paradis, comme tous les autres, n’existe pas, sinon dans la fertile imagination de ceux qui ont inventé les Dieux et les religions. A ceux  qui le décrivent, il suffit de répondre : c’est vous qui le dîtes ! Prouvez-le, sinon passez votre chemin.

Enfin, répéter ce que nous savons tous au plus profond de nous-mêmes : l’enfer du malheur ou le paradis de la félicité se construisent et se vivent sur terre et dans notre vie quotidienne, pas dans une illusoire éternité céleste.
J’entends déjà les ricanements. Quelle naïveté de croire qu’on pourrait convaincre avec de tels arguments !  C’est mission impossible. Le paradis est non seulement un archétype bien ancré dans notre inconscient collectif (merci Carl Jung !), mais il est aussi est au cœur du message des deux grandes religions du livre.  Pour tout « croyant » musulman, c’est une réalité incontestable, attestée par le Coran, qu’il serait vain de nier. Vous pouvez remballer votre bréviaire humaniste.

Vraiment ? Croire n’interdit pas de réfléchir  de temps à autre. Selon plusieurs enquêtes, les kamikazes islamistes en herbe ne sont pas des ignorants fanatisés, mais ont souvent reçu une solide éducation.  Ils peuvent donc se poser des questions. S’interroger par exemple sur cette description  des « houris aux grands yeux » qui les attendraient après leurs forfaits, une  image caricaturale qui décrédibilise l’idée même de paradis.

Ils peuvent aussi  s’arrêter un instant avant d’agir et penser aux conséquences des leurs actes sur leurs familles, leurs proches, leurs communautés, sans parler des victimes bien sûr. En fait, à ceux qu’ils aiment et qui les aiment, ils apportent l’enfer sur terre, en croyant faussement aller au paradis et les amener avec eux.

Alors que j’écrivais cette chronique, un grand titre sur une page du journal Le Monde (édition  du mardi 22 août 2017) est venue opportunément illustrer ce propos, quelques jours après l’attentat à la voiture-bélier de Barcelone: « Le paradis perdu des musulmans catalans ».

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la communauté musulmane en Catalogne, bien accueillie et assez bien intégrée, vivait dans la paix et dans une relative sérénité, un modeste et symbolique « paradis » terrestre. Maintenant, après l’attentat, c’est l’opprobre et l’hostilité, sinon l’enfer.  Certes, cette division est un des objectifs de Daech, mais chacun peut mener une réflexion à ce sujet

« Je ne crois au paradis que lorsque je goûte un instant de paix », disait encore Omar Khayyam, sages paroles d’un maître en savoir-vivre qu’on ne peut qu’approuver.  Reste à essayer de convaincre, inlassablement, ceux qu’on manipule pour faire la guerre et semer la mort. Faire appel à la raison contre l’extrémisme religieux est ardu, mais ce n’est jamais un vain défi. Penser au lieu de croire…

Gilbert Grellet

Gilbert GrGilbert Grelletellet est un journaliste qui a fait toute sa carrière à l’Agence France-Presse (AFP), tant à Paris qu’à l’étranger (Etats-Unis, Brésil, Espagne). Ecrivain, il a notamment publié un livre sur la  pensée positive d’Emile Coué (Tous les jours des mieux en mieux, en coll. avec René Centassi,  chez Robert Laffont, 1991) et un autre sur les derniers grands explorateurs du 19ème et du 20ème siècle (Aux frontières du monde, aux Editions Jean Picollec, 2011).
Son dernier ouvrage sur la Guerre d’Espagne (1936-39), paru en 2016 (Un été impardonnable, chez Albin Michel), a été traduit en espagnol et va être publié en septembre 2017 par les éditions Escolar y Mayo de l’Université de Madrid

Au sujet de Gilbert Grellet

Gilbert Grellet est un journaliste qui a fait toute sa carrière à l’Agence France-Presse (AFP), tant à Paris qu’à l’étranger (Etats-Unis, Brésil, Espagne). Ecrivain, il a notamment publié un livre sur la pensée positive d’Emile Coué (Tous les jours de mieux en mieux, en coll. avec René Centassi, chez Robert Laffont, 1991, réédité en 1998 aux Editions Vivez Soleil) et un autre sur les derniers grands explorateurs du 19ème et du 20ème siècle (Aux frontières du monde, aux Editions Jean Picollec, 2011). Son dernier ouvrage sur la Guerre d’Espagne (1936-39), paru en 2016 (Un été impardonnable, chez Albin Michel), a été traduit en espagnol et vient d’être publié à Madrid (Guillermo Escolar Editor).

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