Force est de constater l’augmentation de la population urbaine dans le monde. Phénomène inédit, la naissance et la consolidation de villes très riches et très puissantes Une culture urbaine assise sur de nouvelles valeurs s’en trouve confirmée, avec des «Citysumers » par exemple. Mais la fracture urbaine menace.

Des millions de consommateurs aux aspirations bien précises émergent – on parle de « Citysumers », contraction de consommateurs des villes -, comme l’explique la société de prospective Trendwatching, dans son dernier rapport de février . Ils ont des besoins particuliers en terme d’offre de produits et de services, tailles, formes, prix, concepts. Ils font preuve de pro-activité dans une quête sociale et environnementale affirmée.

De Shanghai à Sao Paulo, ces nouveaux urbains donnent le « la », mais ils ne doivent pas masquer le risque d’une fracture urbaine croissante.

Pourquoi la ville devient-elle un tel enjeu du futur?

180 000 personnes vont vers les villes chaque jour, et on compte 60 millions de nouveaux urbains par an (Source: Intuit, Octobre 2010). En 2050, les urbains seront 6,3 milliards, soit 70% de la population.

Rien qu’en Chine, on estime qu’en 2030, il y aura un milliard d’urbains, avec 221 villes de plus d’un million d’habitants. On comptera 600 millions d’urbains en Inde, dans 68 villes de plus d’un million d’habitants.

En Europe aujourd’hui, on dénombre 533 millions d’urbains. (Source: prévisions McKinsey). Ce qui veut dire que durant cette période, quelque 400 millions de chinois et 215 millions d’indiens vont rejoindre les villes.

La grande différence avec aujourd’hui, c’est que certaines villes vont atteindre des tailles jusque là insoupçonnées. New York, Londres et Paris partagent déjà la scène avec Pékin et Bombay. Mais demain ce sera Belem, Chongqing et Guadalajara. Aujourd’hui 100 villes représentent déjà 30% de l’économie mondiale.

Certaines d’entre elles affichent déjà des PNB supérieurs à quelques pays, et ce phénomène va s’accentuer, selon le rapport ONU Habitat 2010.

Tokyo et New York rivalisent avec le Canada et l’Espagne. Londres avec la Suède. Paris, Lisbonne, Bruxelles et Séoul représentent plus d’un quart de leur économie nationale. Ces villes vont concentrer innovation, talent, créativité. On estime que Delhi, Shanghai, São Paulo et Moscou atteindront plus de 500 milliards de dollars de PNB en 2025.

Dans ce contexte, les nouveaux urbains «Citysumers » , veulent du « maintenant et ici », le choix, la liberté la flexibilité, des opportunités sans limites, des styles de vie variés et des expériences multiples. Ils affichent un état d’esprit plus ouvert que les classes moyennes traditionnelles. Ils font bouger les lignes, sont le creuset de toute innovation.

Fracture urbaine et « droit à la ville »

Mais une autre tendance de fond est à suivre dans la perspective de ces grandes mégapoles, celle de fracture urbaine. Le nouveau rapport d’ONU-Habitat, « L’État des villes dans le monde 2010-2011 » se penche sur cette question . Il s’agit de donner à chaque résident un « droit à la ville » dans laquelle il vit. Puisque l’urbanisation s’accélère, cette approche fondée sur le « droit à la ville », participe au changement social. De concept politique qui englobait des notions de émancipation, participation, réalisation de soi, le « droit à la ville » a vu son champ élargi vers les droits de l’homme avec l’objectif de réduire la fracture urbaine.

Cela passe par une gouvernance démocratique, dans le respect « des droits de l’homme de non-discrimination, d’indivisibilité, d’égalité entre les sexes, d’épanouissement, de respect des acquis sociaux, de subsidiarité, de solidarité et de coopération » explique ce rapport de l’ONU.

L’évolution du droit à la ville s’est faite sous l’influence des Organisations non Gouvernementales , des syndicats, des instituts de recherche. En 2004, une Charte mondiale du droit à la ville, a été élaborée sous l’égide de l’Onu et de l’Unesco. Aux citadins-citoyens d’exercer leurs droits, pour éviter la fracture urbaine et la marginalisation de certains.

Alors que les centres urbains ne cessent de se développer en nombre et en taille, peu de pays ou villes ont adopté le droit à la ville. Et de citer le Brésil comme un des précurseurs avec notamment Porto Alegre qui a été « la première municipalité inclusive dotée d’une budgétisation participative (Orçamento Participativo) ». Depuis, plus de 70 villes du monde entier ont adopté ce modèle. Tous les habitants sont invités à participer à des forums sur le prochain budget de la ville et les projets proposés qu’il faut hiérarchiser.

En Argentine, Rosario, se range comme « ville des droits de l’homme » à travers trois axes : ouverture, transparence, responsabilité. La municipalité se soumet à la critique d’un comité de citoyens qui examine régulièrement sa performance au regard du droit international. Des initiatives de ce style se font jour en Equateur, Australie, Inde, Afrique du Sud, faisant avancer le concept de droit à la ville dans diverses sphères sociales, économiques, politiques et culturelles.

Mais quand on aborde la question de la fracture urbaine, une population est plus particulièrement visée, celle des jeunes. Difficile qu’ils puissent avoir l’égalité des chances dans tous les domaines –économique, social, culturel, politique – dans ces nouvelles mégalopoles géantes (ONU-Habitat. Rapport sur la jeunesse urbaine 2010-2011). Il s’avère qu’ils sont complètement marginalisés.

Une enquête a été réalisée auprès de cinq villes d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie du Sud et des Caraïbes, qui disposent déjà de programmes ciblant la jeunesse, montre qu’ils devraient être réorientés. À Bombay, « ils ont déclaré que la politique de la nation en faveur de la jeunesse devrait revêtir un caractère participatif et être davantage axée sur des programmes tangibles ».

A Rio de Janeiro, alors que les autorités confient les ressources consacrées à la jeunesse à des organisations non gouvernementales, « les jeunes estiment que les cours qui leur sont offerts dans le cadre des politiques gouvernementales sont soit insuffisants ou sporadiques, soit sans contact avec la réalité sur le marché duTravail ».

Le mégalopoles de demain ne peuvent croître sans faire un effort particulier pour inclure la relève.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ARTICLES

Etiquette(s)

, , ,