Alors que l’Allemagne annonce la fermeture de ses derniers réacteurs nucléaires en 2022, devenant ainsi la première puissance industrielle à renoncer à l’énergie atomique, après la catastrophe de Fukushima, la France choisit de poursuivre sa route vers les réacteurs de 4ème génération, confiante dans leur sécurité. Qu’en est-il réellement ? Le débat est posé. Mais au fait, que sont ces réacteurs de 4ème génération ? Quel est l’avancée actuelle des nouvelles technologies de centrale nucléaire ?

Rendez-vous dans six ans. Le réacteur nucléaire de quatrième génération Astrid serait construit à Marcoule (Gard) à partir de 2017. C’est ce qu’a indiqué récemment le CEA. « ASTRID a pour objectif essentiel de démontrer à l’échelle industrielle les avancées dans les domaines de progrès identifiés pour le RNR-Na (sûreté, opérabilité, évaluation des possibilités de transmutation actinides) ». La quatrième génération permet d’obtenir des déchets finaux de plus petite durée de vie radioactive » a déclaré Christophe Béhar, le directeur de l’énergie nucléaire.

Après Fukushima , les réacteurs de 4ème génération représentent, aux yeux du CEA, le meilleur argument du nucléaire français. Même certains écologistes y sont favorables. Une raison est avancée: l’un des grands enjeux des réacteurs de quatrième génération serait de faciliter la gestion des déchets hautement radioactifs comme le curium, l’américium ou le neptunium et de réduire le volume et la radio-toxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes qui se limiteraient alors aux produits de fission (soit actuellement 4% du combustible usé), lesquels seraient plus aisément stockables et retrouveraient le niveau de radioactivité de l’uranium naturel non plus au bout d’une dizaine de milliers d’années, mais au bout de 300 ans environ. Cela offrirait la possibilité de ranger le nucléaire dans le développement durable, conformément aux mécanismes de développement propre ou Clean Development Mechanism. À la longue, avec cette technologie, on pourrait avoir des déchets d’uranium stabilisé. Ces réacteurs permettraient en outre de produire de l’hydrogène, des carburants de synthèse et de la chaleur à valoriser.

Les objectifs fixés dans le cadre du Forum international Génération 4 sont l’amélioration de la sûreté nucléaire et de la résistance à la prolifération, la réduction des déchets, l’optimisation de l’utilisation des ressources naturelles, la diminution des coûts de construction et d’exploitation des réacteurs.

Les Réacteurs de 4e génération pourraient être construits à partir de 2020-2030 pour remplacer la troisième génération de Réacteurs, dont font partie les EPR European Pressurized Reactors. La mise en service du premier réacteur du genre ne serait cependant possible qu’à partir de 2040.

Sur les six concepts retenus, quatre reposent sur la technologie des RNR, un sur celle du réacteur HTR (non régénérateur, au plutonium) et un sur celle du RSF au thorium.

Les RNR répondent à ces objectifs.

On sait que tous les réacteurs ne consomment que l’uranium 235, qui représente à peine 0,7 % de l’élément chimique uranium, l’essentiel (99,3%) étant constitué par l’isotope 238, non fissile. Pour être réutilisé l’U238 gagne donc à être enrichi en U235. L’intérêt des Réacteurs à neutrons rapides, refroidis au sodium, est précisément de pouvoir exploiter cette nouvelle ressource. Le grand exploit des RNR réside dans leur faculté de produire autant ou plus de matière fissile qu’ils en absorbent. Ils sont donc en mesure, par recyclages successifs, d’utiliser la quasi-totalité de l’énergie contenue dans l’uranium, soit 100 fois plus qu’un Réacteur à eau ordinaire.

À titre de comparaison, un REP classique a besoin de 110 tonnes d’uranium naturel par an et produit 0.25 t de plutonium par an. Un RNR régénérateur de même puissance aurait besoin de 15 à 20 tonnes de Plutonium (constamment régénérés), et consommerait seulement 1 à 2 t d’uranium naturel par an. On peut donc ainsi « brûler » théoriquement tout l’uranium extrait des mines, c’est-à-dire 100 fois plus théoriquement qu’avec un réacteur à eau légère. Ceci veut dire qu’on peut faire durer l’uranium considérablement. Les RNR pourraient même marcher en utilisant l’important stock d’uranium appauvri qui se trouve inutilisé par le parc de Réacteurs à eau Les RNR résolvent donc le problème des ressources. Les RNR émergeront que si l’économie de matière fissile devient un facteur déterminant.

Les Réacteurs à haute température (RHT)

Ces Réacteurs à neutrons thermiques de 4ème génération (HTR : High Temperature Reactor, en anglais), sont modérés par une large masse de graphite et refroidis par de l’hélium en circulation dans un circuit, directement couplé à une turbine. Ils emploient un combustible original, qu’on appelle la « particule enrobée », composée de carbone et de céramique. Cela permet de constituer des coeurs très réfractaires, fonctionnant à haute température. Cette capacité ouvre la possibilité de cycles thermodynamiques très performants. La grande latitude offerte au concepteur par le combustible à particules rend ce type de Réacteur capable de s’accommoder d’une large variété de cycles du combustible.

Plusieurs prototypes de RHT sont en cours de développement aux États-Unis et en Europe. Rendus attractifs par les récents progrès des turbines à gaz, ils sont actuellement étudiés sous la forme de petits Réacteurs modulaires. Ils sont dotés d’une grande inertie thermique, donc particulièrement sûrs. Leur très bon rendement thermodynamique devrait rentabiliser un investissement encore élevé qui est dû à leur faible puissance volumique.

Ces réacteurs ont principalement été prévus pour la filière de l’uranium enrichi, mais ils présentent un bon potentiel d’utilisation de thorium. Ils utilisent l’uranium 235 enrichi à 90 % ou plus et le thorium 232, les deux mélangés dans une même particule de combustible ou dans deux particules différentes. De nombreux cycles mixtes sont étudiés pour les années à venir. L’un des plus prometteurs est un cycle thorium-plutonium, qui utilise particulièrement bien le plutonium fortement dégradé après passage dans un réacteur à eau légère. Mais ce n’est pas prévu pour demain. L’industrie du thorium contrairement à celle de l’uranium n’existe pas encore ce qui retardera tout recours au thorium

Les Réacteurs à Sels Fondus (RSF)

La meilleure façon de gérer les déchets du nucléaire n’est-elle pas d’en produire le moins possible ? La réponse à cette question se trouve dans la filière du thorium. Associés au cycle du thorium, les Réacteurs à neutrons thermiques à sels fondus ont la chance d’utiliser, à la différence des autres réacteurs, un combustible liquide, constitué de sel fondu (mélange de fluorures de lithium, de thorium et d’uranium) qui fait office de transporteur de chaleur et n’absorbe pas les précieux neutrons qui entretiennent la réaction. Pour les chercheurs du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (LPSC) de Grenoble, le point fort de ce procédé est qu’on n’a pas besoin d’aller au cœur du réacteur, pour extraire tout au long du circuit, les produits de fission empoisonnés.

« L’uranium 233 qui n’existe pas à l’état naturel peut être remplacé pour le démarrage du réacteur par de l’uranium 235 ou du plutonium ». Dans le premier cas, la mise en oeuvre est compliquée et peu efficace. Dans le second, on produit énormément d’actinides mineurs radioactifs. « La solution ? Produire l’uranium 233 à partir d’un REP utilisant partiellement du thorium au lieu de l’uranium ». À Orsay, des chercheurs de l’Institut de physique nucléaire consacrent leurs recherches à ce mode de production. L’atout des RSF est multiple. En premier lieu, ils nécessitent dix fois moins de matière fissile pour démarrer que les RNR. Ensuite, les actinides mineurs sont produits en quantité nettement moindre. Enfin, les produits de fission et les actinides qui restent peuvent être retraités en continu. Un seul REP au thorium fournit pendant sa durée de vie (40 ans) de quoi démarrer quatre réacteurs à sels fondus.

L’Accelerator Driven Systems (ADS)

Dans une perspective plus lointaine, il faut mentionner les systèmes hybrides. Ils marient deux technologies éprouvées, celle des accélérateurs et celle des réacteurs. L’idée consiste à associer un accélérateur de particules à un réacteur nucléaire. Le principe n’est pas nouveau en soi. Les scientifiques ont remarqué qu’en provoquant le choc d’un proton, à très haute énergie, sur une cible épaisse, par exemple du plomb, cela permet par interactions successives l’émission d’un grand nombre de neutrons. Bombardés, les atomes de plomb libèrent des neutrons, et ces neutrons frappent à leur tour le combustible nucléaire. Là, ils provoquent des réactions en chaîne qui génèrent de la chaleur que l’on peut alors récupérer pour faire fonctionner des turbines et des alternateurs.

Les Réacteurs hybrides présentent d’importants avantages. Ils consomment du Thorium 232 au lieu de l’Uranium 235. Le premier est environ 500 fois plus abondant dans la nature que le second. Ils sont à l’abri de toute explosion. Ces combustibles à base de thorium peuvent détruire, par transmutation, le plutonium existant au lieu d’en produire. Le réacteur hybride ne produit pas non plus d’autres déchets hautement radioactifs, parfois durant des dizaines de milliers d’années, comme le font les centrales nucléaires actuelles. Enfin, leur régime chute dès qu’on arrête l’accélérateur. Le coeur du réacteur ne peut s’emballer. Les ADS pilotés par accélérateur présentent des caractéristiques de sûreté et d’efficacité adaptés aux exigences mondiales du développement durable pour la gestion responsable des déchets radioactifs.

Mais cela ne règle pas le problème global des déchets sur le long terme. En outre, cette filière innovante exige une recherche-développement très importante, des installations technologiquement et opérationnellement complexes.

Les études de faisabilité de tels assemblages sont bien avancées. Des travaux ont été effectués sous l’égide du CEA-CNRS et au plan européen, dans le cadre du 5e et du du 6e PCRD-programme commun de recherche et de développement. Des industriels ont pris une part importante à ces travaux. Des expérimentations à puissance zéro ont été réalisés dans le centre de recherche de Cadarache sur la maquette critique « Masurca » (CEA-Cadarache). Un injecteur de protons de haute intensité est en construction au CEA Saclay. Le réacteur nucléaire piloté par accélérateur (ADS) ne fait pas partie des concepts de « génération 4 ». Le coût d’un ADS serait élevé car il faudrait ajouter au coût du réacteur ceux de l’accélérateur et de la cible. En tout état de cause, les ADS ne pourront pas être déployés à l’échelle industrielle avant quelques décennies.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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