Un article du Figaro du 3 novembre sous le titre « les sites Web de presse gagnent enfin un statut », m’intrigue. L’auteur souligne : « ils pourront ainsi bénéficier des aides de l’Etat à la Presse ». Le statut d’éditeur de presse en ligne était un des discrets volets de la loi Hadopi.

Si j’en crois l’article en question, pour bénéficier de ce statut, il convient de publier en ligne un contenu qui soit original, édité à titre professionnel dans un contexte d’actualité et faisant l’objet d’un traitement journalistique tout en ne constituant ni un outil de promotion, ni même l’accessoire d’une activité industrielle ou commerciale.

Ça veut dire quoi, un « traitement journalistique » alors que nombre de blogs ou de lettres professionnelles de qualité circulent de plus en plus sur la Toile ? Qu’il faudra embaucher un professionnel de l’écriture de préférence à un spécialiste ou un expert d’un domaine donné pour s’exprimer sur l’actualité ?

Ça veut dire quoi « ne constituant ni un outil de promotion, ni même l’accessoire d’une activité industrielle ou commerciale » puisque c’est le cas de la majorité des titres actuels qui utilisent la publicité afin de financer leurs contenus ? Dois-je en conclure que la presse en ligne va, elle aussi, se nourrir des subsides de l’Etat en faisant croire qu’elle est libre. Les éditeurs belges, québécois ou libanais de langue française installés sur le web, tous en grand danger, pourront-ils eux aussi profiter de cet outil pour contribuer au rayonnement de notre langue et de nos idées ?

Le monde digital n’est pas moins difficile que le monde réel. Mais je ne suis pas convaincu que les aides de l’Etat, même avec les meilleures intentions du monde, soit une façon de les aider à trouver, à inventer les nouveaux modèles économiques dont ils ont besoin pour constituer à terme une presse plurielle et rentable. J’aurais préféré que l’on soutienne au coup par coup des projets d’expériences pour ceux des titres les plus innovants, les plus audacieux. Je pense notamment aux sites pure player qui tâtonnent encore, certes, mais qui sont en train d’ouvrir, en prenant tous les risques, la voie à des titres plus frileux. Ou, différemment, que l’on s’attarde à faire mieux connaître les différents modèles économiques susceptibles de rémunérer les fournisseurs de contenus.

Jean Marie Charon revient, dans le Monde du 4 janvier 2010, sur les aides apportées par l’Etat à la presse et notamment à la presse en ligne. Ce dernier évalue à environ 900 millions d’euros les aides directes et indirectes apportées à la presse (1 ). Je note que la presse profite des aides postales pour surcharger leurs envois hebdomadaires de prospectus qui n’ont plus grand chose à voir avec la pagination initiale et que, de plus, la plupart des titres ne suivent pas correctement leurs abonnés d’où des retours considérables qui augmentent encore plus les coûts pour la POSTE.

Dois-je rappeler que la POSTE est un service public et non un service pour la presse qui bénéficie déjà d’une TVA à 2,1%? Que des hebdomadaires aillent jusqu’à proposer plus de 70% de réduction sur un abonnement annuel, en profitant par ailleurs des subsides tirés des impôts des français, est scandaleux !

On est, par ailleurs, parfaitement en droit de s’interroger sur les (bonnes) raisons qu’aurait l’Etat à soutenir des revues de distraction qui encombrent les salles d’attentes.

Nous sommes bien loin de l’idée défendue à la Libération de soutenir une presse d’opinion. Une presse, modeste, qui saurait mettre son talent au service du public en se libérant de la tutelle des pouvoirs publics et des banquiers. Pour ma part je reste résolument opposé à ces aides dispendieuses qui ne sont pas octroyées dans le respect de cette idée fondamentale. L’ensemble de la presse française n’est pas un chef d’œuvre en péril. C’est depuis bien longtemps une affaire de « business » (2) . Aussi, relativement aux aides à la presse en ligne, je reste sur l’idée que celle-ci doit trouver en dehors de l’Etat les ressources suffisantes à sa survie.

La vraie question devient alors : Comment favoriser les producteurs d’information spécialisés dédiés à la pédagogie et à l’information culturelle, politique et économique ?

Je suis convaincu qu’on peut agir sur d’autres leviers que les soutiens actuels qui contribuent à la capitalisation des groupes de presse plutôt qu’à l’amélioration de la diffusion et de la promotion des publications. La disparition sinon la réduction des affichages publicitaires dans les villes, qui sont autant d’éléments de pollution visuelle et de distraction pour les automobilistes, est une première piste. Les annonceurs passeront par la presse écrite et la presse en ligne. La faiblesse du nombre des points de vente n’est un secret pour personne. Qu’on encourage l’installation des kiosquiers sans leur imposer de vendre toute la production éditoriale et en leur donnant le droit de choisir les titres qu’ils veulent vendre.

Si nous voulons soutenir la presse d’opinion donnons-lui le statut d’organisme d’intérêt général. Cette assimilation de la presse à une organisation d’utilité publique, sociale et économique n’a rien de scandaleuse, ni de révolutionnaire. Elle permettrait aux français de subventionner directement les titres (y compris en ligne) qu’ils préfèrent en bénéficiant d’une déduction fiscale (plutôt que des remises qui devraient être encadrées). Une piste suivie par Agoravox, le « média citoyen » qui a constitué sa fondation afin de recueillir des fonds bénéficiant d’une réduction fiscale.

Enfin, si la presse se trouve en délicatesse face à la numérisation, qu’elle fasse en sorte de se constituer en kiosque numérique où il serait possible d’acheter un forfait « tous titres ». Les lecteurs devraient pouvoir, grâce à des cartes d’abonnés de type PassPress, acheter des journaux ou hebdomadaires numérisés à des prix « low cost » (3) . Durant toute l’année ils pourraient, au gré de leur curiosité, se procurer les titres numériques qui retiennent leur intérêt sans pour autant se voir imposer un abonnement particulier et devoir passer chaque fois par des procédures d’achat exaspérantes. Autant de pistes qui limiteront les dépenses de l’Etat et permettront à la presse française de gagner – enfin – le statut de presse indépendante.

1. Il ne fait aucun doute que la presse française organisée en lobbies puissants c’est mise elle-même en état de perfusion permanent des subventions de l’Etat, donc des contribuables français. Les deux liens suivants éclaireront le lecteur intéressé : http://www.senat.fr/rap/r03-406/r03-406.html et http://www.e24.fr/hightech/article423.ece/Panorama-des-aides-a-la-presse-en-2009.html

2. En 2001, la presse française représentait un chiffre d’affaires annuel de 10,56 milliards d’euros en 2001. Les aides environ un dixième. La publicité entre 40 et 45% des recettes.

3. La presse comme les éditeurs traditionnels de CD veulent encore vendre au même prix les titres numérisés et les titres papiers. Les éditeurs restent trop gourmands. On constate une déformation scandaleuse entre les remises proposées aux futurs abonnés et les mêmes titres fournis en ligne. Titres rappelons le, numérisés dès leur réalisation et qui s’évitent les coûts de stockage, de distribution et de gestion des retours.