Alors que la France croule sous le poids de la dette publique et que l’Etat s’est engagé dans une révision des politiques publiques, qui pourrait nier la nécessité urgente de réformer aujourd’hui le « millefeuille administratif »?

Une réforme nécessaire

La décentralisation a été une très belle victoire. En faisant des élus locaux des acteurs majeurs de la vie quotidienne, déchargé de la tutelle encombrante et paralysante de l’Etat, les lois de décentration ont libéré les énergies locales au service des citoyens. Ce fut l’une des réformes phares de gauche, amplifiée par la loi constitutionnelle du mois de mars 2003 sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, alors président de la Région Poitou Charente.

Mais l’histoire de la décentration à la française est aussi celle de la superposition des structures administratives qui, au fil des ans, se sont instituées en strates aujourd’hui rigidifiées mais sans grande cohérence malgré le principe qui voulait qu’à chaque niveau de collectivités corresponde un niveau de compétences (la logique dite du « bloc de compétence).

Un enchevêtrement de structures

Aujourd’hui, le citoyen vit ainsi dans une commune au-dessus de la laquelle se trouve souvent l’établissement public de coopération intercommunale, puis le canton avec le conseil général, enfin la Région. Cette description ne compte pas les pays de la loi Voynet qui eux-mêmes se cristallisent souvent dans des structures intercommunales. Pour les habitants de Paris, Lyon et Marseille, il faut aussi compter le maire d’arrondissement.

On comprend dès lors qu’il devient urgent de réformer le paysage décentralisé pour parvenir enfin à un décor plus simple et plus lisible, afin que l’on sache qui fait quoi et qui paye pour quoi.

L’autre grande question concerne la fiscalité locale. Au fil des années, chaque niveau de collectivités locales a reçu compétence pour, dans certaines limites, prélever l’impôt. Or la souveraineté fiscale est l’une des marques de pouvoir les plus importantes pour un élu puisque cela marque à la fois sa légitimité et son territoire. Chacun a ainsi une bonne raison d’augmenter tous les ans un peu plus l’impôt, soit progressivement tous les ans, soit de façon plus importante au cours de premières années d’un mandat. Or le contribuable n’a tout simplement aujourd’hui la capacité de faire face à toutes ces augmentations,

L’argument selon lequel il n’y aurait pas de choix à l’augmention des impôts en raison des transferts insuffisants des dotations et transferts financiers de l’Etat trouvent aujourd’hui ses limites et est de moins en moins accepté par les citoyens, les usagers ou contribuables. Bref ces derniers ne sont plus prêts à payer à n’importe quel prix le service public. Le Président de la République l’a rappelé en recevant les maires au palais de l’Elysée vendredi 20 novembre « C’est le même contribuable qui paie ».

C’est pourquoi, la question de la réforme des collectivités territoriales est aujourd’hui devenue primordiale et Nicolas Sarkozy qui a eu raison de lancer ce chantier a réaffiché sa détermination « J’irai absolument jusqu’au bout ».

Une méthode contestée

Seulement voilà, l’agenda et la méthode sont largement contestés. Le président a tout mis sur la table : la suppression de la taxe professionnelle et la réforme des collectivités. Il est clair, comme l’a affirmé l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin-qui n’était pas présent à la réunion de l’Elysée- qu’il eut été plus logique de faire la réforme des collectivités territoriales avant de supprimer purement est simplement la taxe professionnelle qui, assise sur les investissements, avait en effet comme conséquence de brider l’emploi et le développement des entreprises. Mais cet impôt était efficace et, en finances publiques, une règle veut que pour être efficace, un impôt doit forcément être injuste…

La « poll tax » de Margaret Thatcher, à laquelle faisait récemment allusion Martine Aubry, première secrétaire du parti socialiste, était injuste mais efficace puisqu’elle touchait tous les foyers fiscaux y compris les plus pauvres.

En supprimant la taxe professionnelle sans s’assurer que les futures collectivités territoriales à statut encore indéterminé seront assurées de disposer des ressources suffisantes pour assumer des compétences elles-mêmes susceptibles d’évoluer, la sensation est que l’on a mis « la charrue avant les bœufs ». D’où la promesse faite par François Fillon et le gouvernement de signer une « clause de revoyure » destinée à faire le point sur le montant de ressources transférées au cours de l’année 2010. Le Premier ministre a d’ailleurs annoncé une autre clause de ce type dès 2011 pour faire le point sur la réforme des collectivités territoriales.

Des incohérences à corriger

Encore faudrait-il que l’on soit d’accord sur qui fera quoi et là, la confusion règne en même temps. Quelles seront les compétences que devront gérer les futurs « conseillers territoriaux ». L’élu devra s’occuper à la fois du département, qui croule aujourd’hui sous le poids des dépenses de solidarité (souvent 60% des dépenses de fonctionnement) et de la Région qui mène des actions économiques et d’aménagement du territoire.

Les intercommunalités récupéreront-elles des compétences du canton (donc du conseil général) et lesquelles ?

Enfin, les métropoles seront-elles dignes de ce nom ? Sur ce point bizarrement, une métropole pourrait être créée dès le seuil de 400.000 habitants, ce qui constitue une population inférieure à celle de la communauté urbaine de Lyon (environ 1,3 million d’habitants) ou de Lille (1,1 million d’habitants).

Ce niveau paraît bien ridicule lorsque l’on sait qu’une métropole digne de ce nom en Europe dépasse toujours les deux millions d’habitants 1,7 million pour la seule ville de Barcelone et 3 millions avec la banlieue ; plus de 7 millions d’habitants pour l’aire urbaine de Milan ; 2,7 millions pour Hambourg et sa banlieue…Le Président de la République, sur ce point, s’est dit ouvert à une discussion sur le seuil démographique qui pourrait même être légèrement inférieur si les élus nationaux en convenaient de façon unanime…

Nicolas Sarkozy a donc cherché, lors de réunion à renouer avec le fil directeur d’une réforme que d’aucuns avaient quelques difficultés à trouver… Il reste aux députés et sénateurs à « amodier » le projet pour reprendre l’expression du président. Il n’est pas certain que les marges de négociation seront très larges…

* Maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialiste des collectivités territoriales, ancien chargé de mission à la direction générale des services de la Communauté urbaine de Lyon

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