Parmi les 15 propositions énoncées par le Comité Roosevelt 2012* pour un véritable New Deal français, plusieurs d’entre elles, notamment fiscales et financières, sont particulièrement éclairantes.

1. Dégager de nouvelles marges de manœuvre financières en créant un impôt européen sur les bénéfices des entreprises

Le taux d’impôt sur les bénéfices des entreprises n’est que de 25 % en moyenne en Europe contre 40 % aux Etats-Unis

C’est le monde à l’envers ! On croyait que les Etats-Unis étaient les plus libéraux mais ils taxent plus que nous les bénéfices des entreprises.

Pourquoi l’Europe a-t-elle un taux aussi faible ? Depuis l’adhésion de l’Irlande et de la Grande-Bretagne, en 1973, tous les états européens sont poussés au moins-disant fiscal par les états qui baissent leur impôt sur les bénéfices pour attirer les entreprises. L’Irlande a baissé son taux à 12 % et tous les états membres ont du baisser leur impôt sur les bénéfices… Au niveau européen, le taux moyen d’impôt sur les bénéfices a baissé d’un tiers en vingt ans. Ce moins-disant fiscal est l’une des causes importantes de l’endettement public.

Jamais il n’y a eu autant de bénéfices (plus de 550 Milliards d’euros l’an dernier pour les seules entreprises du DJ Stox 600

Mais jamais l’impôt sur les bénéfices n’a été aussi faible !

La dernière fois que l’on a connu une telle course au moins disant fiscal, c’était aux Etats Unis dans les années 1920 : le Texas baissait ses impôts pour attirer les entreprises. Puis c’est la Floride qui baissait l’impôt sur les bénéfices. Puis l’Ohio… Les entreprises (et leurs actionnaires) profitaient sans complexe de ce dumping fiscal. Jusqu’à ce qu’éclate la crise de 1929. Les Etats se rendirent compte alors que leurs caisses étaient vides et qu’ils n’avaient pas les moyens d’aider les chômeurs ni de relancer l’activité en augmentant les dépenses publiques !
Dès qu’il arrive au pouvoir, Roosevelt crée un impôt fédéral sur les bénéfices pour rendre impossible le dumping entre états voisins. En Europe au contraire, il n’y a pas d’impôt européen. Ce qui favorise grandement le dumping entre voisins. Voilà comment nous sommes arrivés à un taux d’imposition 15 points inférieur à celui des Etats-Unis.

Aucun pays d’Europe ne peut augmenter de 15 points son taux d’impôts sur les bénéfices : s’il est le seul à le faire, les entreprises partiraient toutes dans les états voisins. Mais rien ne nous empêche d’agir au niveau européen en créant un impôt européen sur les bénéfices de l’ordre de 15 %.

21 milliards de marges de manœuvre, chaque année, pour la France

Pour le moment, l’Europe n’a pas de ressources propres. Ce sont les états membres qui versent chaque année de quoi financer son budget. Cette année, la France va payer 21 milliards d’euros au budget européen. Si le budget européen était financé par un impôt européen, ces 21 milliards resteraient dans les caisses de Bercy, ce qui diminuerait d’autant notre déficit.

Quel impôt européen ?

On peut créer un impôt sur les bénéfices des entreprises puisque c’est l’impôt sur les entreprises qui a fortement diminué depuis vingt ans, au profit des actionnaires bien plus que de l’investissement. Une éco-taxe permettrait également de renforcer les ressources propres de l’Europe, tout en incitant les entreprises à diminuer leur consommation d’énergie.

L’idée de créer un impôt européen avait déjà été avancée par Jacques Delors dans les années 1980. Après presque 30 ans de réflexion, n’est-il pas urgent de passer à l’action ? Puisqu’un nouveau Traité doit être négocié d’ici le mois de mars 2012, il doit intégrer la création d’une taxe sur les transactions financières et la création d’un impôt européen sur les bénéfices des entreprises. Si le budget européen était financé par un impôt européen sur les bénéfices, la France économiserait chaque année un peu plus de 20 Mds. Si un tel impôt existait déjà, notre déficit public 2011 ne serait plus que de 75 Mds, moins de 4 % du PIB.

2. Boycotter les paradis fiscaux en utilisant le levier de la commande publique

Un rapport du Parlement européen estime que la fuite vers les paradis fiscaux provoque chaque année un manque à gagner fiscal de l’ordre de 1 à 1,5% du PIB pour chaque État membre. En France, c’est chaque année une perte de 20 à 30 milliards d’euros. Au-delà des beaux discours, aucune action sérieuse n’est engagée aujourd’hui pour les lutter contre les paradis fiscaux.

Le 4 novembre 2011, à l’issue du Sommet du G20, Nicolas Sarkozy prenait à témoin l’opinion publique mondiale et affirmait « ne plus vouloir des paradis fiscaux ». Il promettait de les « mettre au ban de la communauté internationale ». Le Panama était un des pays nommés dans ce discours très vigoureux mais deux semaines plus tard, le président du Panama déclarait en sortant de l’Élysée que le président français l’avait assuré que la convention signée entre la France et le Panama pour « éviter les doubles impositions » serait ratifiée par le Parlement français d’ici la fin 2011… Et quand un journaliste 1 s’inquiète de ce double discours, un conseiller lui répond que « Le président de la République s’exprimait à Cannes comme président du G20. Il ne s’agissait en aucun cas d’une déclaration à titre national.»

Vu la gravité de la crise des finances publiques, ce double discours n’est plus acceptable. Plutôt que d’imposer aux peuples des plans d’austérité qui aggravent la crise, l’Etat doit déclarer la guerre aux paradis fiscaux :

> en rendant obligatoire la transparence des comptes des entreprises : toutes les entreprises doivent rendre des comptes sur leur activité pays par pays et déclarer l’existence de filiales dans des paradis fiscaux ou des centres off shore.

> en boycottant les entreprises ayant des filiales dans ces paradis fiscaux : l’État et l’ensemble des collectivités locales (régions, départements, communes et communautés de communes…) ne doivent plus accorder aucun marché public à une entreprise (banques, entreprise de travaux publics, fournisseurs de systèmes informatiques…) qui a des filiales dans des paradis fiscaux et qui échappe ainsi aux impôts qui financent l’école, la santé, la police ou les retraites.

> en mettant fin à la pratique de l’optimisation fiscale des groupes internationaux via les prix de transfert. Il faut transposer au niveau européen l’apportionment existant aux Etats-Unis, qui oblige chaque entreprise trans-étatique à déclarer sa masse salariale, son chiffre d’affaire et ses investissements Etat par Etat. Son niveau d’imposition est alors calculé en fonction de ces trois paramètres et non plus du seul profit déclaré, lequel est systématiquement transféré dans les zones fiscalement intéressantes.

3. Mettre fin au sabordage fiscal national

Pour sortir de notre dépendance aux marchés et rééquilibrer nos comptes publics, on peut trouver aussi d’importantes marges de manœuvre au niveau national en annulant une bonne partie des baisses d’impôts octroyées aux grandes entreprises et aux citoyens les plus riches depuis 10 ans.

Le rapport du député UMP Gilles Carrez publié le 5 juillet 2010 montre que si on annulait l’ensemble des baisses d’impôts votées depuis 2000, l’Etat aurait chaque année 100 milliards de plus dans ses caisses. Si nous revenions simplement à la fiscalité qui existait en 2000 (nul ne la jugeait confiscatoire ou sovietiforme), notre déficit se transformerait en excédent !

Quand Roosevelt arrive au pouvoir, le taux d’impôt applicable aux citoyens les plus riches était de 25 %. Roosevelt décide de le porter immédiatement à 63 % puis à 79 %. « Pendant près de cinquante ans, jusqu’à l’arrivée de Ronald Reagan, explique Thomas Piketty, le taux supérieur de l’impôt ne descendit jamais au dessous de 70 %.» Et l’économie américaine a très bien fonctionné pendant ces 50 années. Elle a fonctionné sans avoir besoin de s’endetter…

Si on crée un impôt européen et si on annule ne serait-ce que la moitié des baisses d’impôt votées depuis 10 ans, notre déficit public n’est plus que de 25 Mds. A peine 1,2 % du PIB. Et si dans le même temps, on diminue le coût de notre vieille dette (45 Mds prévus en 2012), nous ne sommes plus très loin de l’équilibre…

Oser la Révolution fiscale

Mais revenir sur les erreurs du passé ne suffit pas. Il faut aller plus loin et mettre en œuvre une vraie réforme de l’impôt sur le revenu comme le proposent Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez. Après avoir prouvé que l’impôt sur le revenu est de plus en plus complexe et de moins en moins progressif, Thomas Piketty et ses amis proposent un nouvel impôt sur le revenu, qui remplacerait un grand nombre de taxes existantes, notamment la contribution sociale généralisée (CSG), l’actuel impôt sur le revenu (IRPP), le prélèvement libératoire, la prime pour l’emploi, le « bouclier fiscal ».
Ce nouvel impôt sur le revenu sera prélevé à la source sur les revenus du travail et du capital (comme l’actuelle CSG, avec la même assiette que cette dernière), suivant un barème clairement progressif 1. Une partie des recettes de ce nouvel impôt sur le revenu sera affectée aux dépenses sociales, de la même façon que l’actuelle CSG.
Ce nouvel impôt sur le revenu est beaucoup plus simple et transparent que le système existant. Et il permet de rétablir la progressivité globale de notre système fiscal, et donc de corriger l’injustice du système actuel. D’autres propositions de réformes, allant dans le même sens, sont avancées par d’autres économistes ou des associations comme Attac. Elles doivent être étudiées avec le plus grand sérieux car le statu quo n’est plus possible.

4. Créer une vraie Taxe sur les Transactions Financières

Si une telle taxe avait été créée en 2008, même à un taux très faible, elle aurait déjà rapporté entre 250 et 600 milliards. La crise grecque aurait pu être réglée très vite, sans demander d’efforts aux peuples d’Europe. Qu’attendons-nous pour créer enfin cette taxe et rassurer le peuple allemand comme les autres peuples d’Europe en leur disant que c’est la dernière fois qu’on leur a demandé un effort injuste ?

Dorénavant, ce sont les marchés financiers qui seront mis à contribution pour abonder le Fonds européen de Stabilité.

Si Londres s’oppose à la création d’une taxe sur les transactions, il faut sans agressivité « mettre les points sur les i » et avoir le courage de déclencher une crise clarificatrice :

1. Les émeutes de l’été 2010 ont montré que le peuple anglais n’en peut plus des politiques d’austérité.

2. La dette privée du Royaume-Uni dépasse les 230 % du PIB 1 contre 130 % en France. Et si l’on intègre la dette publique et surtout l’immense dette du secteur financier, la dette totale de la Grande-Bretagne dépasse les 900 % du PIB 2. C’est dire l’extrême fragilité du « modèle anglais ». Dans 2 mois ou dans 2 ans, les Anglais viendront supplier l’Europe de les aider pour sauver leurs banques. Il faut leur mettre le marché sur la table et leur dire que c’est aujourd’hui qu’ils décident si, Oui ou Non, ils sont dans le même bateau que les autres peuples d’Europe.

Ils ne pourront pas nous supplier d’être solidaires demain s’ils refusent d’être solidaires aujourd’hui. Si les Anglais comprennent que, de fait, nous avons tous intérêt à être solidaires, nous pouvons mettre en place très vite une taxe Tobin à un taux assez élevé. Sinon, nous pouvons le faire au niveau de la zone euro, avec un taux plus faible.

La mise en place d’une Taxe sur les transactions financières est tout à fait réaliste au niveau de la seule Zone Euro (même M. Barroso l’admet aujourd’hui) mais elle serait plus efficace et aurait un rendement nettement plus élevé si elle était mise en place simultanément dans l’ensemble de l’Europe ou dans l’ensemble des places financières mondiales. Comme tous nos États ont besoin de dégager des ressources nouvelles 3, tous les dirigeants du G 20 devraient mettre en œuvre cette taxe sur les transactions financières sans tarde

5. Interdire aux banques de spéculer avec notre argent en séparant les banques de dépôt et les banques d’affaires

Pour protéger l’épargne des citoyens et ne pas faire courir de risques aux finances publiques ni au financement de l’économie réelle, le principe d’une séparation étanche entre Banques de dépôt et Banques d’affaires vient d’être acté en Grande-Bretagne mais les lobbies ont obtenu que son application soit repoussée à… 2019 ! C’est évidemment beaucoup trop tard. Vu le risque qu’une crise majeure éclate bientôt sur les marchés financiers, il faut mettre en œuvre cette réforme sans tarder pour protéger l’économie réelle.

Pour interdire aux banques de spéculer avec l’argent de M. et Mme Tout-le-monde, il faut séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires. C’est une des premières réformes qu’a fait adopter Roosevelt en 1933 en faisant voter le Glass Steagal Act.
Quand Roosevelt fait voter cette loi, il ne laisse que quelques semaines aux banques pour la mettre en œuvre. C’est une condition sine qua non si nous voulons éviter que des banques universelles géantes ne prennent en otage les sociétés européennes parce qu’elles sont « too big to fail ».

Favoriser le financement des PME

Un des intérêts de cette réforme serait aussi d’obliger les banques de dépôt à être bien plus au service des PME qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Si les banques ne peuvent plus utiliser nos dépôts pour des activités spéculatives à 10 ou 15 % de rentabilité, elles accueilleront sans doute mieux les responsables de PME qui ont besoin de financer des projets de développement « normaux ».

De même, les collectivités locales et l’Etat devraient tout faire pour favoriser la création et la croissance des PME. Il faut en particulier améliorer l’accompagnement des créateurs d’entreprises et les aider dans le pilotage quotidien de leur entreprise. Gérer une entreprise n’est jamais facile, mais si l’on pense qu’on va vers une aggravation de la crise, le besoin de formation, d’outils de pilotage et de lieu d’échange avec d’autres responsables est encore plus évident.

On a parlé plus haut du stress et de la souffrance au travail que subissent un nombre croissant de salarié(e)s à cause de la peur du chômage (si t’es pas content, va voir ailleurs) mais il ne faut pas sous-estimer le stress que vivent aussi beaucoup de patrons de PME, sous-traitants de grandes entreprises. Pour muscler notre tissu économique, pour être plus résistants en cas de Tsunami, il faut favoriser le financement des PME mais aussi les aider à piloter leurs entreprises et agir pour rééquilibrer la relation entre grandes entreprises et sous-traitants.

En finir avec l’irresponsabilité des financiers

Depuis quelques semaines, c’est une véritable guerre que certains spéculateurs ont déclaré à la zone Euro et, à travers elle, à l’ensemble de la stabilité économique mondiale. Il ne suffit pas de dénoncer verbalement « la nature criminelle de certains comportements du secteur financier » comme le fait M. Barroso, il faut agir avec force pour les mettre hors d’état de nuire.

Aux États-Unis, l’autorité de surveillance bancaire (FDIC) a décidé le 6 juillet 2011 que les dirigeants des plus grands établissements financiers américains pourront perdre rétroactivement leur rémunération en cas de faillite de leur entreprise. L’État pourra “récupérer la rémunération des dirigeants” qui auront été jugés “clairement responsables” de la faillite de leur société. Ces personnes pourront désormais se voir opposer un “critère de négligence” permettant de récupérer leur rémunération a posteriori lorsqu’ils n’auront pas fait preuve “des compétences et de l’attention que la prudence ordinaire exige de pareille fonction et dans des circonstances semblables”.
Cette règle est importante pour mettre fin à l’irresponsabilité des dirigeants. Il faut la mettre en œuvre dans tous nos pays en ne visant pas seulement les trois principaux dirigeants (comme c’est le cas aux USA) mais l’ensemble des cadres dirigeants, des sales et des traders.

De même, l’Europe a décidé le 18 octobre 2011 l’interdiction des CDS nus. C’est une très bonne nouvelle mais il faut aller plus loin : supprimer les clauses restrictives qui affaiblissent la portée de ce texte, interdire l’anonymat sur les marchés financiers, imposer des chambres de compensation sous tutelle publique aux marchés de gré-à-gré et décider de sanctions rétroactives pour les responsables ayant eu des comportements fautifs.
Développer des monnaies complémentaires

Au-delà de ces mesures d’urgence, une réflexion collective doit s’engager sur les fragilités qu’entraîne pour notre économie et notre cohésion sociale le fait de n’utiliser qu’une seule monnaie (ce que nous pourrions appeler une monoculture monétaire).
De la même façon qu’un parasite ou un incendie se propage éminemment plus vite dans une forêt ne comptant qu’une seule essence (par exemple le pin), une crise financière est susceptible de contaminer, en quelques jours, l’ensemble de l’économie mondiale par l’intermédiaire des banques, entraînant dans son sillage l’économie réelle, potentiellement saine et déconnectée des spéculations.
En revanche, une économie ouverte à une polyculture monétaire, comme cela fut le cas plusieurs fois dans l’histoire (notamment entre 1000 et 1290 en Europe) et comme cela est à nouveau le cas dans plusieurs pays du monde (Suisse, Belgique, Uruguay, Allemagne, Angleterre…) sera probablement plus stable et résiliente.

L’utilisation de ces monnaies complémentaires permettait de valoriser certaines richesses que les mesures classiques du PIB ne prennent pas en compte aujourd’hui et d’investir massivement sans création de dette, dans certains chantiers d’intérêt général.
L’apparition de monnaies locales et régionales un peu partout dans le monde (65 en Allemagne, 12 en France, plusieurs dizaines au Royaume-Uni, plusieurs centaines au Brésil et plusieurs milliers en Amérique du Sud, etc.) confirme cette analyse. La circulation de monnaies pouvant exclusivement être dépensées sur un territoire donné ou pour un type d’activité donné est utile pour relocaliser l’économie ou empêcher sa dislocation par les «forces du marché ».

*collectif Roosevelt 2012
Passons à la vitesse supérieure !

www.roosevelt2012.fr

http://reseau.nouvelledonne.fr/?xgi=4qM9ORZoqzYUZA

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

ECONOMIE

Etiquette(s)

, , , ,