Troisième révolution industrielle, économie de la contribution, démocratie d’initiative… les élections sont l’occasion pour les citoyens de rassembler les idées et de proposer des horizons. Faut-il céder au pessimisme ambiant et se désenchanter ou tenter de définir un nouveau monde en provoquant « l’insurrection des consciences »?

Par les temps qui courent, « Présidentielles » en tête, nous voilà pour quelques semaines absorbés par le court termisme, le clientélisme et le sectoriel. La campagne des élections manque d’air. Elle nous épuise. Rien qui ne nous fasse un peu rêver. Rien qui ne nous projette dans les vues à long terme. Rien dans l’analyse qui ne nous mobilise ou ne nous donne envie de débattre de la transition qui s’impose à nos sociétés. Entre les petites histoires de viande Hallal et les avalanches de chiffres qui se mélangent dans nos esprits, entre les slogans et les insultes, peu de discours nous emmènent vers une vision claire du futur pour les cinq ans à venir. La France semble figée. Personne pour oser l’utopie et l’invention d’un monde nouveau. Il nous manque l’enthousiasme et le stimulant. Il nous manque aussi un peu d’humanité et des horizons pour recharger nos batteries personnelles et collectives. Malgré ce peu d’entrain pour les programmes, il faut voter. Rien ne serait pire qu’un message d’indifférence à la chose politique. Voter, bien sûr et inventer…Mais sur quelles bases ?

Le “ goût de l’avenir ”, voilà ce qu’il nous faut. Le goût de l’avenir, telle est la définition du politique. Et c’est bien ce goût dont on peut regretter l’absence dans les propos des candidats qui eux, nous emmènent dans un économisme désincarné, au risque de nous décourager. Ce qui fait défaut, c’est ce qu’Edgar Morin appelle l’anthropolitique, une sorte de politique civilisationnelle reposant d’une part ; sur l’engagement contre la résignation d’une société sans projet, qui fasse le lien entre une vision prospective et macroéconomique du futur, d’autre part ; sur la mise en perspective de la multitude d’initiatives créatrices que l’on peut observer ici et là dans le champ social, économique et culturel.

Heureusement, il y a les livres. Lisez « La 3ème révolution industrielle » de Jeremy Rifkin et même si vous ne partagez pas tout ce qu’il dit sur l’économie durable, il a le mérite de mettre en scénario quelque chose qui ressemble à de la liberté. En nous invitant à changer profondément de paradigme économique et à nous tourner vers des logiques collaboratives il nous éclaire et nous ressource. Il écrit « L’ancienne science veut rendre la nature productive, la nouvelle science veut la rendre durable. L’ancienne science cherche le pouvoir sur la nature, la nouvelle science, un partenariat avec la nature ». Pour lui, les énergies renouvelables, associées aux technologies de l’information, s’apprêtent à faire vivre au monde des bouleversements majeurs. Nous entrons dans une période de transition qui verra la démocratisation de l’énergie et la redistribution par les réseaux internet des biens et des services.

Lisez aussi Bernard Stiegler. Dans ses ouvrages « Pour en finir avec la mécroissance » (Editions Flammarion, co-écrit avec Christian Fauré et Alain Giffard, et « L’Ecole, le numérique et la société qui vient » (éditions Mille et une nuits), il montre que le véritable enjeu des élections est la disparition du modèle industriel consumériste et l’apparition d’un nouveau monde, plus industriel encore, fondée sur ce qu’il appelle « l’économie de la contribution ». « Le logiciel libre peut redonner sens à nos vies » affirme-t-il, convaincu que le numérique est une nouvelle forme d’écriture, « un vecteur essentiel de la pensée et de la connaissance ». Il favorise l’émergence d’une ère du « savoir vivre ».

Dans le courant du logiciel libre, l’argent n’est plus le moteur principal, il cède la place à la motivation et à la passion, aux échanges, au don. La question du sens donné aux projets par leurs participants y occupe une place centrale. Il explique que « les processus de travail à l’intérieur du libre permettent de reconstituer ce que j’appelle de l’individuation, c’est-à-dire la capacité à se transformer par soi-même, à se remettre en question, à être responsable de ce que l’on fait et à échanger avec les autres.

L’internet contributif ( ou collaboratif) a permis, de substituer à la dualité consommateur-producteur un ensemble de coopérateurs actifs. Ces derniers créent et échangent leurs savoirs sur le réseau, développant ainsi des « milieux associés » propre à un meilleur fonctionnement démocratique. Bernard Stiegler évoque certains besoins : « une politique éducative en relation avec le numérique, un nouveau droit du travail, un système politique déprofessionnalisé, un monde de la recherche où professionnels et amateurs sont associés. Nous plaidons beaucoup pour cette figure de l’amateur, qui aime ce qu’il fait et s’y investit complètement. ».

L’écoindustrie, d’un côté, les coopérations numériques de l’autre, deux vecteurs qui correspondent aux attentes des générations futures. Les jeunes sont les principaux sacrifiés de la crise économique. Ils en subissent les conséquences directes. Ils paient au prix le plus fort la dégradation du climat économique depuis 2008. Si en Europe, le taux de chômage global s’élève désormais à 10 %, il monte à 21,6 % pour les jeunes et près de 25% en France. On leur a dit qu’il fallait obtenir des diplômes. Ils l’ont fait. On leur a dit que la crise serait éphémère. Ils l’ont cru. Rien de surprenant à ce que les jeunes se sentent lésés.

Malgré leur situation souvent précaire, malgré le chômage, le déclassement social et la difficulté à se loger, les jeunes restent animés par un esprit de construction. En témoigne la vitalité de la vie associative et de l’entraide. Il y a donc des raisons de se montrer optimistes . Le monde ne manque pas de ressources ni d’énergies ni de talents. La dynamique amorcée de la green economy, l’importance prise par les réseaux en ligne et les nouvelles formes de partage, l’essor discret mais constant de l’économie sociale et solidaire, l’émergence d’une contestation universelle (les indignés), l’espoir encore fragile soulevé par les révolutions arabes, l’impatience d’un autre monde se fait jour.

« Sociétalisme », le mot n’est pas très joli, mais il signifie assez bien ce vers quoi la société pourrait tendre.
Comment y arriver ? « Chacun de nous peut changer le monde. Même s’il n’a aucun pouvoir, même s’il n’a pas la moindre importance» écrivait Václav Havel quelques semaines après la chute du Mur de Berlin. En 1989, ce sont des femmes et des hommes « sans la moindre importance » qui ont changé le cours de l’Histoire. Si les Allemands avaient attendu un accord entre diplo¬mates, le mur de Berlin serait encore debout .

En 2011, partout dans le monde, des mouvements citoyens ont réveillé le débat public. Aux Etats-Unis, Occupons Wall Street est en train de faire évoluer le discours de Barack Obama, souligne le Comité Roosevelt 2012. Ce collectif (du nom du président américain qui en 1932, en pleine campagne présidentielle, avait préconisé un « New Deal » (une « nouvelle donne ») pour redonner confiance et lutter contre la crise qui asphyxiait le pays)*. illustre assez bien le mouvement qui se dessine. (Lire l’article de Caroline de Hugo).

Rassembler les idées, savoir relier les choses entre elles, réunir les énergies, voici le chantier qu’il convient d’ouvrir. Plus nos expériences et nos savoirs sont diversifiés, plus forte est la capacité à créer des connexions. La dynamique des Présidentielles et des Législatives est l’occasion. Une occasion qui mobilise nombre d’associations. En témoigne la quantité impressionnante de cahiers de « Propositions » émanant des associations de citoyens, de chercheurs ou d’artistes. Avec au bout l’espoir !

* Cette politique interventionniste et radicale de l’Etat recouvrait un ensemble de mesures d’urgences, des lois de réforme des banques, des programmes d’assistance sociale d’urgence et d’aide par le travail, d’importants investissements dans tous les secteurs, de l’agriculture à la culture en passant par l’industrie.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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