Un des grands problèmes auxquels sont confrontées les sociétés modernes est la confrontation entre deux modèles : celui de la préservation de l’identité des racines et celui de la poussée des identités multiculturelles. L’éthique de la raison universelle nous oblige à trouver les justes proportions entre ces deux réalités.

1. Soi-même avec les autres

Pour familière qu’elles paraisse, elle ne se laisse pas aisément abordée. D’ailleurs, les chercheurs en sciences sociales avouent leur circonspection. L’identité est « une idée mystique obscure » souligne le père de la sociologie, Emile Durkheim. Brandie comme un totem, « l’identité nationale est une énigme », pense l’historien héléniste Marcel Detienne dans un livre éponyme (Folio histoire). « Il y a certains philosophes, objecte le philosophe anglais David Hume aux cartésiens (in Traité de la nature humaine), qui imaginent que nous avons à tout moment la conscience intime de ce que nous appelons notre moi; que nous sentons son existence et sa continuité d’existence; et que nous sommes certains, plus que par l’évidence d’une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. Pour ma part, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi, je bute toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. » Claude Levi-Strauss, dans un texte de 1977 (L’identité) montre que l’identité est avant tout vécue et pensée sans pour autant être théorisée, mais qu’il est nécessaire de s’y référer car elle permet de mieux saisir les rouages individuels. Pour Jean-François Bayart, « Les identités n’existent pas. Il n’y a pas d’identité française mais des processus d’identification contradictoires qui définissent la géométrie variable de l’appartenance nationale et citoyenne » explique-t-il dans un entretien au journal Le Monde (10 nov 2009). « Toute identité est un simple fait de conscience, relatif et incertain ». Donc compliquée. Mais ajoute-t-il, la résistance à définir l’identité ne nous empêche pas de repérer ce qui la soutient.
Plus perspicace, le philosophe Paul Ricoeur met en évidence dans son ouvrage « Soi-même comme un autre » ( Editions du Seuil), l’équivocité et la polysémie de l’identité. Il voit dans l’identité les deux sens d’une même réalité. D’une part, l’idée du « même », en latin : « idem », qui fait que je suis reconnu comme semblable ou identique ; et d’autre part, l’idée du singulier, en latin « ipse », c-à-d l’identité, telle qu’elle s’énonce sur ma carte d’identité et ce qui me distingue comme unique. L’ « idem » se définit dans un temps durable et s’oppose au changeant. « Dans ses acceptions variées, dit Paul Ricoeur, le «même» est employé dans le cadre d’une comparaison; il a pour contraires : autre, contraire, distinct, divers, inégal, inverse ». Le « même » renvoie à la notion psycho-sociologique de caractère, c’est-à-dire l’ensemble des dispositions acquises par lesquelles on reconnaît une personne (individu ou groupe) comme étant la même – au point de parler justement de traits de caractère (composés à la fois des habitudes, des identifications à des normes, à des personnes, à des héros…). Tandis que l’identité, au sens de « ipse », s’oriente vers le multiple, l’identité, au sens de « idem », vire vers l’identitaire.

L’ouverture du pluriel

Prenons appui sur l’Ipséité dont parle le philosophe Paul Ricoeur, soit l’individualité proprement humaine, ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre. Cette quête de l’identité est liée au besoin de reconnaissance de soi par soi (lire dans ce mot l’imbrication du mot renaissance et du mot connaissance). Si, d’un côté, comme le soutient Ricoeur, l’identité « idem » définit l’individu de façon quasi génétique, identique à elle-même pendant la durée de son existence et désigne ce qu’il y a de naturel dans son moi, de l’autre côté, il précise que l’identité « ipse » définit ce qui chez l’individu se forge dans le temps, peut se défaire, s’ouvrir aux influences, se recomposer. Elle relève de la promesse. Bref, loin d’être attribuée une fois pour toutes, l’identité est au contraire, l’effet d’une dynamique jamais achevée, jamais accomplie, toujours en cours, que l’on acquiert en se réalisant par l’action, la création, l’engagement, la responsabilité. L’ipséité est de ce point de vue relative, instable, changeante selon le lieu où l’on vit, le rôle qu’on joue, la fonction qu’on occupe. Elle se coud et se découd. Les identités recomposent des entités façonnées par un mélange de plusieurs traditions en continuelle mutation. Pour Paul Ricoeur, l’ « ipse », dans ce qu’elle a de mouvant, suppose une notion de pluralité au cœur de l’identité personnelle. Elle s’applique à l’individu et à la communauté, à je et nous, à la mixité.

La France : Une et divisible

En raison de son histoire mouvementée, de son attachement aux valeurs universelles, l’Europe a de tout temps été confrontée à la mixité et à la pluralité. De même, l’histoire de la France montre que l’identité nationale et les croisements avec ses voisins et ses anciennes colonies ont construit la société française contemporaine. La France est faite de mélanges culturels comme l’ont décrit dans leurs œuvres, Jules Michelet et Fernand Braudel. Les migrations, les exils, les mariages mixtes, les brassages du cultures locales, les confessions religieuses, les échanges économiques ont fait du pays des Droits de l’homme un pays de croisement et de diversité. Fernand Braudel, dans son livre majeur « L’identité de la France ». (Arthaud-Flammarion 1986), souligne le paradoxe : « Telle est la France : une et divisible…/…La France aura vécu, vit encore, entre le pluriel et le singulier ». Elle se manifeste non dans l’identique totalitaire, mais dans une libre diversité. « La France se nomme diversité » insiste Braudel.

Une diversité revendiquée comme positive par Raphael Glucksman qui dans un livre « Notre France » ( Editions Alary. 2016), s’en prend aux discours identitaires et au repli sur soi pour leur opposer une France universaliste et « retrouver les gestes, les œuvres, les luttes qui ont façonné cette nation cosmopolite que nous sommes en train de perdre, faute de savoir la dire et la faire vivre.». La culture française tout comme la culture européenne n’est pas constituée par un ensemble de représentations stables. Sur le vieux continent, peu de gens possèdent une identité fixe. Aucun pays ne connaissent une unité absolue. Aucune entité humaine n’est par définition figée. En Europe, avec la mobilité issue de la construction de l’UE qui fait se rencontrer des citoyens de plusieurs pays du vieux continent, avec la disparition des frontières et de la monnaie nationale, nous assistons à une « dilution » graduelle de la notion d’identité nationale et républicaine au profit de ce qu’on appelle le « multiculturalisme », soit : la coexistence de plusieurs cultures dans un même pays. Certains parlent de société mosaïque ouverte au sein de laquelle la rationalité politique se fait à l’épreuve multiface de la pluralité.

N’en déplaise aux déclinistes et identitaires fébriles qui appellent à la sauvegarde de la nation contre l’invasion du pluriel, jamais dans l’histoire de l’humanité une époque n’a été plus protectrice, plus pacifique, plus prospère et en meilleure santé. Jamais les droits n’ont été aussi respectés. L’ouverture aux autres a permis ces progrès et conforter l’esprit de la démocratie. En France comme ailleurs. Même si nul système n’est parfait, jamais les plus défavorisés n’ont été plus soutenus. Femmes, handicapés, réfugiés, jamais l’état providence n’a été aussi juste. Jamais l’humanité n’a fait mieux qu’à notre époque, n’en déplaisent aux Cassandre spécialisés dans les mauvaises nouvelles qui tendent à nous démontrer le contraire, même si ici ou là des situations douloureuses locales montrent qu’il y a encore d’importantes améliorations à mettre en oeuvre. Les statistiques sont plus objectifs et fiables que les images en négatif, triés pour le spectacle, afin de faire vendre les tabloïds Cette situation n’est pas le fait du multiculturalisme en soi, mais bien des échanges entre sociétés et individus.

L’histoire nous le prouve : le bon vieux temps de la société identitaire n’est que cortèges de misères de guerres et d’illétrisme. « Croyez-vous que la société du XIX ème siècle était plus généreuse et moins égoïste que la nôtre ? Relisez Balzac et Zola ! Et au XVIIème siècle ? Relisez Pascal, La Rochefoucauld, Molière ! Au Moyen-Age ? Relisez les historiens ! Dans l’Antiquité ? Relisez Tacite, Suétone, Lucrèce ! » rappelle André Comte-Sponville dans « Le goût de vivre et cent autres propos » (Albin-Michel. 2010). Non, ce n’était pas mieux avant !

Le multiculturel dans tous ses états

Dans le monde global où nous vivons, le multiculturel est notre référent économique dominant. Toute identité partage des éléments communs avec des cultures voisines, le mode de vie, la langue, un lieu, une vision politique partagée, une rencontre personnelle. Il n‘y a pas de monde commun qui ne soit ouvert sur la dynamique du pluriel. C’est ce qui fait la richesse du mondeDans « le pouvoir de l’identité » (Fayard. 199), le sociologue Manuel Castels évoque les « identités-projets » qui aspirent à révolutionner les relations humaines. L’un des principaux théoriciens du multiculturalisme, Charles Taylor soutient l’idée selon laquelle « le trait essentiel de la vie humaine est son caractère fondamentalement dialogique » (Multiculturalisme. Différence et démocratie. Aubier 1994). Selon cet enseignant de l’université MacGill à Montréal, le multiculturalisme est autant un fait qu’une valeur qu’il faudrait à ses yeux promouvoir comme modèle de société. Le dialogue multiculturel, l’enrichissement de tous par tous, le métissage seraient le socle de la vie démocratique, la base d’une « identité heureuse ». D’ailleurs n’apprend-on pas sur les bancs de l’école que les civilisations brillantes sont celles qui sont ouvertes aux autres identités culturelles et qui ont su les intégrer ?

Le multiculturel est donc d’abord un constat ; celui de la diversité des appartenances, des systèmes de valeurs et des pratiques culturelles. Il est aussi le produit d’une évolution économique qui dépasse les volontés ou les stratégies des états-nations. Bref, une identité plurielle et évolutive qui s’accorde à la mondialisation des usages, des échanges, des modes de vie, des pratiques de consommation, de la mobilité des individus, des influences réciproques. Qu’on s’en plaigne ou qu’on s’en félicite, le multiculturel est ainsi une donnée massive qui de manière quasi irrépressible s’impose. Dans cette acception économique du monde global, le multiculturalisme relève d’un choix de société parmi d’autres possibles. Non pas un idéal, mais une sorte d’équilibre économique pour que les sociétés vivent ensemble. Des conditions historiques propres font que cet aspect multiculturel dans l’identité est le produit d’une évolution sur le long terme plutôt dominante au sein du monde occidental. Et c’est bien là l’un des problèmes qu’il convient de souligner. «

Qu’arrive-t-il à mes valeurs liées à l’histoire de ma patrie, que je sois Français ou Américain, quand mon identité comprend celles d’autres cultures? » Qu’est-ce que je deviens dans cet échange ?
Force est d’admettre que le multiculturalisme ne créé pas l’adhésion de tous. Depuis quelques années, il est soumis à d’importantes pressions liées aux situations de crises que connaissent nombre de pays : guerres, refugiés climatiques, regroupements familiaux.

Le multiculturalisme n’est pas une sinécure. Dans son livre « La dimension cachée » (Seuil. Points), le sociologue américain Edward T. Hall met en lumière les problèmes de communication qui sont posés quand des communautés ou des individus différents par leurs origines doivent vivre ensemble. Dans un cas, quand l’intégration dans un pays reste l’objectif final, il arrive que ceux qui ont préservé des valeurs liées à leurs us et coutumes s’intègrent mieux. Une étape communautaire serait alors nécessaire pour se protéger de la dureté du changement d’habitude, pensent certains. Le modèle, ici dominant est celui de la mosaïque où chaque élément reste lui-même tout en contribuant à l’ensemble. Il faut aussi du temps pour qu’une génération intègre la culture du pays d’accueil, le temps que l’école arrive à faire son travail d’instruction. Dans un autre cas, quand les différences se ressentent brutalement aspirées dans le creuset commun, ou obligées d’abandonner leurs spécificités, alors s’installe parfois un ressentiment qui produit l’effet inverse à celui escompté : le refus à retardement de s’intégrer davantage. Dans un troisième cas, devenir citoyen d’un pays d’accueil correspond à une hâte pleinement voulue qui suppose l’oubli du pays d’origine.

Difficile parfois de pénétrer les cheminements de la pensée d’autrui et de se faire comprendre. Les comportements humains n’ont pas les mêmes symboliques, selon les cultures. L’utilisation ou la perception de l’espace, la manière de bouger, de parler – fort ou à voix basse -, la façon de manger n’est pas la même selon qu’on est japonais ou américain. Chaque culture est codée par un système de représentations qui peut faire varier du tout au tout la structure du comportement de l’individu selon le pays dans lequel il est appelé à s’exprimer. Issus de mondes sensoriels différents, ils n’ont pas les mêmes expériences et sont parfois rétifs à l’adaptation provoquant aussi bien le rejet que l’intérêt de la société d’accueil. La force de la voix, le regard, le contact, sont plus ou moins amplifiés selon l’origine ethnique. Certains individus venant de pays nordiques aiment les situations précises et bien définies, ne supportant pas les individus qui enfreignent les règles. D’autres venant de pays orientaux ne sont pas gênés par la foule mais sont beaucoup plus sensibles à l’entassement dans les espaces intérieurs. Cet ensemble d’observations montre que le « vivre ensemble » multiculturel n’est pas si simple. Les ajustements culturels nécessitent pour certains beaucoup d’efforts qu’ils ne sont pas prêts à consentir. Le multiculturalisme a ceci de problématique qu’il permet de jouer sur tous les tableaux, selon les contextes. Si l’individu fabrique sa propre identité à la carte, celle-ci est toujours révocable au gré de ses caprices identitaires, s’il lui prend de trouver sa fierté dans tel ou tel schéma. L’individu peut ainsi osciller entre ses identités multiples dans un « zapping » de soi permanent peu compatible avec le principe de loyauté qui prévaut dans une société républicaine. Les engagements collectifs et les appartenances communautaires ayant moins d’emprise sur l’individu, il se retrouve à la fois plus libre, mais aussi plus désemparé.

Nombre de croyants refusent par exemple l’intégration et revendique la priorité de leurs croyances ou de leurs traditions sur les règles et les normes qui fondent la vie en commun dans la république. Faut-il consacrer comme modèle un système multiculturel qui manque de clarté dans ses énoncés, favorisant, pour le meilleur, l’ouverture aux autres, encourageant, pour le pire le développement de multiples communautés privilégiant leur ethnicité, leurs croyances au détriment de l‘adhésion aux valeurs du pays dans lequel elles ont trouvé refuge? Pourquoi vivre ensemble si la même culture n’est pas partagée par tous ? Est-ce à la société d’accueil de s’adapter aux « autres » ? Au risque de favoriser le développement du communautarisme.

2. Repli sur soi, l’entre-soi

Dans les multiples débats existentiels qui agitent les opinions, particulièrement en France, “l’identitaire” monopolise le champ lexical de l’identité. Et c’est bien pour cela qu’on en parle tant, entre soi. A cause de la radicalité des options qu’elle provoque. Dans le temps, l’identité était une donnée sure, rassurante. Il n’en est plus de même aujourd’hui, l’identité est pleine d’amertume , au mieux de nostalgie. Revendiquée par l’aile conservatrice de la société française, la passion identitaire est ainsi une « passion triste » ( cf. Spinoza. « L’éthique »). Succinctement, que veut dire Spinoza ? Pour lui, la passion triste est l’effet sur le « moi » d’un « autre » qui ne convient pas, qui lui reste étranger et qui réduit son pouvoir d’agir. Cette passion triste du vivre entre-soi peut correspondre à un refus du changement. De nombreux citoyens n’éprouvent pas le besoin de se mélanger à ceux qui ne leur ressemblent pas. Ni d’ailleurs de se mêler à leurs concitoyens venant d’une autre région ou d’une autre ville. Rien de mal à cela. Sauf si cet entre-soi produit l’exclusion. Sauf si le rejet est relatif au faciès. Sauf si cette tendance à l’endogamie conduit à la mort du tissu social. Trop d’entre soi a tué nombre de villages ou de communautés. Trop d’identité tue l’identité.

Virage identitaire et dérive nationaliste

Une chose est sûre, le déracinement de l’individu ou la peur de l’étranger sont parmi les causes principales du « repli identitaire ». Se plaisant dans la revendication du passé, l’identitaire populiste défend l’instinct de conservation et s’en prend au caractère déstructurant du changement. La famille, le lien à la terre, les traditions, la nation, sont en première ligne des revendications de l’identité. L’identitaire radicalise cette inclinaison. Il fixe l’identité à sa simple expression terre à terre. Il se manifeste par des pétitions de pureté et de valorisation, des origines. Devrait-on dire “’identiterre” ? Pour Paul Ricoeur, l’ « Idem » se réfère à la race. La vanité identitaire repose sur les ancêtres. Elle s’approprie l’origine car les militants de l’identité radicale placent comme leurs priorités la puissance, la grandeur. Ils vivent dans l’illusion virile d’un moi aggrandi à l’aune de la nation. L’obsession de l’identité « idem » est de s’identifier, en cristallisant un ensemble de phénomènes dont la traduction est le ressentiment et le mépris, le regret, la peur et l’anxiété, en passant par la jalousie, la rivalité, la compétition et l’aversion.

Entre nous soit dit : qu’est-ce qu’être Français ? Un élément sociologique plus que discutable vient renforcer ce trouble identitaire du « qui on est » ? Une partie des Français qui se vivent comme des « laissés pour compte » craignent en effet de voir leur identité malmenée par ce que l’écrivain Renaud Camus appelle « le grand remplacement », à savoir la peur d‘une invasion arabo-musulmane. Cette frayeur qui renvoie dos à dos français et émigrés, électrisée par les arrivées régulières de réfugiés en Europe, tient largement du fantasme. Cette thèse millénariste est abondamment commentée dans les médias. Certains hommes politiques et hommes d’esprit s’en font imprudemment l’écho. A l’insu de leur plein gré, pourrait-on ajouter. Quel malaise se découvre derrière l’arrogance identitaire, dont les mouvements extrêmes font leur dogme absolu, au nom de la peur des immigrations et du déclin des mœurs ?

L’identitaire vénéneux

L’histoire nous rappelle combien l’identitaire érigé en système nous mène à la vanité nationaliste. Elle est vecteur d’émotions et d’embrasement collectif. L’identitaire est une identité mal placée, une identité qu’on veut absolument identifier, circonscrire, figer dans une rente de long terme, avec le risque de s’attarder sur ses racines. Les conservateurs d’extrême droite ont un rapport fièvreux à l’histoire qui les ferme à toute fertilisation par les évènements du présent. Ils traversent l’époque avec en poche une vérité absolutisée qui ne supporte aucun doute, un miroir déformant qui veut que, seuls, certains Français (ou certains Allemands, Anglais, Hongrois…) auraient le droit d’aimer la patrie dans laquelle ils vivent. Ou de la critiquer. Un miroir dans lequel le visage de l’« identité » apparaît grimaçant, avec les traits de la xénophobie.

On sait où mène l’arrogance quand elle s’entête dans l’image de soi. Au sens le plus brutal du mot, l’identité pure conduit à la division, au fanatisme, au repli sur soi, au rejet de l’étranger. Le siècle dernier en a fourni les plus tragiques exemples. Traumatismes des guerres de 14-18 et 39-45, national-socialisme, fascisme, hontes françaises liées à l’affaire Dreyfus, au pétainisme, persécutions des juifs, collaboration… Plus récemment, le déchaînement nationaliste en ex-Yougoslavie nous a donné une illustration de la déraison identitaire présente dans le fantasme de Grande Serbie. Vladimir Poutine, dont l’obsession est de redonner une fierté aux Russes, qu’il estime humiliés par la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, incarne assez bien le modèle de cette quête identitaire revencharde et conservatrice. Pour ce faire, il convoque la grandeur passée de Pierre le Grand à Staline, appelle au sentiment religieux et nourrit le rêve d’une Union eurasienne. En général, un tel dessein impérial signe la biographie totalitaire. Ce complexe de supériorité identitaire charrie une condamnation du multiculturel censé menacer l’unité de la nation. La Hongrie et certains pays de l’ex-bloc de l’est sont sur cette ligne. En point de mire : la communauté fantasmée des étrangers.

Jusqu’au nouveau président Donald Trump qui incarne aux Etats-Unis, le modèle du cow boy armé pour la défense de l’Amérique blanche. Vue d’Europe, le nationalisme que les anti-européens les plus aguerris appellent « souverainisme » inspire un vif malaise. Tout comme l’identitaire est la maladie infantile de l’identité, le nationalisme est le mal de la nation. Tel est le double danger: une radicalisation de l’identité en dérive identitaire comme nous l’avant vu précédemment et une radicalisation non maîtrisée du multiculturel en communautaire.

La radicalité communautaire

Historiens et statisticiens en conviennent, jamais les communautarismes n’ont été aussi véhéments qu’actuellement. Certains avancent que le système français n’a pas su assumer avec insistance sa mission d’intégration des minorités culturelles et des populations relevant du droit d’asile. Ils expliquent qu’une des causes du repli communautaire est l’ostracisme.

Nombre de communautés vivant en France qui ne demandent pas à être formellement ni reconnus ni spécifiés comme communautés ethniques distinctes se raccrochent à leur identité par protestation : la discrimination au travail, le contrôle au faciès, les difficultés administratives. Il n’en reste pas moins que nombre de nouveaux migrants n’éprouvent, pour des raisons d’ordre culturel ou religieuse, que peu d’enclins à participer à la vie citoyenne du pays d’accueil, dans lequel bon nombre ont pourtant acquis la possibilité de voter. Ils préférent rester aux marges de la vie sociale tentant de développer ici ou là des signes extérieurs religieux tels le port de la Burqa ou du Burkini. Le communautarisme trouve là sa base. Ce phénomène est difficile à estimer avec exactitude, car il ne fait pas de vague. Dans le monde du communautaire, le confessionnel prévaut sur le politique, l’ethnique sur le national, le local sur l’universel, l’origine sur le pays d’accueil. Rien qui n’aille dans le sens de la laïcité. Se dessine le risque que ce communautarisme discret, à l’occasion de tensions sociales ou religieuses, se mue en communautarisme pur et dur.

Dans ce contexte communautaire, une importante partie de Français s’estiment laissés pour compte et craignent de voir leur identité malmenée. C’est ce que le juriste Antoine Garapon, appelle la « déterritorialisation » qu’il analyse en prenant appui sur la menace djihadiste et le massacre de Charlie Hebdo. Elle représente à ses yeux « un danger à l’état « pur » qui procède d’une volonté destructrice, indemne (le plus souvent) de toute pathologie et irréductible à la misère sociale ». Dans un article de la revue Esprit http://www.eurozine.com/articles/20…), le Secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la Justice, apporte un intéressant éclairage sur ce climat de violence aveugle qui est, précise-t-il, devenu « un marqueur de notre époque ». Voici ce que le juriste écrit : « Irruption d’actes de guerre en temps de paix, importation de la guerre lointaine dans notre quotidien, permanence déroutante du mal et de la violence dans des sociétés sécularisées et relativistes, résurgence de la vengeance archaïque et saut dans les conflits postmodernes : ces violences marquent la confusion non seulement des espaces mais aussi des temps…/… Une telle confusion n’est pas fortuite mais résulte d’une évolution majeure de notre monde, à savoir la mondialisation, et plus précisément encore la déterritorialisation ».
Ce qui est en cause, explique Antoine Garapon, est la rupture du lien entre un territoire et la politique, entre une population et un espace de légitimité. « La déterritorialisation, continue-t-il, n’est pas la disparition des territoires mais un nouveau rapport au territoire, né de la multiplicité des espaces (et donc de la possibilité offerte de jouer de cette diversité), de leur superposition et de leur compénétration. Des imaginaires s’interpénètrent : les jeunes tentés par la radicalisation habitent plusieurs espaces mentaux, la France mais aussi le Moyen-Orient ; ils sont ici et là-bas. Quant aux caricatures sont dessinées dans des contextes bien précis, dans une Europe qui a une longue tradition d’alternance ou de coexistence du sacré et du sacrilège. Mais ces images, qui circulent à la vitesse électronique, arrivent par l’internet à leurs destinataires involontaires totalement séparées de leur contexte culturel ». Plus loin : « La déterritorialisation ne disqualifie pas la souveraineté mais la prive de son autorité en réduisant l’État à une simple fonction de sécurité et de régulation économique,…/… Qui sait aujourd’hui quel est le périmètre de la politique », s’interroge Antoine Garapon ?

Selon le juriste, un phénomène technique porte en lui cette expression de violence. Ce phénomène, c’est le brouhaha numérique en accès libre, Facebook, Youtube, les réseaux sociaux avec leurs images chocs de décapitation, de torture, de guerre, ou de pornographie extrême. Ces réseaux ont introduit, au cœur même de la cité, dans le quotidien et dans l’intime, les images de l’archaïsme le plus brutal. Une forme d’hostilité qui demeurait refoulée, revient « radicalisée » chez certains Français. Une partie minoritaire de cette hostilité a trouvé dans la haine de l’autre de quoi exprimer sa virulence existentielle, vivant par procuration sa révolte sur les réseaux internet. Au pays d’Internet et de la transparence, « je peux tout faire, tout dire, tout avoir, immédiatement », argumente Garapon. Tout est possible. Il n’y a pas de retenue. Le réseau devient l’espace de la volonté de puissance des assassins solitaires, des manipulateurs et des ennemis de l’intérieur.
Adictifs à ces réseaux, des jeunes Français se sont ainsi lancés dans l’aventure mortifère de l’intégrisme islamique. En témoigne la montée de l’Islam salafiste dans les banlieues et les quartiers. Ce qu’on appelle les « territoires perdus de la république » sont devenus des zones de non droit, posant de graves questions à l’équilibre social des institutions, en particulier des établissements scolaires.

Dans son livre « La fracture » (Gallimard. 2016), le sociologue Gilles Képel souligne le danger d’une France bousculée aux extrêmes par l’islamisation de la radicalité. Il n’est pas rare que des imams et des responsables communautaires ne s’autorisant que d’eux-mêmes, car l’Islam (sauf chiite) n’a pas de clergé, exigent l’apostasie qui interdit aux femmes musulmanes d’épouser des non-musulmans, prônent la charia, pratiquent l’excision, s’adonnent à la polygamie, font preuve d’intolérance, s’en prennent à la liberté d’expression, prêchent la guerre sainte. Ils ne veulent pas entendre qu’un équilibre multiculturel s’instaure, quand on adopte la référence à un projet commun qui transcende les valeurs d’un groupe culturel.

Certains mouvements intégristes n’hésitent pas à construire une victimisation communautaire, cherchant à occulter le souvenir douloureux des attentats en excusant les assassins de Charlie Hebdo et en retournant la charge de la culpabilité sur les dessinateurs. C’est avec effroi qu’on a pu entendre à la sortie des collèges et des lycées des réflexions du genre : « Ils l’ont bien cherché. Ils ont manqué de respect envers le prophète ». Certains vont très loin dans l’empathie à l’égard des assassins en avouant que le djihad est une réaction salutaire, une réponse à l’action des « croisés » occidentaux et des anciens coloniaux. La France victime se transforme en France coupable. Comment parler des persécutions des Musulmans dans un pays comme la France qui n’a eu de cesse de veiller au libre exercice du culte, en les tenant séparés de l’état ?

L’école a été le théâtre grandeur nature de cette exacerbation communautaire de rejet de la France. Le problème se pose, par exemple, quand des élèves nés sur le territoire national, revendiquent de ne pas vouloir apprendre l’histoire de la France, reléguant, au nom du Coran, les auteurs tels que Descartes, Voltaire et Flaubert au fond du cartable. Ou bien encore quand des jeunes filles refusent d’enlever leur tchador, contrevenant ainsi aux principes de laïcité que l’école a pour mission de faire respecter. Cette menace de dérive communautariste est très clairement énoncée en 2004 par le rapport Obin sur les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires : « Tout laisse à penser que, dans certains quartiers, les élèves sont incités à se méfier de tout ce que les professeurs leur proposent, qui doit d’abord être un objet de suspicion, comme ce qu’ils trouvent à la cantine dans leur assiette ; et qu’ils sont engagés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories religieuses du halal (autorisé) et du haram (interdit). » Dans un manifeste du Nouvel Obs du 2 nov 89 (« Profs ne capitulons jamais »), plusieurs personnalités s’étaient élevées contre une telle intrusion du « communautaire » dans l’enceinte des établissements scolaires. « Il faut que les élèves aient le loisir d’oublier leur communauté d’origine et de penser à autre chose qu’à ce qu’ils sont pour pouvoir penser par eux-mêmes. Le droit à la différence qui vous est si cher n’est une liberté que s’il est assorti du droit d’être différent de sa différence » soulignaient-ils. Espace de respect mutuel et de tolérance, l’école n’implique pas la participation aux croyances et coutumes de l’autre, ni l’adhésion aux valeurs de l’autre. La scolarisation, par l’apprentissage d’une langue commune est l’espace publique d’affirmation de l’individu-citoyen qui suppose une seule et même attitude: le respect de la connaissance et de l’instruction. Homogénéité à l’école ne veut pas dire uniformité, il s’agit seulement ici, comme le dit le philosophe Alain, de laisser ses particularités culturelles, religieuses et familiales à la porte de l’école.

On voit bien avec la question de l’Islam que des conceptions différentes du partage entre vie publique et vie privée – une distinction qui est au fondement de la laïcité – aboutissent à des difficultés de vie en commun. 74% des Français estiment que l’Islam n’est pas compatible avec les valeurs de la République. Lorsque des Français musulmans ou des nouveaux émigrants, rejettent les symboles de la France, revendiquant leurs spécificités religieuses, il est moins évident de former une identité stable et homogène. Et l’aspect ouvert du système multiculturel s’en trouve débouté. C’est à ce stade qu’identitaire et communautaire font cause commune pour le pire. Il suffit d’observer. Après avoir favorisé le modèle communautaire, certains pays d’Europe se sont laissés débordés, tandis que le repli identitaire gagnant du terrain a exacerbé les antagonismes. Force est de constater : à peu près partout en Allemagne, outre-Manche, dans les ex-pays de l’est, les identités majoritaires et minoritaires s’extrémisent. Le « multikulti » allemand promu par la gauche sociale et écologiste ne résiste que difficilement aux tensions. De même, le Royaume-Uni, connu pour son modèle communautariste qui lui a valu pendant des années l’admiration de nombreuses « minorités visibles » bat de l’aile.

L’extrême droite identitaire profite de ces possibilités sans limites. Du pain béni, car l’ennemi intérieur le plus mediatisé aujourd’hui, c’est bien l’islamisme. Du coup pour tous les citoyens qui, au nom de la liberté d’expression ou de l’égalité femmes/hommes, s’élèvent contre les agressions terroristes perpétrées au nom d’Allah, il devient malaisé de s’exprimer sur le sujet, sans se faire accuser de raciste ou d’islamophobe. Tel est le piège.


3. Le soi en commun : Identitaire et communautaire

Nous voilà au cœur d’une question qui ne laisse de hanter les sociétés multiculturelles. Le clair contre l’obscur : est-ce cela le combat ? Comment concilier loi et foi ? Dans ce combat qui nous replace au temps du combat des Lumières contre l’obscurantisme, la laïcité est-elle un rempart ? Une chose est sûre : s’accomoder du communautaire ou, à contrario, imposer la préférence identitaire nationale constituent deux voies terriblement incertaines et à haut risque, susceptibles de faire basculer les fondamentaux du « vivre ensemble ».Tel est l’exigence de la raison : préserver la dimension universelle, s’affranchir de toute limite narcissique. La manière la plus enrichissante d’être fidèle à un héritage, c’est « de ne pas le prendre à la lettre, de le prendre en défaut », écrit le philosophe Jacques Derrida : « être infidèle par esprit de fidélité », accepter cet héritage mais le relancer autrement. Dénoncer ses impasses est le chemin le plus sûr pour éviter le mur identitaire et finalement honorer un patriotisme ouvert débarrassé de ses travers indignes.

A l’évidence, appeler la morale laïque à la rescousse ne suffit pas à régler le problème du vivre ensemble. Comment, sans concessions sur les libertés, préserver une dimension du sacré qui permette de vivre son identité ? Comme le souligne Antoine Garapon, l’enjeu pour le modèle français (qui était monarchique et catholique avant d’être républicain) est de se montrer capable de s’ouvrir au monde, de s’adapter à la composition de la société française d’aujourd’hui et de se rendre disponible à l’avenir. Il est toujours bon de rappeler certaines évidences : la république, qu’on accuse de tous les maux, est notre bien commun. Elle accueille, elle loge, elle instruit, elle soigne, elle assiste. Elle donne sa place à qui veut la prendre. C’est pour ces raisons de base qu’il faut la défendre. Mais la tâche semble bien difficile. Les citoyens comme l’autorité publique ont bien du mal à satisfaire à ces necessités.

Sans doute manque-t-il un récit qui permette de s’identifier, de contribuer davantage. Sans doute a-t-on besoin d’un projet collectif plus mobilisateur qui serait en mesure de ruiner la violence djihadiste et la menace extrémiste. La lutte contre l’abstentionnisme aux élections et la réforme de l’Islam sont des priorités. « On luttera contre ces croyances dévastatrices par une réactivation de nos croyances politiques, par une actualisation de notre pacte démocratique et par une modernisation de la République », avance Antoine Garapon. Pour le citoyen ordinaire, il s’agit de prendre appui sur tout ce que la France a de positif. Ce qu’on appelait, dans le temps, les « humanités ». La France reste un modèle aux yeux du monde. Beaucoup de voyageurs nous envient notre qualité de vie et la convivialité de nos coutumes. Des valeurs telles que la mixité (la France est le pays d’Europe où les mariages mixtes sont les plus nombreux), l’égalité Femme/homme, sa richesse culturelle ( son patrimoine, sa musique contemporaine, son cinéma), la vivacité de nos débats, notre recherche, nos innovations font notre richesse. Il s’agit d’être optimiste par nécessité pour redonner confiance et surmonter les méfiances. Mais là encore, l’incantation est belle mais bien légère. Cela n’enlève rien au travail de fond à entreprendre: se prémunir contre tout processus d’extrémisation des identités qu’elles soient majoritaires ou minoritaires.

Reconnaissons que, malgré les évènements douloureux qui concourent à diviser les Français au sujet de l’Islam – terrorisme, fanatisme, xénophobie -, la résilience des Français reste notable. La société civile dans sa grande majorité refuse les appels à confondre les citoyens de confession musulmane avec l’islam radical. Le radicalisme islamiste ne menace pas l’unité de la nation. D’ailleurs, comme le montre toutes les études historiques, jamais dans aucun pays, une communauté étrangère ou confessionnelle n’a mis en péril l’état qui les a accueilli. Il n’empêche, le problème du lien à la laïcité et à la République est clairement posé.

Toute la difficulté est là. L’actualité en témoigne. Revendiquer le multiculturalisme comme une condition du dialogue humain est loin d’être une évidence. Entre la dérive identitaire nationaliste et les débordements communautaires, la marge de manœuvre laissée à la raison pratique pour maintenir en équilibre le modèle de la chose publique n’est pas sans créer de sérieuses embûches. La rationalité semble en l’occurence avoir peu de prise.

Beaucoup d’interrogations se bousculent. Le programme est chargé. Faut-il définir une pluralité d’enseignements et de méthodes pédagogiques adaptées pour répondre à la diversité des cultures comme cela est revendiqué par des membres de la communauté musulmane ( prière, piscine non mixte, nourriture halal…) ou bien ne pas déroger aux principes laïques du même enseignement pour tous ? Comment échanger autour de valeurs pensables qui s’élèvent au-delà de son origine ou de sa communauté ? Comment concilier la préservation de la culture européenne et l’accueil de la diversité ethnique dont le continent européen est devenu le principal réceptacle? Comment satisfaire à la cohésion sociale et à l’adhésion à des valeurs communes sans rejeter les identités ? Précisément, avec quelle langue doit-on parler pour se comprendre et vivre ensemble ? Comment vivre une citoyenneté multiculturelle en évitant la fragmentation ethnique et culturelle? Quel récit de l’identité adopter pour soutenir le Vivre ensemble ? Après les attentats de l’année 2015 à Paris, qu’est- ce qui est susceptible de rassembler la nation. « L’esprit du 11 janvier » est-il un mythe ou une réalité ? Avons-nous en commun une culture et un langage capables de nous aider à échanger, à dialoguer, à comprendre et à accepter nos différences ? Et que devient la valeur fraternité, souvent évoquée comme la clé, l’idéal partageable capable de toucher le plus grand nombre de Français et de les mobiliser ?
Autant de questions à l’ordre du jour.

D’emblée, évitons de céder au manichéisme. Ce n’est pas parce que l’on met en cause l’apologie du multiculturalisme sous sa version communautaire, que par opposition, on épouse forcément les thèses du retour au passé national, à l’unique et à l’homogène. De même ce n’est pas parce que l’on dénonce l’extrémisme identitaire que l’on adhère à l’éloge du cosmopolite, du pluriel et de l’hétérogène. Le besoin de l’enracinement n’est pas antinomique avec la raison de l’universel. Accordons que le modèle républicain français d’intégration, quoi qu’on en pense, n’a pas eu trop de peine, en dépit de son rejet du modèle communautariste à maîtriser la montée identitaire de l’islam intégral. Enfin, admettons – la raison et l’éthique nous y invitent – que nous n’avons pas d’autre choix que de « faire avec les identités ». L’identité et la diversité sont des processus, des dynamiques, il faut les prendre comme telles et non les fixer dans le marbre de l’idéologie.
Soulignons ce point : toute lecture binaire et relativiste des oppositions entre les modèles aboutirait à une fracture qui serait préjudiciable pour le vivre ensemble. Il faut raison garder. La question de « l’autre » si âprement discutée par les philosophes et les psychanalystes nous y invite.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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