1914/2014. Il y a juste cent ans, l’hériter du trône d’Autriche-Hongrie tombait sous les balles d’une jeune nationaliste serbe à Sarajevo. Retour sur la petite histoire de l’ attentat qui fut le premier acte de la grande histoire, celle de la Guerre 14-18.


L’attentat de Sarajevo, un crime presque parfait

28 juin 1914. Il fait beau à Paris où règne une atmosphère légère de début d’été. Mais tandis que le président Poincaré assiste au Grand Prix de Longchamp, deux coups de feu éclatent de l’autre côté de l’Europe, à Sarajevo. Ils vont mettre le continent à feu et sang.
L’ homme qui vient de tirer est un jeune nationaliste serbe, Gavrilo Princip. Il vient d’assassiner l’archiduc François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie et sa femme, l’archiduchesse Sophie.
Un siècle plus tard, l’attentat de Sarajevo demeure un événement controversé.
Dans les Balkans du début du XXème siècle, l’attentat politique est banal. L’attentat contre François-Ferdinand est-il l’acte spontané de jeunes nationalistes ? Ou existait-il un commanditaire ? Qui et pourquoi?
Sait-on qu’il y a eu plusieurs attentats? Que l’empereur autrichien avait été prévenu? Que l’héritier du trône s’est retrouvé sans protection dans une ville hostile?
Des puissances européennes voulaient-elles la guerre?
La Grande Guerre aurait-elle éclaté sans l’attentat de Sarajevo? Pourquoi l’attentat de Sarajevo a–t-il déclenché un tel cataclysme ?

Pourquoi, un siècle plus tard, les polémiques continuent autour de cet assassinat.
A l’heure où le terrorisme est devenu une peur planétaire, à l’heure où les guerres se mènent au nom de la lutte contre le terrorisme, et où des fanatiques religieux s’en prennent à des civils, on s’interroge : comment un attentat comme celui de Sarajevo a-t-il pu déclencher un cataclysme mondial.

Le contexte historique

Au XIXème siècle, l’Europe est sous l’emprise des ambitions croisées des puissances continentales. Ces ambitions sont attisées par l’affaiblissement de l’Empire ottoman, «l’homme malade de l’Europe », dont elles se disputent la future dépouille, notamment dans sa partie européenne, les Balkans.

La Russie tsariste dégaine la première, marche jusqu’aux portes de Constantinople et arrache en 1878 un traité qui donne l’indépendance complète à la Serbie et à la Bulgarie qui occupe la plus grande partie de la Turquie d’Europe.

L’Empire austro-hongrois, allié de l’Angleterre, elle -même rivale de la Russie, ne veut pas se laisser doubler. L’Allemagne, elle-même alliée de l’Empire austro hongrois mais aussi de la Russie, convoque alors un Congrès à Berlin, en 1878, pour tenter de trouver des solutions. Mais le congrès tourne à la déroute de la Russie à qui l’on retire ses conquêtes, redistribuées aux uns et aux autres. Vienne, qui a déjà le contrôle de la Croatie, se fait attribuer l’occupation temporaire de la province voisine, la Bosnie-Herzégovine, province multi-ethique serbo-croato-musulmane. En 1908, elle l’annexe purement et simplement. Cette ambition austro-hongroise dans les Balkans contrarie les Serbes qui voulaient profiter de l’affaiblissement turc pour créer une grande Serbie, regroupant tous les Slaves des Balkans, sous la protection de la Sainte Russie.
La riposte russe ne tarde pas. En 1912, aidée de plusieurs républiques balkaniques – Bulgarie, Serbie, Grèce, Monténégro – elle s’empare des derniers territoires encore turcs dans les Balkans. Mais les vainqueurs n’arrivent pas à s’entendre et se font la guerre l’année suivante…

Survient alors l’assassinat de l’héritier du trône austro-hongrois par un jeune nationaliste serbe Gavrilo Princip, le 28 juin 1914.

Deux heures qui ébranlèrent le monde

Les autorités autrichiennes choisirent le 28 juin 1914, jour de Vidovan (une fête religieuse importante chez les Serbes orthodoxes, qui célèbre la Saint-Guy), comme date de la visite de l’archiduc. Cette date correspond également au 14ème anniversaire de mariage du couple royal. François-Ferdinand profite donc de cette visite pour apparaître publiquement avec son épouse.

  Le 27 juin . L’archiduc et sa femme Sofia sont logés à Ilidža, une petite ville thermale à l’Ouest de Sarajevo. Un accueil chaleureux leur est réservé. L’hôtel Bosna a été remeublé et décoré à neuf pour leur venue.

  Après avoir réglé des questions administratives, François Ferdinand rejoint Sofia. Elle a visité des églises, des couvents et des orphelinats. Le soir, on répète le programme pour la visite de Sarajevo du lendemain.
Cet après-midi-là, Gavrilo Princip se promène dans le parc, en face du lieu de l’attentat, avec son amie Elena

  Après la visite à l’hôtel de ville, il est prévu d’inaugurer les nouveaux locaux du musée d’État, de déjeuner au Konak, la résidence du général Oskar Potiorek, gouverneur de Bosnie, de faire le tour de la ville dans l’après-midi, puis de retourner a Ilidža, d’effectuer une promenade dans la station thermale avant un dîner d’adieu.

  Le matin du 28 juin, le couple se réveille avec entrain pour la journée d’anniversaire de leur 14ème année de mariage. L’épouse en oublie ses inquiétudes : un certain Dr Sunarić lui a déconseillé la visite, en raison de « l’humeur rebelle de certains Serbes ».

  9 h: Après la messe à l’hôtel Bosna, le couple se rend en train vers le centre de la ville. Le trajet dure 10 mn. Puis 10 mn sont consacrées à l’inspection des casernes voisines.
Pendant ce temps là, les sept conspirateurs se sont donnés rendez-vous dans une pâtisserie de Sarajevo. Gavrilo Princip arrive tardivement, il remet une bombe et un flacon de cyanure enveloppé dans du papier à Cabrinović, l’un de ses acolytes.
A 9 h, Gavrilo Princip attend près du quai Appel, à l’angle d’une rue. Ses armes sont cachées contre lui, sous sa ceinture.

  10 h : Louis-Ferdinand et Sofia arrivent sur une place et montent dans la troisième voiture du cortège pour se rendre à l’Hôtel de Ville. Les voitures roulent lentement, pour laisser François-Ferdinand admirer Sarajevo.

  Quand la parade de six voitures débouche sur le quai, les conspirateurs paniquent. Avec la foule, il est impossible de savoir dans quelle voiture se trouve l’archiduc !

  À 10 h 15, le cortège passe le premier membre du groupe, Mehmedbašić, qui tenta de viser depuis la fenêtre d’un étage supérieur, mais il ne parvint pas à obtenir un bon angle de tir. Il décide de ne pas tirer pour ne pas compromettre la mission.

  Le couple longe la rivière Miljacka, sur le quai Appel, à petite allure. Là se trouve Cabrinovic, le second membre du complot. Il n’est pas sûr et un peu nerveux. Le moment venu, il va jusqu’à demander à un agent dans quelle voiture se trouve l’archiduc. Cabrinović dégoupille la bombe, mais ne peut attendre les douze secondes nécessaires avant de la lancer. Il la jette donc un peu trop tôt. Elle tombe sur le toit de la voiture puis ricoche dans la rue, et explose en détruisant la voiture suivante, blessant gravement ses passagers, ainsi qu’un policier et plusieurs personnes dans la foule. Čabrinović avale une pilule de cyanure et saute dans la rivière Miljacka.

  Le chauffeur accélère en direction de l’Hôtel de ville pour éviter d’autres incidents, mais les autres voitures ne suivent pas. François Ferdinand ordonne l’arrêt, il doit aller voir les conséquences de cet acte terroriste manqué. La foule panique. La police sort Čabrinović de la rivière, et celui-ci est violemment frappé par la foule.

  La duchesse se plaint alors d’une légère douleur à l’épaule. Sur sa peau blanche apparaît une petite entaille. « Ce type doit être fou. Messieurs, poursuivons le programme » ordonne l’archiduc.

  Les conspirateurs restants n’ont pas l’occasion d’attaquer à cause des mouvements de foule. L’attentat est sur le point de devenir un échec.

  10 h 20 : L’hôtel de ville a réuni les notables de Sarajevo. Les musulmans font face aux chrétiens, chaque groupe est reconnaissable à sa tenue. Le maire se lance dans un accueil chaleureux. « Monsieur le maire, répond l’archiduc, à quoi bon ce discours ? Je viens à Sarajevo en visite amicale, et on me lance une bombe ! C’est indigne… ». Durant la réception mondaine, François Ferdinand s’inquiète pour le déroulement du programme : « Pensez-vous qu’il y aura d’autres attentats contre moi ? »
Pendant ce temps, Gavrilo Princip se rend dans une boutique environnante pour s’acheter un sandwich. Il croit à tort que l’archiduc est mort dans l’explosion. Il se dirige vers le Pont latin où il entend dire que l’attentat est manqué. Il se poste à l’angle de la rue François-Joseph et du quai Appel. Il attend.

  Il est 10h45 quand la réception à l’hôtel de ville prend fin. L’archiduc veut rendre visite aux officiers blessés par la bombe de Cabrinovic qui avaient été emmenés à l’hôpital militaire. La duchesse veut le suivre. Il faut modifier le parcours et éviter le centre ville, pour éviter tout danger. Sa voiture emprunte à peu près le même parcours. Les voitures roulent vite le long du quai Appel.

  La première voiture fait l’erreur de tourner à droite comme sur le plan initial et les autres suivent ! Ils ne sont pas au courant du changement d’itinéraire ! Le chauffeur arrête brusquement la voiture suivant l’ordre de l’archiduc. Ils se trouvent maintenant à l’angle d’une rue, devant un café et tentent de faire demi-tour.

  Gavrilo Princip aperçoit la voiture de François-Ferdinand qui passe près du Pont Latin. Il la rattrape, puis tire deux fois.

  La voiture réussit à retourner sur le quai quand Sofia s’écroule sur son mari, la tête entre ses genoux. La 1ère balle a traversé le bord de la voiture et a frappé Sophie dans l’abdomen . Soudain, un filet de sang sort de la bouche de l’archiduc. La 2ème balle l’a atteint dans le cou.

  Gavrilo Princip reçoit deux coups donnés par le lieutenant Morsey. Une de ses côtes est enfoncée et son bras est cassé. Certains civils serbes prennent son parti, mais ils sont plus nombreux à vouloir l’arrêter. Il tente de se suicider, d’abord en ingérant le cyanure, puis avec son pistolet, mais il vomit le poison. Le pistolet est arraché de ses mains par un groupe de badauds avant qu’il ait eu le temps de s’en servir.

  Le chauffeur conduit la voiture à toute allure en direction du Konak. « Sofia ! Sofia! Ne meurs pas ! Vis pour nos enfants ! » crie François Ferdinand à sa femme. Le comte Franz Harrach voit le sang qui ne cesse de couler du cou de l’archiduc, il demande : « Votre altesse souffre-t-elle beaucoup ? » « Ce n’est rien » répond-il, « ce n’est rien, ».

  Tous deux sont conduits à la résidence du gouverneur où ils meurent de leurs blessures quinze minutes plus tard. Il est à peu près 11h.

François-Ferdinand avait pour ambition d’ajouter un troisième pilier à son futur Empire austro-hongrois, le pilier slave, pour apaiser les tensions. Ce dessein mourra avec son auteur. L’Autriche-Hongrie déclare aussitôt la guerre à la Serbie, fait alliance avec l’Allemagne et l’Empire ottoman contre la Russie, l’Angleterre la France et l’Italie…

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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