Et si on cessait de pratiquer ce sport typiquement français qu’on appelle l’autodénigrement et qui essouffle le dynamisme de notre économie en un vain discours sur la France « has been ». Tel est l’un des voeux que l’on peut formuler à l’occasion de la nouvelle année 2014

« L’Atlas de l’influence française au XXIème siècle » qui vient de paraître chez Robert Laffont, sous la houlette du spécialiste en géopolitique, Michel Fouchet, montre que la France reste influente dans le monde et que ceux qui hurlent au déclin, arguant que le modèle français est dépassé, sont plutôt guidés par des motifs idéologiques que par l’analyse de la réalité.

La question est clairement posée : les lamentations auxquelles nous sommes désormais habitués ne seraient-elles pas l’expression d’un mal français qui puise non seulement dans la méconnaissance de la réalité, mais qui témoignerait aussi d’une pathologie teintée de masochisme dont les corporatismes, les rentiers et les médias seraient les tristes messagers. Une chose est sûre ; le refrain devient non seulement lassant mais contreproductif avec pour principale conséquence d’envoyer aux jeunes générations des messages de défaite et d’impuissance. Le risque étant de décourager l’envie d’entreprendre.

Un marché des avions Rafale perdu au Brésil et voilà que les titres accusent la France de nullité? Piètres vendeurs ! Mais pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de l’information et préciser que la France a vendu 18 lanceurs Ariane et 5 sous-marins. C’est surtout dans le domaine de l’innovation qu’on se complait à regretter nos pertes de position et à mettre en évidence notre retard. On ne voit que les échecs mais pas les succès. Tout notre système de pensée repose sur cette complaisance à souligner le négatif. L’école est pour une bonne part responsable du manque de confiance qui semble caractériser la psyschologie collective de l’hexagone. La presse est aussi largement responsable de cet état de fait. L’information est sélective et émotionnelle. Elle a perdu sa capacité d’analyse et de contextualisation préférant faire ses gros titres sur les évènements ponctuels, sur la psychologie plutôt que sur les faits, Elle est portée par les fantasmes, les bons mots, l’ironie, entre l’anecdotique des épisodes insignifiants de la vie des people et les petites phrases malencontreuses de telle personnalité politique. Peu de place est accordé au « temps » dans l’information, peu de place pour le fond, le fondamental, et la hauteur de vue. Sans doute la crainte d’ennuyer le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur. Sans doute les nécessités de l’audimat, qui fait de l’information un immense bêtisier ou les animateurs et les imitateurs sont aujourd’hui les meneurs de jeu. Les médias fonctionnent à l’émotion du moment mais, sauf exception, jamais ne placent l’événement dans son contexte. Edgar Morin, souvent invité dans les débats pour sa clairvoyance, ne cesse pourtant jamais d’invoquer dans ses interviews l’importance du contexte et de rappeler à qui veut entendre la nécessité de donner des visions du monde et de proposer des pistes.

Les enjeux sont décisifs. Un peu partout dans le monde, on attend de la France qu’elle produise des idées. Et pas seulement dans le luxe et le culinaire. On attend de la France qu’elle secoue la politique européenne. Qui sait que nos institutions inspirent de nombreux nouveaux pays dans leurs recherches de fonctionnement démocratique. Nos diplomaties sont très présentes dans les tours de la Terre pour parler aux pays partenaires. Dans son enquête, Michel Fouchet nous rassure : la France reste un acteur de premier plan sur la scène diplomatique mondiale, malgré sa difficulté à parler le langage des autres, en l’occurrence l’anglais qui est à 90% le langage de l’économie et du business. Bien que la France soit l’un des rares pays développés à ne pas avoir mis le paquet sur l’apprentissage des langues et que lui échappent les finesses relationnelles qui impactent les négociations commerciales, notre économie ne s’en sort pas si mal. Pour lui, il ne s’agit plus, comme nous l’avons fait trop longtemps, de dispenser des leçons aux autres pays, mais bien plutôt de devenir une nation créative, un lieu d’initiative qui inspire.

Une étude du cabinet Deloitte FAST 500 (qui comprend la zone Europe, Moyen Orient et Afrique) montre que les entreprises françaises sont en tête du classement des sociétés à la plus forte croissance (86 entreprises) , loin devant les britanniques (71 entreprises), les Suédoises (52 entreprises). C’est la 4ème fois que les Françaises arrivent en première place. Les entreprises allemandes sont à la 8ème place avec 27 entreprises. La première de la liste est une société spécialisée dans le cinéma numérique, Ymagis, qui a enregistré un taux de croissance d’à peu près 60 000% . Rien que ça ! Selon un classement Reuters qui s’intéresse au devenir des brevets déposés chaque année dans tous les pays, et donc se basent sur leur valeur, la France est le troisième pays le plus innovant au monde en 2011 et 2012, derrière les Etats-Unis et le Japon. La France génère 13 % de l’innovation mondiale, loin devant l’Allemagne, qui n’en crée que 1 % !

Dans un ouvrage récent, « La France contre attaque » (Editions Odile Jacob), Karine Berger et Valérie Rabaud, s’emportent aussi contre les lamentations sur le retard français. Elles dressent le paysage de ces entreprises qui réussissent, innovent, exportent et créent de l’emploi en France. Selon elles, nous aurions des ingénieurs de qualité dont le monde entier reconnaît le dynamisme. D’après la base européenne Bach, qui compare dans différents pays les bilans d’entreprises et notamment le retour sur investissement, c’est-à-dire la marge par rapport au capital engagé, la France et notre voisin d’outre-Rhin sont comparables en termes de rentabilité des entreprises et d’investissement. Alors pourquoi ce sentiment de n’être pas à la hauteur de l’Allemagne ? « Le vrai danger que court la France est de laisser tomber l’innovation en s’installant, petit à petit, dans la rente, indiquent les deux auteurs (qui sont aussi députés socialistes). Il y a d’un côté de grands groupes qui ne jurent que par la rente et, de l’autre, des PME et des ETI qui sont prêtes à investir tout leur argent pour inventer de nouvelles choses ». Mieux connaître ces entreprises, les mettre en valeur, communiquer sur leurs atouts, leurs méthodes, tel est l’enjeu. Le concours mondial de l’innovation confié à Anne Lauvergeon va dans ce sens. Il permet aussi de repérer les projets les plus prometteurs dans sept secteurs stratégiques : l’open data, la prospective océaniue, le recyclage, la silver economy, le stockage des énergies, la chimie du végétal , la médecine individualisée.

Un chef d’entreprise, Jean-Marc Montels, fondateur d’une SSII Référence DSI, s’emporte contre le regain de poujadisme plaintif que l’on constate dans certains milieux entrepreneuriaux : bérets rouges, pigeons, poussins et autres moutons… Pour ces derniers, tout serait de la faute aux impôts, aux charges, aux contrôles taillons, à l’état tout puissant. Ils ne parlent plus que de départ pour Londres, Singapour ou la Californie, et ne jurent que par l’alpha et l’oméga allemands. Pourtant, les entreprises ont été plutôt mieux loties en matière d’impôts que les particuliers avec le CESE et le crédit d’impot recherche A contre-courant de cette fronde pleureuse, souvent instrumentalisée politiquement, Jean-Marc Montels prône la communication positive et la fierté d’être entrepreneur . « Drôle de société où, quand ça ne va pas, c’est le chacun pour soi, écrit-il. Tout cela manque en tout cas d’orgueil et de reconnaissance : la France et l’Europe nous ont éduqués et nous ont apportés une période de prospérité exceptionnelle et unique dans notre histoire en instaurant la paix sur notre territoire pendant 68 ans. Battons-nous parce que la France et l’Europe le méritent, écrit-il dans un article de l’Usine Nouvelle (26 novembre 2013). Il faut renouer avec une image positive de l’entreprise.. Jean-Marc Montels invoque sept principes pour mener ce combat des Hirondelles : Communiquer de façon positive. Promouvoir la fierté d’être entrepreneur. Aider les autres hirondelles dans la limite de la sauvegarde des intérêts de son entreprise. Se battre sans se plaindre. Ne critiquer que les défaitistes et les pleureurs. Payer ses impôts avec le sourire, même si ça fait mal. Dénoncer, en dehors de tout filtre idéologique et politique, les gaspillages publics objectifs et évidents.

Alors plaçons nos vœux 2014 pour une économie positive qui sache valoriser ses talents et leur donner de l’entrain.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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