Plus question de tarder ! Les conditions sont réunies pour mettre enfin en place une taxation sur les transactions financières. Objectifs : financer le désendettement, l’aide au développement, la santé, la protection de l’environnement. Cela devrait être l’une des priorités à l’ordre du jour du G20 de Cannes les 3 et 4 novembre 2011. Mais sur ce chapitre, les pays avancent en ordre dispersé.

Une manne considérable

Cela fait longtemps que la moralisation fiscale des transactions financières est sur le tapis, impulsée notamment par des ONG, comme Oxfan ou Attac. On comprend pourquoi. Les activités qui sont par définition mondialisées comme internet, les mobiles, les moyens de transport, mais surtout les transactions financières opérés par les acquéreurs de titres et les vendeurs d’instruments financiers, représentent une véritable aubaine fiscale : plus de 60 fois le PIB mondial ! Imaginez un peu. Même à un taux de 0,05%, cela représente des sommes considérables.

Jusqu’à présent, envisager une taxe sur les transactions se voyait sanctionné par les pouvoirs publics d’une fin de non recevoir sous prétexte d’impossibilité technique mais surtout de refus idéologique, comme ce fut le cas avec la taxe Tobin sur les transactions de change. Le succès de la taxe solidaire mondiale sur les billets d’avion, pour lutter notamment contre le sida et le paludisme, est en soi une petite révolution qui montre que, à qui sait bien faire, il n’est rien d’impossible. Même le Fonds monétaire international (FMI), prétend qu’une taxe sur les transactions financières est tout à fait envisageable d’un point de vue technique. Les associations d’aide aux pays pauvres, qui se battent depuis des années, souvent seules, pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières dans laquelle elles voient une manne potentielle pour le développement, n’ont jamais été aussi près du but.

Le 28 septembre 2011, la Commission européenne a annoncé l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, qui pourrait rapporter jusqu’à 55 milliards d’euros par an, en tant que ressource propre du budget de l’UE. L’objectif affiché est de couvrir les coûts de la crise, à alléger les contributions des États membres au budget de l’Union et à décourager, dans une certaine mesure, les comportements risqués sur les marchés. Mais déjà, le Parlement français avait adopté en juin 2011, une résolution appelant à la taxation des transactions financières. A ce jour, un seul pays mène une politique volontariste sur ce sujet, la Norvège. Pour Ingrid Fiskaa, ministre de l’environnement norvégien, c’est le rôle de la société civile que de rendre visible ce sujet et pousser à sa reconnaissance.

Une clé pour sortir de la crise

Maintenant que certains pays sont dans le rouge, l’idée fait son chemin comme une évidence…et une urgence.. « Toutes les conditions de la réussite sont réunis. Il faut maintenant passer de la parole aux actes », a lancé Irina Bokova, la directrice générale de l’Unesco, rappelant les effets de la crise aussi bien sur le plan de la santé des populations que de l’éducation. A l’occasion d’un colloque organisé place de Fontenoy*, les différents intervenants ont insisté sur la nécessité d’aller au plus pressé . « La mondialisation a provoqué un affaissement total du PNB des pays et accentué le déséquilibre entre les riches et les pauvres, a souligné Philippe Douste-Blazy, vice secrétaire général de l’ONU et président d’Unitaid, un des porteurs d’un projet de Taxe sur les transactions financières (TTF). La situation est grave : pour la première fois depuis quarante ans, la mortalité enfantine a augmenté. 1,4 milliards d’habitants sur terre vivent avec moins de 1,25 dollar par jour ».

Malheureusement, il est difficile d’augmenter l’aide public au développement. Le contexte actuel porte davantage les pays à diminuer le niveau de leur aide. Il faut donc trouver autre chose et cet autre chose c’est la TTF. Pour lui comme pour Irina Bokova, les financements innovants sont la clé d’entrée dans un siècle. « Si l’ensemble des pays de l’ONU décidaient d’utiliser cette clé, il est vraisemblable que cela déboucherait sur une nouvelle architecture mondiale qui en peu de temps résoudrait une partie de la crise de la dette mondiale et du déséquilibre des nations ».

Rien sur le papier ne s’oppose à la mise en place de taxe sur les transactions financières. Cela fait longtemps que la faisabilité technique de cette TTF est faite. « Economiquement, c’est l’outil le plus immédiatement réalisable », indique Olivier Dyer, responsable de 99 Partners Advisory. Ce groupe d’experts a réalisé une étude financée par Unitaid, proposant une TTF applicable en France, sur le modèle de la Duty Stamp britannique étendue aux obligations et aux produits financiers dérivés. C’est l’un des seuls cabinets d’audit à participer à l’initiative de la Taxe sur les transactions financières. Les autres ont peur des représailles de leurs banquiers qui, exceptions faites de quelques banques solidaires comme le Crédit Coopératif ou la banque Rotschild, ne sont pas favorables à l’instauration d’une telle fiscalité.

La TTF en deux mots

« L’objectif : une assiette taxable la plus large possible, stable et pérenne, simple à collecter. Au niveau des pays du G20, la collecte estimée d’une micro-taxe sur les transactions financières (de 0,1 % pour les transactions au comptant, et de 0,01% pour les produits dérivés) rapporterait 265 milliards, explique Olivier Dyer. Rien que pour la France, cela permettrait de collecter, au prorata du PIB total, 12 milliards d’euros par an. En appliquant le dispositif de la TTF française, à eux seuls la France et l’Allemagne pourraient ainsi collecter 28 milliards d’euros. « Pour les transactions sur titres financiers (actions et obligations), la taxe sera collectée au niveau du transfert de propriété des titres auprès du dépositaire centrale des titres. Pour les transactions sur contrats financiers (dont l’une des parties est française ou appartient à un groupe français, la taxe sera collectée au niveau des chambres de compensation ou des systèmes d’information internes de la partie française au contrat financier taxé » souligne le rapport.

Le paradoxe est que ces richesses échappent à l’impôt et que les établissements financiers, investisseurs institutionnels et fonds d’investissement rechignent à s’y engager. « ll n’y a qu’une seule catégorie de produit qui n’est jamais taxé, c’est les produits financiers, s’indigne Pierre-Alain Muet, député socialiste français qui travaille sur ces questions. L’autorité publique a permis de sauver les banques. « Le secteur financier a beaucoup profité du soutien des gouvernements. Il parait normal en retour que les financiers contribuent à la résolution de la crise » ajoute Ingrid Fiskaa. C’est un devoir éthique du secteur financier qui a le plus profité de la mondialisation ». « Si nous avons débloqué 18 trillards d’euros pour sauver les banques entre 2008 et 2009, nous devrions trouver des moyens pour éradiquer la pauvreté » renchérit Arielle de Rothschild, Présidente de l’ONG Care France, et associée de la Banque Rothschild & Cie.

Le risque : ne rien faire

Sur ce terrain, Jean Pierre Jouyet, président de l’Autorité des Marchés Financiers en France, s’est montré très offensif appelant à ce que la taxe vise « l’ensemble des transactions » au niveau mondial. « Ceux qui disent qu’elle représente une menace mentent. Le risque, c’est de ne rien faire. La taxe sur les billets d’avion n’a rien menacé. Vu le niveau des transactions financières , taxer ces gisements de richesse n’aura aucun impact négatif sur l’économie. Selon le président de l’AMF, L’introduction de cette taxe est non seulement juste, elle est aussi techniquement justifiée car elle favorise la transparence, contribue à la régulation, améliore la supervision des marchés, décourage les opérations spéculatives.

Autre problème : l’affectation du produit de la taxe. « Une moitié pour la dette, l’autre moitié pour le développement résume la ministre de l’écologie, Nathalie Kosciuzko-Morizet. Les associations d’aide au développement craignent que la taxe ne serve pas au développement et à la réduction des inégalités mais au seul désendettement. S’opposant à la volonté de la Commission européenne d’affecter le produit de la taxe à son propre budget, Irina Bokova estime que le projet serait « vidé de sa substance s’il servait uniquement les intérêts nationaux ou régionaux ». Pour cette dernière, la TTF, ne doit pas remplacer les aides au développement actuelles. Même tonalité chez l’ONG Oxfam « La taxe sur les transactions financières est en train de passer du discours à la réalité, mais une part importante des revenus engendrés devrait être utilisée pour aider les pays pauvres (…) et non uniquement pour consolider le budget européen », estime Nicolas Mombrial, pour qui les taux proposés sont trop bas. Selon les promoteurs de la TTF, il faudra aussi être attentif à l’évaluation de son rendement, de son impact économique, les possibilités de contournement, la faisabilité technique et légale. Le risque d’effrayer les marchés est réel. «L’efficacité de la taxe repose sur une bonne organisation des marchés et des chambres de compensations ».

Le G20 de Cannes: une opportunité historique

Le G20 est l’occasion d’enclencher ce mouvement de façon irréversible. Le calendrier est propice et la faisabilité technique et juridique est immédiate conviennent les promoteurs de la TTF. Sans compter l’opinion publique : 61% des Européens sont favorables à TTF. « Un chef d’Etat ne peut plus nous dire qu’il attend que tout le monde fasse la taxe pour le faire », fait remarquer P. Douste-Blazy. « La France est prête à démarrer avec un groupe de pionniers », confirme le ministre de la Coopération français, Henri de Raincourt , annonçant qu’une proposition européenne va être faite au sommet de Cannes, début novembre.

Pour constituer ce groupe avec la France, l’Allemagne est évidemment le meilleur élément. Pas question en effet de compter sur la Grande Bretagne. Au sein même de l’UE, l’idée est loin de faire l’unanimité. La City londonienne, prisonnière des lobbys financiers, craint une délocalisation des transactions financières vers des pays tiers, préjudiciable à la City de Londres. Il suffirait pourtant que l’Allemagne et la France, moteurs de l’Europe, décident ensemble de mettre en œuvre cette taxe au moins dans la zone euro, pour susciter l‘adhésion des autres et espérer réunir 9 pays, seuil nécessaire pour créer une « coopération renforcée ». Cela représenterait un signe manifeste de confiance retrouvée et une vraie réponse de l’Europe à la crise. Mais la Commission européenne n’envisage pas de mise en application de la taxe avant 2014 au plus tôt.

« Si on ne fait rien maintenant, le projet sera oublié et on aura laissé passer une occasion historique de pouvoir financer les biens publics mondiaux, soutient Pierre-Alain Muet. Le Parlement européen a son rôle à jouer. Les députés sociaux démocrates favorables à la TTF sont d’accord. Il faut la lancer maintenant en faisant un geste, une déclaration commune ».
Tout est une question de volonté politique et de confiance dans le projet européen. Il y a là une occasion historique de montrer que l’Europe ne sert pas seulement à mettre en commun ses problèmes mais qu’elle sert aussi à mettre en oeuvre des solutions dans la perspective d’une régulation stricte des marchés et de l’activité spéculative.

Soyons ambitieux. Et si, au lieu d’une micro taxe à 0,01% – 00,1% on élevait son taux à 0,5%, l’horizon économique pourrait se dégager de manière significative. Ajoutez à cela, la lutte contre l’évasion fiscale (40 milliards) et l’arrêt des niches fiscales, une partie de nos soucis en France, comme ailleurs, pourrait s’en trouver largement diminués.

• Taxer les transactions financières pour un monde plus juste : ici et maintenant ». 14 septembre 2011. Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)

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Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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