Plusieurs initiatives récentes témoignent d’une volonté d’améliorer l’information et le débat sur les enjeux du futur. Une nécessité à l’heure où il faut se réconcilier avec le progrès.

Réchauffement climatique, nanotechnologies, biologie synthétique, pollutions et gâchis d’énergie, autant de débats citoyens incontournables pour; d’une part, favoriser le bon équilibre entre le progrès de la connaissance et les enjeux sociétaux ; d’autre part, permettre aux positions (citoyens, associations, experts, autorité publique) d’évoluer vers des consensus soutenables ; et enfin d’éclairer la décision publique dans ses choix scientifiques et technologiques sur le terrain de l’innovation responsable.

Encore faut-il trouver la bonne méthode afin que ces débats sur notre futur, se déroulent dans la construction d’un dialogue garantissant la confiance et l’intelligence des points de vue. Or quand on traite de science et de société, si l’on ne défriche pas le terrain des préjugés, il est difficile d’échapper aux dérives religieuses et d’éviter le piège devenu classique entre « no future » et « avenir radieux ».

Autant la peur est mauvaise conseillère, autant la fascination technologique est aveugle. Les dérives qui naissent de ces excès déroutent les chercheurs. Démunis face à ce manichéisme, ils finissent par bouder le débat publique et restent sans voix. Impossible dans ces conditions de trouver la place pour la réflexion démocratique entre ces deux écueils que forment l’expertise autoritaire technophile et l’intolérance idéologique technophobe. Place à la raison !

L’initiative lancée par Vivagora de Parlement du Futur est à ce titre intéressante.

« Sortir de la peur pour ajuster progrès et innovations » tel est le défi proposé par l’association (voir texte de présentation de l’initiative) * qui prône une vigilance coopérative face aux risques diffus. « Nous ne pouvons pas progresser dans la construction du futur sur le mode de la seule réactivité : l’horizon est celui de la prudence dans une exercice permanent et partagé d’anticipation, de veille et d’alerte. Il nous faut donc nous équiper de nouveaux capteurs et indicateurs sociaux » dit le document de présentation.

D’autres initiatives, plus locales existent pour favoriser le dialogue science/société, surmonter les peurs et cerner les risques. Carrefours citoyens, clubs de réflexion, débats dans les musées, colloques ouverts, de nombreux débats ont cours, ils offrent souvent une bonne entrée en matière. Mais ils sont en général peu visibles et réunissent souvent les mêmes passionnés, les mêmes experts, les mêmes convaincus, les mêmes opposants ou tout simplement ceux qui ont du temps. En outre, ces forums font rarement l’objet d’un suivi. Ils ne sont pas, sauf exception, animés par un souci de permanence.

Un débat n’est pas un moment isolé, c’est un processus évolutif qui s’inscrit dans le temps.

Il faut donc donner aux dialogues les moyens de se maintenir en forme, de capter l’attention afin qu’il produise sur le long terme une sorte d’intelligence collective. La toile offre un tel espace de permanence. La nécessité du débat public pose désormais la question de l’intrusion d’internet dans la démocratie. 15% de la population mondiale a accès à Internet. Et ce chiffre ne fera qu’augmenter apportant avec lui des transformations sociétales importantes et irréversibles. Le fait que de 20 à 60% de la population des pays développés utilise quotidiennement ce média sur des sujets liés, par exemple au futur de nos sociétés, a inéluctablement des conséquences sur l’ensemble de la vie démocratique.

Les internautes ne sont plus spectateurs de l’événement, ils y participent. On peut y voir une menace. On peut aussi y voir une opportunité.

Les citoyens veulent de plus en plus souvent exprimer leurs idées, exprimer leurs doutes, manifester leurs inquiétudes. Et ils le font là où ils peuvent…sur la toile. Avec Internet la connaissance circule davantage et tout le monde peut avoir une vision planétaire. « Tout est possible pour le plus grand nombre, Toutes les infos sont accessibles. Cela rend les gens plus informés, donc plus citoyens » souligne Daniel Schneiderman, journaliste, producteur de www.arretsurimage.com. Le panel de personnes plus ou moins qualifiées, plus ou moins informées, a ainsi considérablement augmenté.

On trouve à mi chemin du professionnel et de l’amateur, au sein des associations, dans les networking, dans les réseaux d’information internet, des internautes relais d’opinion et d’informations susceptibles de développer des courants d’idées. Ces acteurs de l’intermédiation sont très demandeurs de débats, et prêts à contribuer. Ces nouveaux experts ont des idées, ils développent des pratiques, ils font circuler l’information. Ils déclenchent des alertes. Ils sont à la fois sources et émetteurs d’information. Il faut s’y intéresser. Car ils bouleversent le champ de l’information et de la communication.

Tout à la fois média de proximité et réseau social, Internet devient ainsi un lieu d’élaboration de l’intelligence collective et un outil d’expérimentation démocratique.

Seulement voilà. Le web peut servir le pire comme le meilleur. En plaçant sur le même plan l’émetteur et le récepteur, internet forme un espace horizontal où tout paraît équivalent. Certes, le citoyen dispose d’informations plus riches qu’auparavant, mais aussi plus confuses. Les prises de position parfois dans l’excès et quelquefois dans l’ignorance. Le risque est présent qu’en place d’informations, de faits, l’hyperchoix qui existe sur le web ne soit qu’un « n’importe quoi », « hyperréactif », « dépêché ».

Aussi bien, cet espace ne doit pas être boudé. Il doit être travaillé et trouver sa propre cohérence. Il serait paresseux et criminel de laisser le train passer en poussant des soupirs de lamentation. Manuels Castells professeur à l’université de Southern California est très clair : « si nous ne nous occupons pas des réseaux, les réseaux, eux, s’occuperont de nous ».

Qu’on le regrette (en déplorant le déclin de l ’information papier) ou qu’on s’en réjouisse (en saluant la créativité des nouveaux médias), le web est désormais un univers média de premier plan où s’opèrent des croisements entre ces acteurs de l’intermédiation et les médias professionnels.

La presse internet est aujourd’hui le principal média des moins de 35 ans.

Les jeunes générations esquissent déjà les habitudes à venir. Presse gratuite, blogs, podcast, Twitter sont leurs principales sources. « Cette mutation en cours va déterminer considérablement notre relation au pouvoir, modifier l’organisation de la cité, influer sur le processus de délibération démocratique » souligne Jean-Louis Missika, sociologue, chargé à la mairie de Paris de l’innovation, de la recherche et des universités (Intervention. Colloque sur l’innovation responsable. Collège de France 29 avril 2009).

La diffusion du savoir sur Internet qui sert à tant de chercheurs, d’artistes, de musiciens n’est pas une catastrophe. C’est une chance. Il faut s’en saisir pour créer des sites d’investigation et des lieux d’observation du présent. Il faut l’améliorer pour faciliter la circulation des expériences et des savoir faire.

L’enjeu est de mieux connaître ces nouvelles pratiques de prise de parole. L’enjeu est de les faire évoluer.

D’où la nécessité de définir une nouvelle forme de médiation et de concertation, facilitant les débats. Sans quoi l’agora électronique planétaire risque de dégénérer en gigantesque brouhaha. Comme le souligne Hugues de Jouvenel, président de Futuribles, « il faudra bien qu’en ce domaine, il y ait des lieux de synthèse et de sélection ». Pour éviter de se noyer dans cet océan d’informations, il faudra bien des maîtres nageurs pour promouvoir un dialogue raisonnable et raisonné, sans préjugés.

Depuis près de 15 ans, Place Publique, premier site internet d’information citoyenne (création en 1996), maintient, à travers ses « Observatoires » et son « Magazine » une logique de cartographie des initiatives citoyennes et d’information sur les idées prospectives.

Ce chantier de recensement, d’information et de réflexion, nous cherchons à l’améliorer en invitant les nouveaux relais d’influence et les nouveaux canaux de l’intermédiation sur internet (blogs, sites spécialisés, médias, associations de chercheurs, clubs de passionnés..), à unir leurs compétences pour installer au sein d’un Observatoire « Futur et citoyenneté » un dialogue continu entre eux et avec leurs publics.

L’objectif étant de faire naître un espace de concertation garant d’un débat serein, raisonnable, fécond et durable.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

EDITO

Etiquette(s)