A l’occasion du « sommet social », Nicolas Sarkozy a reçu le 15 février 2010, les partenaires sociaux pour lancer le calendrier et la méthode de la réforme des retraites en France.

Reculer l’âge de la retraite, pourquoi pas ? Mais la priorité n’est-elle pas de s’attaquer au problème du travail tout au long de la vie?

Rien d’enthousiasmant dans cette réforme dont l’enjeu est le financement futur des pensions. L’objectif est de limiter les dégâts.

Les faits sont là : Il y aura en moyenne 1,5 actif pour un retraité. Autrement dit: pas assez de cotisants pour assurer une retraite à taux plein. Grosso modo, la solution préconisée est d’allonger la durée du travail après soixante ans et d‘augmenter les cotisations pour que plus d’argent rentre dans les caisses.

En soi, travailler plus longtemps n’est pas un scandale. D’abord, de nombreux pays s’y sont résolus. Ensuite, la durée de vie progresse. L’homme de 60 ans d’aujourd’hui équivaut à l’homme de 50 d’hier. Il est donc en possession de ses moyens. Et d’ailleurs, dans de nombreuses carrières – la carrière politique, par exemple – on est encore un « jeunot » à soixante ans.

Bien sûr tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Si de nombreux professionnels ne se voient pas arrêter de travailler à la soixantaine, de nombreux salariés, eux, à cause de la pénibilité de leurs taches et de leur usure physique, ne se voient pas continuer plus longtemps. Aussi bien, le recul de l’âge légal de départ à la retraite doit-il prendre en compte les paramètres sur les inégalités du temps de travail: emplois précaires, espérance de vie, travail des femmes, temps d’études, très faibles revenus..

Poursuivons le raisonnement. La solidarité intergénérationnelle qui lie les générations entre elles dans l’exécution des engagements devrait donc pousser les aînés à faire un effort pour alléger la facture. Les jeunes générations ont en effet une vie suffisamment compliquée à mener pour en rajouter et leur faire payer le poids de nos dettes colossales, fruit d’un égoïsme monstrueux. Cette refonte du système devrait pouvoir trouver une forme de consensus pour pérenniser avec intelligence le mécanisme de financements de nos pensions légales basé sur la répartition.

Et pourtant, il y a quelque chose de choquant à demander aux gens de travailler plus longtemps. Quoi donc ?

C’est très simple : une grande partie des Français sont dans l’impossibilité de pouvoir cumuler plus de 41 années de travail dans leur existence. La durée d’activité dans l’hexagone est extrêmement concentrée dans la tranche d’âge des 25-54 ans. Chez nos voisins, la durée du travail est étendue tout au long de la vie.

 Alors qu’on prévoit la retraite légale à 61 ans voir à 62 ou 63, force est de constater que la moyenne actuelle de la retraite est de 58 ans. Pas assez! Exception française: le taux d’activités des plus de 55 ans est seulement de 40% dans l’hexagone contre 60% ailleurs en moyenne. Dès 45 ans, les seniors sont fragilisés. Les chômeurs âgés de 45 à 54 ans représentent 540 000 personnes. Lorsqu’ils sont licenciés, ils n’ont qu’une chance sur dix de retrouver un emploi. Un chômeur est désormais vieux aux yeux des employeurs dès l’âge de 50 ans, voire plus tôt. D’où des difficultés d’insertion qui prennent un caractère souvent dramatique à un âge où l’on doit généralement supporter les charges d’une famille. Surtout quand les enfants sont eux-mêmes au chômage.

 A ce mépris des vieux s’ajoute la méfiance accordée aux jeunes. La France n’aime pas ses enfants. Ces derniers éprouvent les plus grandes difficultés à trouver un emploi avant 25 ans. Un jeune actif sur quatre est au chômage. Le système des stages non payés ou sous payés est en passe de devenir la règle. Ainsi, le taux de chômage des 15-24 ans en France est largement supérieur à la moyenne des autres pays riches. Il oscille entre 20 % et 25%, plaçant la France 2e sur 30 dans le classement de l’OCDE du plus fort taux de jeunes sans emplois. Cela représente 600 000 personnes qui se trouvent déclassées dès le début de leur parcours de vie.

Tous ces exclus du travail n’auront jamais les annuités nécessaires pour
avoir une pleine retraite.

N’est-il pas absurde d’entendre les politiques expliquer d’un côté, qu’il faut reculer l’âge de la retraite, alors que de l’autre côté il s’avère impossible de trouver un travail à ces âges-là ? Il y a bien entendu une contradiction flagrante.

Aussi bien le discours lénifiant sur la valeur travail a–t-il quelque chose d’exaspérant dans un contexte de destruction massive d’emplois. Surtout lorsqu’il est assorti d’un soupçon de paresse. Comment dire aux gens, droit dans les yeux , de travailler plus pour gagner plus alors que les gens ont de moins en moins de travail et qu’ils gagnent de moins en moins ? Pourquoi faire travailler plus ceux qui travaillent déjà au lieu de donner du travail à ceux qui n’en ont pas ?

Cette situation propre à la France déclasse et déstabilise une partie du socle social, avec des conséquences politiques potentiellement dévastatrices dont on risque de payer le coût au prix fort. Une jeunesse démotivée, qui voit ses parents exclus du système à la cinquantaine, après des années de bons et loyaux services. Une notion du travail décrédibilisée, perçue comme injuste, valorisant surtout le portefeuille des actionnaires. Enfin, « des trajectoires brisées et des parcours incertains nourrissent, à l’échelle de la société tout entière, la crainte, la méfiance et, plus encore, un ressentiment contre l’école et les institutions », analyse écrit Eric Maurin, économiste, auteur de « L’Égalité des possibles ».

Il est curieux que ces questions, essentielles pour le moral économique et la confiance sociale, soient si peu débattues par la classe politique ? Une réforme de fond et non soumise (au risque d’être baclée) aux aléas des échéances électorales devrait intégrée davabntage les choix individuels et rééquilibrer les inégalités en fonction des aléas du travail. Quand inscrira-t-on la juste répartition du temps de travail, selon les âges, comme enjeu public national prioritaire ? Un tel objectif apporterait une partie de la solution aux retraites. Encore faut-il que la volonté politique soit au rendez-vous.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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