Ils sont des citoyens de tous les pays, ordinaires, parfois analphabètes, et ils ont en commun de mener des initiatives qui peuvent changer leur monde. Ils sont les inventeurs d’un million de révolutions tranquilles

« Un autre monde existe, il est dans celui-ci ». Cette citation de Paul Eluard est en exergue du livre de Bénédicte Manier intitulé « Un million de révolutions tranquilles »*. En ces temps de crise, il faut lire ce livre comme un véritable bienfait pour le moral. Une source de jouvence autant que d’inspirations. Car cet inventaire d’initiatives économiques au service de la communauté, menées par des gens souvent pauvres et non éduqués, fourmille d’exemples sur l’habitat, la santé, l’environnement, le travail, l’argent.

Cet autre monde est celui de milliers d’individus ou de groupes, qui de manière discrète ont pris en main leur économie en redécouvrant des savoir faire locaux ou en inventant des solutions inédites. Bénédicte Manier parle d’ « autogouvernance citoyenne ».

Dans le domaine de l’eau dont la pénurie à venir laisse craindre le pire, des paysans du Rajasthan où les surfaces agricoles ne cessent de reculer ont réussi à récréer un paysage « normand » où les champs sont verts. Un miracle ? Non, juste la ténacité d’un homme Rajendra Singh et l’intelligence collective de villageois qui ont entreprise de reconstruire un réseau oublié de bassins en terre, appelé « johads », conçus pour recueillir les eaux de ruissellement et les laisser s’infiltrer dans le sol.

Aujourd’hui 10 000 structures de canalisations et de bassins de retenue, desservent plus de 700 000 habitants dans un millier de villages, soit la possibilité de deux à trois récoltes par an. La socialisation de la gestion de l’eau se fait démocratiquement au delà des querelles de castes et des barrières sociales.

Une autre méthode oubliée le « zaï » a été réintroduite au Burkina Faso pour féconder la terre dans le désert. Cette technique consiste à creuser des cavités rondes dans lesquelles on dépose des semences et un peu de compost . L’eau de pluie reste piégée à l’intérieur. Le « zai » est aujourd’hui utilisé dans huit pays du Sahel. Ce sont les fermiers qui gèrent qui se transmettent le procédé entre eux, sans aucune aide des gouvernements. Ailleurs dans les pays latino américains, des « ruisseaux communautaires » (les acequias de comun ) servent à irriguer les champs. L’usage de l’eau est gratuit en contrepartie d’une contribution collective à l’entretien des berges et de l’écosystème. Des associations et des assemblées locales de l’eau assurent la gestion participative de ce bien commun.

Coopératives de productions, réseaux autogérés, plates-formes internet d’échanges, habitats solidaires, épiceries collectives, fermes bio, ateliers de réparation citoyens, les modèles de micro économie se répandent partout dans le monde de manière autonome. « Ils constituent un puissant outil de redistribution sociale qui résiste mieux aux crises que les autres » souligne Bénédicte Manier.

Circuits courts de distribution de produits agricoles, « slow attitude » destinée à « consommer local », « teikei » japonais permettant de regrouper les achats en direct, commerces locaux en copropriété citoyenne, ces coopératives sont en train de révolutionner le développement local. Ces pionniers de nouveaux modes de vie déploient leurs solutions dans tous les domaines. Ils ouvrent des cliniques gratuites, créent des microbanques, s’organisent pour créer une épargne éthique. Ils échangent des biens, partagent des services et des savoirs, font « tourner » leur communauté en utilisant les énergies renouvelables.

Partager, troquer, recycler, ces activités ne se limitent pas aux biens matériels, elles se développent dans les services : co-voiturage, services participatifs de location d’outils, couch surfing (prêter un divan le temps d’une nuit), « greeters (guides touristiques désintéressés) systèmes d’échanges locaux (Women Share, Time Banks, Sels), crédits temps accordés aux plus âgés (Fureai Kippu), réseaux d’apprentissage mutuels, vide-greniers gratuits, (gratiferias en Argentine), cette révolution tranquille favorise une économie de la « simplicité volontaire », de la « sobriété choisie », du don contre don ou du pair à pair.

Et déjà l’agriculture alimentaire et les jardins potagers s’installent dans les villes, à l’initiative d’habitants volontaires qui profitent des friches industrielles et des terrains vagues pour y faire pousser fruits et légumes. Le combat est clairement affiché : agriculture durable, préservation de la biodiversité, économie d’énergie. Des milliers de petites révolutions énergétiques locales se développent avec pour mot clé commun : « autonomie ». Les « solars sisters », ces ingénieures aux pieds nus, formées par le Barefoot Collège en Inde, fabriquent des lampes solaires écologiques et pas cher, puis transmettent à leur tour leur savoir à d’autres femmes. Un vaste programme d’éoliennes, de panneaux solaires et de digesteurs de biogaz a été mis en œuvre au Népal.

« Le monde nouveau est en train d’émerger, à l’échelle du micro, souligne le philosophe Patrick Viveret, en conclusion de l’ouvrage. Il faut penser un système qui remplacerait le système dominant sans devenir à son tour un système dominant. Pour réussir la mutation, il faut associer plusieurs paramètres que j’appelle REVE : résistance créatrice, vision transformatrice, expérimentation anticipatrice et évaluation démocratique »

* Un million de révolutions tranquilles. Editions Les Liens qui Libèrent. Novembre 2012

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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