« Rien ne sert de courir il faut partir à point ». Les gouvernements européens seraient bien inspirés de méditer cette morale de La Fontaine. C’est du moins ce que leur suggèrent nombre d’économistes qui critiquent la salve de plans d’austérité, lancés par des gouvernements européens si peu solidaires.

Rassurés ! A la dernière minute, après bien des tergiversations écogentriques, l’Union Européenne s’est enfin dotée d’un vaste plan de secours. Pas moins de 750 milliards pour soutenir les pays en difficulté dans la zone euro et endiguer la contagion née de la crise grecque.

Rassurés, nous sommes! Mais la partie est loin d’être gagnée.

Destinée à protéger l’UE des prédateurs financiers, cette nécessaire bouée de sauvetage, jetée en urgence, n’est pourtant pas assortie d’initiatives concrètes pour lutter contre les spéculateurs et pour inciter les banques à plus d’éthique. Elle est en grande partie vouée à préserver les créances des marchés financiers. Cette manne financière devrait surtout permettre de rembourser les intérêts aux investisseurs, pensent certains experts. Mais aucune mesure efficace n’est prise pour faire supporter le poids de la crise par tous ceux qui en sont responsables et pour empêcher de nouvelles crises de se reproduire à l’avenir.

«Personne n’est vraiment prêt à tirer de la crise bancaire, les leçons que le sommet du G20 à Londres a depuis longtemps inscrites dans de belles déclarations d’intentions et à se battre pour elles », déplore le sociologue allemand Jurgen Habermas, critiquant, dans un article récent de Die Zeit, le manque de clairvoyance des gouvernements européens et leur absence de courage.

Les économistes semblent à quelques exceptions près, tous d’accord. Ils craignent que les plans de rigueur qui se sont succédés ces dernières semaines, d’Athènes à Madrid en passant par Lisbonne, Paris et Londres, et qui accompagnent ce sauvetage financier, ne plongent le monde dans la dépression. Même au Fond monétaire international (FMI), on est opposé à ce qu’Olivier Blanchard, l’économiste en chef, appelle « le zèle de la rigueur».

Aux yeux des experts, ce tour de vis budgétaire pourrait compromettre la reprise économique encore vacillante du vieux continent et fragiliser les échanges internationaux. En outre, cette injonction à la rigueur pèche par son manque de crédibilité. Il vaut mieux des engagements étalés et tenables que des engagements astreignants ou des promesses qu’on ne tiendra pas. Aussi bien, des engagements trop stricts pourraient aggraver la crise.

« On peut espérer que l’on puisse prendre son temps pour réduire les déficits, ce qui est évidemment inévitable, mais sans infliger un tour de vis généralisé et précipité, sous la pression des marchés, qui menacerait la reprise dans la zone euro, où les perspectives de croissance sont les plus faibles du monde » souligne l’économiste Daniel Cohen, directeur du CEPREMAP.

«Cette cure d’austérité budgétaire risque de faire retomber les pays les plus touchés comme l’Espagne et la Grèce dans la récession, ajoute Charles Wyplosz, Professeur d’économie à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève : « cela va faire baisser les rentrées fiscales et aggraver le déficit, donc les besoins d’emprunter, Si la croissance ne revient pas, les déficits budgétaires vont s’aggraver et les défauts de paiement pourraient alors être inévitables.»

De même William White, de l’OCDE, demande dans un article de L’Observateur, que les Etats revoient leurs copies et mettent fin à leur plan de relance. Selon ce dernier, une restructuration de la dette de certains Etats pourrait avoir des effets positifs.

Pour tous ces éminents spécialistes, la seule raison qui vaille, c’est la croissance, pas l’austérité. C’est grâce à la croissance que l’Argentine est sortie de la dette.

A contrario, une croissance en berne signifierait l’explosion du chômage, en particulier celui des jeunes. Il est déjà très haut. En Grèce, il approche de 30 %. En France, il tourne autour de 25%. En Espagne, il dépasse 44 %. On peut sans peine imaginer les conséquences s’il monte à 50 % ou 60 %.

Une réduction drastique et sans nuances des dépenses publiques affecterait durement les peuples déjà bien « sonnés » par la crise et ferait craindre une explosion des mouvements sociaux. Les priorités sont donc évidentes : réduire les rentes de situation, faire la chasse au gaspillage et aux budgets dispendieux, piocher dans les budgets improductifs (militaire, par exemple).

Mais surtout ne pas toucher aux investissements d’avenir : la recherche, l’éducation, la santé et l’environnement. Que l’économie de la connaissance tant vantée ne soit pas un vain mot. Le danger qui guette l’Europe est la versatilité et le « bougisme » des états, lorsque face aux difficultés, ils jouent imprudemment de la rigueur et de la promesse, au gré de mesures réactives, mais peu structurantes.

Les pays victimes de leur imprudence, à cause des taux d’intérêt bas, permis par l’euro – l’illusion de la prospérité espagnole ou le laisser faire grec – ne s’en sortiront que si la croissance européenne revient. « C’est pour cela qu’il faut soutenir l’économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur », soutient le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn. Selon lui, l’Allemagne et la France ne devaient pas, dans l’immédiat, se focaliser sur leurs déficits mais sur leur croissance, plus faible que celle des autres grandes puissances économiques.

« L’Europe a besoin de solidarité, d’empathie, estime Joseph Stiglitz, prix Nobel 2001, dans un récent interview donné au journal Le Monde. Elle pourrait par exemple créer un fonds de solidarité pour la stabilité, comme elle a créé un fonds de solidarité pour les nouveaux entrants. Ce fonds, qui serait alimenté dans des temps économiques plus cléments, permettrait d’aider les pays qui ont des problèmes quand ceux-ci surgissent ».

Solidarité financière certes, mais aussi solidarité sociale. A quoi assiste-on aujourd’hui ? A un report constant des responsabilités. Pour trouver des remèdes à la crise, on a d’abord transférer la dette du privé au public, puis du public au contribuable. Et demain du contribuable sur qui, sur quoi ? A cet échelon, on arrive souvent à des tensions sociales majeures et à des phénomènes de bouc émissaires, qui débouchent souvent sur des situations difficilement contrôlables. Il parait donc naturel d’éviter qu’en bout de chaîne, les citoyens aient le sentiment qu’ils devront payer seuls la facture.

Les solutions ne sont pas que financières et économiques, elles sont aussi liées au climat de confiance que l’on peut instaurer en développant un effort collectif à base d’exemplarité. Les hauts revenus, par la fiscalité, devant être ainsi incités à plus de solidarité. Quant aux acteurs financiers qui profitent de la crise et continuent leurs manipulations cupides, il n’est que temps de mettre en place les instruments concrets pour les en dissuader.

Bruxelles n’a pas été assez loin en matière de régulation des marchés. La crise doit être l’occasion à l’Europe d’accomplir sa mutation politique vers une gouvernance financière commune éthique. Elle n’en sera que plus solide pour parler haut et fort au sein du G20

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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