« Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien …Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion…Et l’on peut faire ce que l’on veut d’un tel peuple ». Hannah Arendt

La prédation comme mode politique

Il n’est ni prince ni italien, ni jeune et pourtant le tableau correspond. Le portrait de Donald Trump est celui d’un Borgia. Dans un livre récent, « L’ére des prédateurs » (Gallimard. 2025), l’auteur Guiliano Da Empoli, se référant à Machiavel, établit la comparaison entre les Borgia du XVème siecle et les autocrates de notre temps, dont Trump est l’illustration la plus flagrante.

A l’époque de Léonard de Vinci, le cynisme des Borgia sonnent la fin des illusions du monde . « Le monde sophistiqué  des humanistes, leurs principes et leurs règles, les interminables querelles de factions qui empoisonnent le vie politique de sa patrie, n’ont plus de raison d’être face à la puissance de feu géométrique des envahisseurs étrangers » ( Da Empoli). Transposons à notre temps ces propos de Giuliano Da Empoli. L’actualité contemporaine montre que les démocraties européennes, dans leurs divisions nationales, éprouvent du mal à combattre ces prédateurs machiaveliens qui veulent faire la loi chez les autres. Qu’ils soient impérialistes américains, mafieux criminels russes, totalitaires chinois, ou encore dictateurs argentins et saoudiens. Les prédateurs Borgiens,  « sont des organismes particulièrement adaptés aux phases de turbulence, dans lesquels un système politique est confronté à sa propre finitude et où les réponses à l’incertitude comme au danger ne se trouvent que dans la rapidité et dans la force », écrit-il. On trouve aussi parmi les agents « borgiens » des entreprises techno qui ne s’embarrassent ni de règles, ni de normes comme le fondateur de Starlink et Tesla, Elon Musk. Pour Giuliano Da Empoli, la convergence entre les technologues des firmes internet  privées et les borgiens est vigoureuse et structurelle. Les démocraties se sont trop longtemps laissées mener par ces millardaires du numérique qui ne rêvent que de colonisation spatiale, alliés aux dirigeant mafieux et malveillants tels Trump, Poutine, ou l’Argentin Milei. Dans son ouvrage, Giuliano Da Empoli montre comment la sidération que provoque cette inspiration borgienne croissante, étrangère à l’histoire et à la philosophie, est directement liée à l’explosion de l’Intelligence Artificielle : « Le passage de l’analogique au numérique élude le sens profond des choses et ouvre une porte toute grande  au chaos ». …/… L’Intelligence artificielle qui est une forme d’intelligence autoritaire qui centralise les données et les transforme en pouvoir se nourrit du chaos».

La rencontre orageuse du bureau ovale, le 28 février 2025, en dit long sur la stratégie borgienne malveillante utilisée par le César de la Maison Blanche. Le président américain passe beaucoup de temps à humilier ses adversaires et même parfois ses proches alliés. Tout est permis. Le débat public se transforme en foire d’empoigne. La méthode à l’œuvre dans le bureau ovale est ce qu’on pourrait appeler la « dizzy method », une sorte de stratégie du tournis, de l’étourdissement, qui consiste à libérer ses refoulements pour harceler et braquer son adversaire. Les psychanalystes ont largement décrit le complexe de supériorité des dictateurs Borgiens comme le reflet de leur sentiment d’infériorité. Les autocrates, souvent, perdent le sens des réalités. Ils transforment leurs défaites en victoires. Chez eux, le mensonge remplace l’astuce. Les prédateurs peuvent s’entendre avec leurs pires ennemis – comme Hitler avec Staline – du moment  que l’adversaire est aussi prédateur. Cela se termine en général par l’embobinement de l’un par l’autre. Entretemps, le mal est fait. Poutine excelle en la matière : des millions de victimes, des villes ravagées, des cultures ruinées. Avec les borgiens des temps modernes, comme le souligne Giuliano Da Empoli, « le chaos n’est plus l’art des rebelles mais le sceau des dominants ».

La stratégie du tournis

Avec le « borgien » Trump, c’est le retour de la brutalité dans le monde et la primauté du cynisme, soit la paix par la trahison. Si tu ne caresses pas Trump dans le dos, tu te fais massacrer. La dimension révolutionnaire de Trump est guerrière : détruire le système fédéral US et s’en prendre aux élus de la nation. C’est bien une sorte de félon qui a incité une  foule chauffée à blanc à se lancer à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, pour bloquer la certification des résultats des élections qu’il avait perdu. Il a osé demander à ses partisans radicaux de « se battre de toutes leurs forces…/…Vous ne reprendrez jamais notre pays si vous êtes faibles. Vous devez montrer de la force et vous devez être forts ». .Le langage révolutionnaire, aux accents néo-fascistes, la mise en scène de la destruction des symboles, la vanité du scélérat, la vulgarité d’un Mussolini…Trump réunit tous les traits du totalitarisme de l’extrême droite nationaliste..   

La méthode Trump, c’est d’être féroce avec les faibles, et lâche avec les forts. Celui qui ne se plie pas à sa volonté et qui fait partie des fragiles est immédiatement fustigé.

Selon lui, le monde se divise en deux. L’ordre naturel, c’est quand le dominant l’emporte sur le subordonné. Le deal consiste à aller jusqu’aux limites de la provocation pour obtenir le maximum. Ce genre d’homme régnant, biberonné aux milliardaires de New York, et aux espions du Kremlin, méprise les petites nations. Il admire les empires aux vastes étendues. Au final, ce sont les richesses qu’il convoite, les ressources minérales, les métaux rares et les énergies. Trump pense davantage à son profit personnel qu’à ses électeurs. Il estime que toute négociation diplomatique ou militaire doit être traitée en termes comptables. Bref , le psychopathe mafieux de Washington incarne la violence gloutonne du « Moi d’abord ». Son égo est plus important que la guerre. Il vise le prix Nobel de la paix, mais il se fiche des pertes humaines.

L’histoire nous apprend que ceux qui affichent leurs muscles sans retenue, comme Trump, se révèlent en fin de compte les plus hésitants. Les vantards sombrent à la moindre surprise devant ceux qui parlent plus haut. Tel Trump devant son nouvel ami Vladimir Poutine. Mais ils fléchissent aussi devant les plus petits. Tel Poutine devant Volodymyr Zelenskyi. Le mutisme et le manque de réaction des citoyens russes et américains est celui de zombies qui soutiennent leurs menteurs. Leur population semble sinon anesthésiée, incapable de manifester son mécontentement. A une différence près : aux Etats-Unis, l’opinion publique existe et peut, grâce au jeu électoral, renverser un chef d’état.

La marche de Trump vers un pouvoir autoritaire.

« Si vous ne lui tenez pas tête, il continuera de vous écraser« , explique John Bolton. Selon cet ancien conseiller de Donald Trump, le président americain, élu en ce mois de janvier 2025, est un homme borné, inapproprié pour le job. Lui et son staff n’ont aucune compétence. En témoigne la faille de sécurité du « Signal Gate ».  « Le Signal Gate est ce qui se produit lorsque vous placez des personnes non qualifiées et arrogante, aux plus hauts échelons du gouvernement », explique le sénateur Adam Schiff, un opposant à Trump, ». Ainsi, une vingtaine de responsables américains nommés par Trump ont manifesté un amateurisme d’une légèreté déconcertante en laissant un journaliste connu assister par erreur à une réunion « top secret » sur la messagerie Signal. La réunion concernait les bombardements américains au Yémen, avant même que ces bombardements aient eu lieu. Des données confidentielles ont également été divulguées sur des sujets sensibles : Ukraine, Gaza, Chine…Du pain béni pour Poutine !  . Les appels à la démission du Secrétaire d’Etat américain à la Défense, Pete Hegseth, coupable d’avoir partagé les plans confidentials d’attaque du Pentagone, sont des indices du climat délétère qui régne en haut lieu.

Jamais en si peu de temps, un seul homme n’a causé autant de dégâts à son pays et de mal à sa population que Donald Trump. Rien ne va plus depuis que les Hommes de Trump sont au pouvoir. Cela ressemble à de l’autodestruction. Le président des Etats-Unis et ses éxécuteurs de basses œuvres, haineux et serviles, Vance, Rubio, Hegseth, décident de tout. Le locataire de la Maison Blanche saborde lui-même les instruments essentiels de l’administration US en plaçant ses porte-flingues les plus proches aux plus hauts échelons d’un état MAGA épris de nationalisme mercantile. Le Pentagone serait en plein chaos. La CIA et le FBI auraient été vidés de leurs meilleurs éléments. Etre associé à Donald Trump n’a pas fait du bien aux affaires de son associé, Elon Musk, propriétaire du réseau social X et de l’entreprise spatiale SpaceX. Préoccupé par les fracassantes pertes de son groupe, Musk a décidé de stopper sa mission au Department of Government Efficiency (FOGE) et s’en prend à son « héros ». Il l’accuse d’abord de tous les méfaits puis, quelques semaines plus tard, il se ravise et présente ses excuses au Président L’honneur de l’Amérique est ainsi placé entre les mains d’un système oligarchique dépourvus de morale qui, en peu de temps, est en train d’abolir 80% du droit international. Pour les techno gourous conseillers du Président, la démocratie est un système vain auquel il faut substituer un techno-fascisme libertarien d’extrême droite à base de cybercriminalité et d’intelligence artificielle.

L’art du deal: le management pour les nuls

On a prêté au vaniteux président un « génie du business», réputation abusivement attribuée à cause d’un livre qu’il a fait publié il y a plus de 20 ans : « L’art du deal ». Tous les actes qu’il entreprend depuis le début de sa carrière dans la promotion immobilière, démontrent le contraire. Le successfull self made man est mauvais en affaires. Héritier de la fortune de son père, il a connu six banqueroutes, multiplier les plans sociaux, créer une université de management en escroquant cinq mille étudiants. Pour éponger une dette de près de deux milliard de dollars, il a dû revendre sa compagnie aérienne et ses bateaux. Bref, le businessman Trump est tout sauf un stratège. C’est le « lard du deal » raillent ses détracteurs. En réalité, l’auteur de l’art du deal est un mauvais négociateur. Il recule en permanence devant les pieds de nez de Poutine qui le mène en barque et continue de pilonner les villes d’Ukraine. Comme pour se dédouaner, Trump lâche ces mots, : « je crois que Poutine veut la paix ». Bref des bombardements d’un côté, des bobards de l’autre.

« L’art du deal » renseigne sur le goût de Trump pour le bluff, comment il attaque, comment il recule… pour mieux tordre le bras de ses adversaires. En première lecture se confirme l’inconstance pathologique du Président US, Donald Trump qui va là où le vent est favorable pour ses affaires. Condamné au pénal dans plusieurs affaires judiciaires, qu’il s’agisse de paiements dissimulés de la campagne 2016, de recel de documents confidentiels, ou de tentative d’inversion des résultats électoraux, il a tout de même réussi à échapper à la prison et gagner à la présidence des Etats-Unis. Son infatuation narcissique fait de lui un homme ignorant sans complexe. Trump ne lit jamais un livre, ni un rapport, ni même une note de ses équipes. Il ne fonctionne qu’à l’oral. Cette guerre des tarifs livrée sur un tableau d’écolier, comme une leçon mal apprise, s’apparente à à un chantage mafieux. Il choisit les gagnants et désigne ceux qu’il veut soumettre, « ceux qui ne nous achète rien ». La politique de l’instabilité internationale et du tournis menée par Trump ressort plutôt du management entrepreneurial pour les nuls que de la stratégie. En réalité, par négociation, il entend capitulation de l’adversaire.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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