La fin de l’Atlantisme
1. Clash
La scène est surréaliste. Elle se déroule dans le bureau ovale de la Maison Blanche. Le vendredi 28 février 2025. Une date désormais inscrite dans les Annales de la diplomatie.
Ce jour-là, le Président des Etats-Unis reçoit le Président de l’Ukraine pour entamer les négociations en vue de définir les termes d’un cessez le feu entre le pays agresseur : la Russie, et le pays victime : l’Ukraine, en guerre depuis trois ans. La discussion porte sur la poursuite du soutien militaire et financier américain, en échange de contrats d’exploitation des minerais ukrainiens que convoite l’administration Trump. Sur le seuil de la Maison Blanche, Donald Trump, qui se présente comme le médiateur du conflit, fait quelques remarques ironiques et désobligeantes visant à ridiculiser Volodymyr Zelenskyi sur sa tenue militaire. C’est un premier message. Les principales agences de presse internationale ne sont pas invités. Mais l’agence Tass russe, elle, est présente. C’est un deuxième message. Devant les caméras du monde entier, une virulente altercation prend forme. La scène qui se déroule montre un avilissement d’une rare violence, dans la mémoire diplomatique, comparable à un bizutage exercé par les deux chefs de l’exécutif US, Trump et Vance. Le président américain et son vice-président, dès les premiers échanges, instruisent un procès en ingratitude, reprochant à Zelenskyi d’être irrespectueux et de ne pas dire merci, pour l’aide militaire apportée par Washington. « Vous vous êtes permis d’être dans une très mauvaise position, Vous n’avez pas les cartes en main. » lance Trump: « Je ne joue pas aux cartes.Je suis très sérieux, Monsieur le président. Je suis un président en temps de guerre», répond Zélenskyi, choqué. Avec le peu de temps de parole qui lui est laissé, Zelenskyi, éconduit, se défend comme il peut, affirmant qu’il n’a, au contraire, jamais manqué de rappeler sa reconnaissance aux Occidentaux. Donald Trump le tance vertement en lui disant qu’il serait bien avisé, s’il veut la paix, d’abandonner une partie de son territoire à l’envahisseur russe. Sous entendant une capitulation de Kyiv, il témoigne ainsi sa sympathie et son admiration pour l’homme fort de Moscou.
Lors de cette réunion Volodymyr Zelenskyi n’a jamais pu faire valoir ses arguments pour expliquer à son interlocuteur qu’on ne peut faire confiance à Poutine pour négocier la paix sans obtenir des garanties de sécurité de la part des Russes qu’ils n’ont jamais accepté dans le passé. Chaque fois qu’une trêve est signée avec la Russie, elle n’est pas respectée. Les garanties données à l’Ukraine après le mémorandum de Budapest en 1994, garanties de respect des frontières et de la sécurité de l’Ukraine en échange de son désarmement nucléaire, n’ont jamais été honorés.
Le Président américain ne veut pas entendre parler de ces garanties de sécurité que font légitimement valoir les Ukrainiens. En revanche, il insiste sur sa volonté de bénéficier, seul, des terres rares d’Ukraine dans le seul intérêt du business. Aussi bien le Président ukrainien s’est-il senti piégé. Blessé, trompé, insulté, Zelenskyi quitte précipitamment le bureau ovale. Cette scène inédite marque un événement considérable : la trahison de l’Ukraine par le Président des Etats-Unis. On a qualifié ce rendez-vous d’humiliation pour le président Ukrainien. En réalité, les réactions de l’opinion sur la perfidie brutale de Trump montrent qu’en réalité l’humilié, c’est Trump ! Il a triché, menti, montré son manque d’humanité et ne se rend même pas compte de la situation misérable qu’il vient de créer. Le monde entier lui reprochera cette lamentable médiocrité.
La nature de cette rencontre a été unanimement décrite ( sauf par les Américains) comme un guet-apens destiné à intimider et disqualifier le président ukrainien. Bref un coup-monté programmé devant les caméras du monde entier. « Sur commande de Poutine » font observer certains commentateurs. A cette occasion, l’hôte de la Maison Blanche a manifesté une forme de sympathie, sinon de collusion avec Poutine. A l’issue de l’incident, Trump suspend froidement toute aide militaire et tout partage de renseignements avec l’Ukraine. Il n’hésite pas à s’en prendre à l’Union Européenne et à d’autres pays auxquels il reproche leur manque de reconnaissance à l’égard des Etats-Unis. La communauté internationale a exprimé avec force son incompréhension et son émotion devant cette « trahison ». Trump et Vance ont oublié lors du traquenard du bureau ovale, qu’ils s’adressaient au chef de la plus grande puissance armée d’Europe après la France. Une mise en scène proprement scénarisée conclue par cette phrase éclairante du pathétique show man: « Ça va être de la grande télévision ». Le scénario était écrit d’avance : « deux mafieux sermonnent un homme refusant d’être racketté et lui demandent de se coucher ». On l’aura compris : Trump veut écarter le président ukrainien Zélenskyi du champ des négociations. « Concluez un accord avec Poutine sinon nous vous laissons tomber« . Cette scène inédite restera dans les mémoires.
Ce qui ressemble à une trahison des USA témoigne d’un emballement de l’histoire. En six jours, depuis le 28 février, tout a basculé. Un nouvel axe est né entre Russie et USA. En quelques jours, voire quelques semaines, quatre-vingt ans de politique étrangère, qui étaient ancrés dans l’intérêt national des États-Unis, ont été jetés par la fenêtre. Le 15 janvier, lors de sa comparution au Sénat pour être confirmé au poste de secrétaire d’État, Marco Rubio n’avait pas hésité à déclarer: « L’ordre mondial d’après-guerre a été une arme utilisée contre nous. Une nouvelle fois, nous sommes appelés à créer un monde libre à partir du chaos »
2. De Londres à Paris en passant par Djedda
Le 2 mars, quelques jours après le traquenard posé par le président US dans le Bureau ovale, tandis que Poutine se gargarise de la déconvenue du président ukrainien, le premier ministre Britannique accueille, à Londres, Volodymyr Zelenskyi et une coalition de 15 dirigeants européens, déterminés à apporter leur accord à des garanties de sécurité pour Kiev face à la Russie. L’objectif est aussi de proposer une trêve “dans les airs, sur les mers” et l’arrêt des frappes sur les “infrastructures énergétiques”. L’Europe semble se réveiller.
Dans la dynamique de ce Sommet, 37 chefs d’état-major d’armée (ou leur représentant) se réunissent le 11 mars 2025 à l’Ecole militaire de Paris. Ordre du jour : les garanties de sécurité à offrir à l’Ukraine pour permettre une paix durable, à commencer par encourager le maintien d’une armée ukrainienne forte. « Les chefs d’état-major ont convenus de partager ces options avec leurs autorités politiques pour, dès le 15 mars prochain, à l’occasion de la visioconférence organisée par le Royaume-Uni, lancer la planification du dispositif choisi entre les armées de pays volontaires ».
Ce même jour du 11 mars, une nouvelle rencontre destinée à remettre les pendules à l’heure a lieu à Djedda entre les conseillers de Zelenskyi et les émissaires américains pour avancer sur les conditions d’une trêve. Objectif, faire accepter par les deux belligérants la mise en place d’un cessez-le-feu provisoire immédiat de 30 jours, sous réserve de l’acceptation de la Fédération de Russie. Ici c’est du sérieux à indiqué le conseiller de la Maison Blanche Marco Rubio à l’issue de la rencontre, se félicitant de l’accord des Ukrainiens . « On n’est pas à la TV » a-t-il conclu. Une pique ironique rattrappant la perversité malveillante régnant dans le Bureau ovale dont tout le monde se rappelle le caractère clownesque de téléréalité.
Mais après ce réchauffement venu au milieu du désert d’Arabie, un coup de froid survient, venu de Moscou. Poutine marque sa quasi hostilité au projet d’accord entre l’administration de Washington et Kyiv et refuse la stratégie de l’apaisement souhaitée par Zelenskyi et l’UE. Le chef du Kremlin veut retarder la paix aussi longtemps que possible. De son côté, l’Europe ne veut pas attendre le bon vouloir de la Russie. Moscou doit s’asseoir à la table des négociations. C’est le moment d’accepter un cessez le feu, insiste le premier ministre britannique Keir Starmer.
3. La complicité américano-russe
Phénomène inédit depuis la fin de la derniere guerre mondiale, cet ensemble d’évènements, ces croc-en-jambes, ces chantages, expriment un changement complet et rapide de la géographie diplomatique internationale. Ils traduisent un basculement total de nos sociétés et le renversement spectaculaire des alliances. Le monde des Frontières et des Empires est de retour avec une plongée de plus d’un siècle en arrière. Nous sommes rattrapés par l’esprit tribal des autocraties sans considération pour l’intérêt des nations. Ils marquent à l’évidence l’alignement des Américains sur le logiciel du Kremlin et la perspective inquiétante d’un arrêt de l’Alliance Atlantique. En s’adaptant aux oscillations brutales des idéologies, la versatilité du président US s’accorde de façon inédite à la radicalité du plus vieil ennemi de l’Amérique. Sur le chaine CNN, l’idéologue russe Alexandre Douguine explique que Poutine a enseigné à Trump comment mettre en cause le statu quo, les idées reçues, les principes totalitaires du mondialisme à la russe. « Poutine et Trump coïncident dans leur point de vue selon lequel l’ordre mondial doit reposer sur les grandes puissances et non sur le mondialisme libéral ».
A quelques exceptions près, de nombreux membres du Parti républicain opèrent également leur mutation vers la ligne pro-Russe. Les commentateurs politiques sont unanimes: Donald Trump est passé à l’Est ! Il a d’ores et déjà rejoint la cour des autocrates dont il admire la force. Bref, Trump qui s’est pratiquement autoproclamé « médiateur » entre l’Ukraine et la Russie, a choisi son camp. Il est dès lors mal placé pour prétendre stopper la guerre et rêver d’un prix Nobel. Son entente avec la Russie c’est contre l’Europe.
La normalisation des relations entre les deux autocrates est à l’ordre du jour. C’est la première fois dans l’histoire diplomatique qu’un état, l’Ukraine, est quasiment sommé de donner un mandat d’arbitre à un autre état, les USA, pour négocier, avec un tiers : la Russie. La complicité des deux puissances se traduit de façon inédite. Les services de renseignement CIA et FSB semblent décidés à unir leurs informations secrètes et travailler ensemble. Trump est celui qui a mis fin aux cyberattaques américaines contre la Russie, rendant les États-Unis vulnérables aux hackers russes. Les journalistes évoqueront-il bientôt dans leurs bulletins de guerre les avancées des forces russo-américaines contre les positions ukrainiennes et les pôles de sécurité européens ?
Un homme exceptionnel Churchill qui a laissé son nom dans l’histoire de la guerre tenait un jour ses propos : « Quand on veut la paix au prix du déshonneur, on a et le déshonneur et la guerre ». Nous en sommes là, lorsqu’on se préoccupe des erratiques manières qu’utilise le président US de prétendre organiser la paix en Ukraine. En considérant ces premiers jours de réunions, celle du bureau ovale d’abord, puis le Sommet de Londres, la rencontre de Djedda et la réunion des états majors à Paris, il ne fait pas de doute que Washington, dont l’intention est d’accélérer le processus qu’il a enclenché, souhaite que la Russie s’impose. Il est clair que la négociation conduite par le président américain penche en faveur de la Russie et des conditions réclamées par Poutine, soit la capitulation de l’Ukraine qu’il a promise au chef du Kremlin.
Un pas dans cette direction est accompli par l’administration de Washington sous la forme d’une pression exercée sur le président ukrainien pour qu’il accepte de signer un « deal » avec les États-Unis garantissant un accès américain aux ressources minérales stratégiques de l’Ukraine. Pour celui qui se présente comme un médiateur et entend conduire des négociations justes, voilà un comportement qui s’apparente plutôt à une extorsion. Refus immédiat du chef d’État ukrainien. Les États-Unis n’ont pas proposé de garanties suffisantes sur leur rôle à venir pour assurer la sécurité ukrainienne et protéger la population. Pour Zelenskyi, l’offre est déséquilibrée. Il sait d’expérience que jamais, au cours de leur guerre, les Russes n’ont respecté les cessez-le-feu. Trump lui n’en a cure. La punition ne se fait pas attendre. Internet à l’Ukraine. En suspendant son aide militaire au commandement ukrainien et en coupant les capacités de renseignement des satellites Starlink d’Elon Musk, le prétendu arbitre Trump se rend complice du meurtre de nombreuses vies ukrainiennes. En effet, sans le renseignement US, l’Ukraine ne peut plus cibler les mouvements des troupes russes. Ces dernières ont dès lors toute latitude pour atteindre les cibles civiles sur le territoire ukrainien. Grâce au lâchage des Ukrainiens par Trump, le Kremlin a ainsi le temps de se réarmer. Sentant une ouverture, la Russie profite du dénuement soudain causé par l’arrêt des réseaux Starlink pour reprendre la poche de Koursk. La corrélation est parfaite. Privée de ses yeux et de ses oreilles, l’Ukraine ne peut plus riposter à la controffensive des troupes de Poutine. Grâce à cette reconquête, Trump aide Poutine à réaliser un objectif prioritaire : neutraliser les F-16 fournis à l’Ukraine par l’Europe mais aussi démanteler la logistique militaire américaine de son allié polonais.
A vrai dire, tout démontre que le Président américain ne s’intéresse pas au sort du peuple ukrainien. Il ne montre aucune empathie pour les civils femmes et enfants, victimes des missiles russes. Seul le concerne les gains qu’il peut tirer du cessez-le-feu qu’il espérait obtenir en quelques jours. Sans succès ! Atteindre ce but aurait pour unique avantage à ses yeux de conforter son « art du deal » dont il se vante. Make America Great Again. La paix qui l’intéresse est la paix du business, des terres rares d’Ukraine. Trump qui voulait rapidement régler la guerre en Ukraine pour faire valoir son talent de négociateur, a perdu son pari. La guerre en Ukraine devient une saga du kilomètre carré durable.
Dès lors, qui, dans cette négociation, peut encore avoir confiance en l’Amérique ? Certainement pas les Ukrainiens qui se voient trahis.
En lançant début avril, la guerre commerciale des taxes douanières sur l’ensemble de la planète, Donald Trump mène le monde dans l’inconnu. La planète entière est soumise aux calculs des tarifs à payer, sauf l’état russe, l’état coréen du nord. La pression est maximum. « Nous allons faire payer tous ceux qui profitent des Etats-Unis depuis des années. L’UE nous traite très mal. Elle nous entube ; Elle n’achète pas nos produits ». Tant que personne ne s’occupe des Russes, tant que Trump entend récupérer l’argent américain qui, à ses yeux, lui a été volé, aussi bien par les nations fortes que les nations faibles, aussi bien par ses alliés que par ses ennemis, cela arrange les affaires de Poutine sur le théâtre de guerre. Pendant que Poutine massacre les civils ukrainiens, Trump bouleverse l’économie mondiale et se vante de ses capacités à mener le monde à la baguette. « Le monde entier vient me courtiser…et me lécher le derrière » ose-t-il dire, apportant à son mépris une note obscène. Et toujours pas de cessez-le-feu!
Contrairement à ce qu’il veut faire croire, Trump n’est pas un homme de paix. Son comportement, ses actes sont ceux d’un homme qui ne respecte que les rapports de force et la virilité. Avec Trump l’agresseur a gain de cause. La victime ne compte pas. En pleine négociation sur le cessez-le-feu, il ne fait rien pour dissuader les Russes de bombarder les civils ukrainiens. En revanche, il leur facilite la tache. La situation est tragique.
Il semble difficile aujourd’hui aux Européens de s’évertuer à convaincre Trump que la guerre est horrible, car ce dernier s’en fiche. Trump qui souhaite, comme Barack Obama, recevoir le Prix Nobel de la Paix, semble en réalité plutôt aspirer par le Prix Nobel de la guerre.
4. Toujours pas de trêve : Poutine se moque-t-il de Trump ?
Depuis longtemps, la Russie se prépare à la guerre. La guerre est consubstantielle à l’identité russe. Sans guerre, Poutine ne survivrait pas, disent les spécialistes de l’Histoire russe post soviétique. Il a besoin de la guerre pour durer au pouvoir. L’analyse du Kremlin, c’est que la guerre en Ukraine est une confrontation de long terme. La guerre est son outil, un défi permanent lancé à l’Occident. Le Kremlin a besoin d’un ennemi. Son objectif est de démilitariser l’Ukraine, bref la posséder. L’ancien agent du KGB, qui cherche à se maintenir au pouvoir pour l’éternité, raisonne en tsar impérial voulant indéfiniment agrandir son vaste territoire. Conquérir toute l’Ukraine pour retrouver l’empire slave d’antan : les grands russes (la Russie), les blancs russes (Biélorussie) et les petits russes (l’Ukraine). Et dans un délai plus long, reconquérir ce qui composait le bloc de l’Est ( le Pacte de Varsovie).
La mémoire de la seconde guerre mondiale est très présente dans l’inconscient russe. Après la seconde guerre mondiale, la plupart des pays se sont réconciliés. L’Europe et son marché commun est le résultat de la réconciliation des belligérants. La Russie, elle, fait exception et se rejoue la scène du patriotisme contre le « Fritz » nazi, comme dirait Dmitri Medvedev, ancien chef de la Fédération russe. Depuis son accession aux marches du Kremlin, Poutine a intégré l’obsession russe de l’invasion en multipliant les agressions. 1939 : la Pologne et la Finlande. 1940 : l’Estonie et la Lituanie. 1956 : la Hongrie. 1968 : la Tchécoslovaquie. 1979 : l’Afghanistan. 1994 : la Tchétchénie (1). 1999 ; la Tchétchénie. (2) 2008 : la Géorgie. 2014 : la Crimée. 2015 la Syrie. 2022, l’Ukraine. La Russie n’a pas de frontières répète Poutine. Les Russes ont le droit de tout faire. Désormais les Russes parlent, sans pudeur, d’autres cibles, par exemple les pays Baltes, et même la Pologne, qui est prête à leur porter secours.
Sûr de lui, le président américain nouvellement élu en novembre 2024, pensait être capable d’échapper à la règle du souverain mépris de Poutine dont le but est de retarder la paix aussi longtemps que possible. Force est de constater que son projet d’obtenir le cessez-le-feu, limité aux infrastructures énergétiques, sous 48h, rencontre des difficultés. Les discussions, sont à l’état zéro. Le Kremlin marque sa défiance. Les conditions émises pour négocier tiennent de la provocation. Poutine veut mettre en scène le cessez-le-feu à sa façon, selon son bon vouloir. Il ne respecte rien, aucune règle, aucune loi. De son côté, Zelenskyi marque sa bonne volonté. Il accepte l’accord donné aux Américains sur l’exploitation des minerais et des terres rares discutée avec le président US. Aux yeux du businessman de la Trump Tower, cet accès aux ressources minières ukrainiennes n’est qu’une sorte de remboursement de l’aide militaire déjà versée à Kyiv par Jo Biden pendant l’invasion russe. « C’est un deal à la Trump. C’est rude» a fait savoir le gouvernement de Kyiv qui demande à Trump de s’engager sur des « garanties de sécurité » pour dissuader Poutine de se réarmer et de ré-attaquer l’Ukraine. Trump refuse de s’engager.
Steve Witkoff, agent immobilier et ami golfeur de Trump, totalement ignorant des pratiques en usage à Moscou, est dépêché sur place, la main sur le cœur, pour tenter de faire avancer le processus. Fi. Les Russes ne consentent à discuter que des aspects techniques du règlement ukrainien, tandis que Donald Trump appelle la fin rapide du conflit. Un cessez-le-feu non obtenu serait une défaite pour le « génial dealer « US. Résultat : deux mois après le début des négociations, aucun des pourparlers avec les responsables russes n’ont abouti. Pour signer le cessez-le-feu, Poutine exige, lui, l’arrêt intégral de l’aide militaire occidentale et le désarmement de l’Ukraine. On comprend assez vite que Poutine ne fera rien qui pourrait compromettre le seul projet qui vaille à ses yeux : réaliser la conquête totale de l’Ukraine. Trump voudrait régler la guerre en quelques jours et normaliser les relations avec le Kremlin. L’échéance électorale des « mid terms » le contraint d’aller vite pour être à la hauteur de sa réputation de « cow boy » à la gâchette rapide, et combler un électorat qu’il ne veut pas décevoir.
Poutine lui, joue sur le temps long- le temps de la guerre éternelle – pour rester au pouvoir, le temps de la Sainte Russie. Il peut se le permettre. Pas besoin de sondage, ni d’échéance électorale. La stratégie du pouvoir autoritaire est de faire trainer. Poutine le sait : » Moi je fais ce que je veux. Je continuerai cette guerre sans relâche. » Puisque Trump a déjà tout offert et valider sur un plateau, il ne reste plus au dictateur russe qu’à continuer sur sa lancée jusqu’au-boutiste.
Il semble dès lors qu’il n’y ait rien que Donald Trump puisse refuser à son nouvel allié. Poutine a bien perçu que le fier-à-bras Trump est un faible. Le Kremlin en profite pour augmenter d’un cran ses démonstrations de force.
Deux jours après la réunion entre Witkoff et Poutine, qualifiée de dialogue « entre gens civilisés« , deux missiles russes à sous-munitions s’abattent sur la ville ukrainienne de Soumy, lors du Dimanche des Rameaux, en pleine célébration religieuse.
« La version russe du cessez-le feu se résume à un Dimanche sanglant » s’indigne le Premier ministre polonais Donald Tusk, prenant acte du carnage. Au lendemain de ce massacre délibéré qui a fait 35 civils morts et 100 blessés, Trump justifie cyniquement le crime, excusant son allié russe : « une regrettable erreur du Kremlin !» alors qu’il n’y avait aucun objectif militaire dans les environs.
Arracher la trêve ? Force est de constater que Trump, sous emprise de Poutine, n’y arrive pas. Il a autre chose en tête, semble-t-il : changer la face du monde en imposant des tarifs douaniers exorbitants à la planète entière, quitte à saborder un partie de l’économie des Etats-Unis. Il n’aurait tenu à lui, de ne pas se laisser embarquer dans une guerre, décidée par la Russie et par l’Ukraine, à responsabilité partagée. À aucun moment il ne reconnaît ni ne condamne l’agression russe. Il insinue d’ailleurs que c’est Zelenskyi qui a commencé la guerre en 2022 contre la Russie. Il n’oublie pas que les oligarques l’ont soutenu dans ses affaires immobilières quand il était plus jeune en payant ses dettes de la Trump Tower. Il n’est pas loin d’adhérer à la propagande russe.
En épousant de façon stupéfiante la cause de la Russie, qu’il juge agressée à tort par l’Occident, le « médiateur Trump » devient le porte-parole zélé du Kremlin. La victime, c’est la Russie. En bon nouvel associé, il plaide la cause de Poutine, victime à ses yeux d’une chasse aux sorcière injuste, comme lui-même l’a été par son prédécesseur, l’ex-président Jo Biden. Séduit par le virilisme poutinien, le new sherif in town reprend à son compte le narratif de l’ex-officier du KGB. L’administration américaine se range délibérément derrière l’idée que les Russes, injustement défiés par l’Ukraine et l’Europe, sont les défenseurs de la paix, alors que l’Ukraine et l’UE sont les seuls responsables de la guerre. Une fois de plus, l’inversion victimaire délirante joue à fond.
Si le cessez-le-feu coince cela sera la faute de l’Ukraine et ses partenaires. Le coupable, c’est le Président Zélenskyi laisse entendre Washington. L’OTAN en prend pour son grade. Trump menace de ne plus apporter son soutien, sa force militaire et son argent à l’alliance de la défense collective occidentale qui unissait Américains et Européens depuis 1949. La fiabilité de l’Otan s’en trouve amoindrie. Trump a torpillé l’Alliance atlantique. Il a sabordé politiquement le pacte de défense collective. Preuve supplémentaire de sa duplicité, Trump est en revanche sensible aux offres de Poutine qui, fort de son alliance avec le régime des mollahs de Téhéran, lui fait croire qu’il peut lui arranger un accord avec le régime de Khamenei, concernant le démantèlement du programme nucléaire iranien.
La scène de l’humiliation du bureau Ovale traduit la haine qu’éprouvent Trump, et son vice-président J.D.Vance, à l’égard du président de l’Ukraine. Zélenskyi doit dégager.Pour le locataire de la Maison Blanche, Zelenskyi est un obstacle qu’il faut éliminer. Trump s’associe à un objectif majeur de Poutine, remplacer Zélenskyi à la tête de l’Ukraine par un homme lige de Moscou, qui soit un businessman. On se souvient que des hommes de Poutine, infiltrés en Ukraine, ont à plusieurs reprises, tenté des attentats contre le président ukrainien. Il est clair qu’en inversant ainsi la réalité et en tronquant la vérité, Trump a choisi le camp russe. L’administration Trump envisagerait de reconnaître unilatéralement l’annexion de la Crimée par la Russie et finalement de laisser Poutine faire son œuvre du destin de l’Ukraine. Il n’ose par le dire ouvertement mais il s’en fiche, car il n’y a, selon lui, rien à y gagner. Il n’y a rien à attendre d’une petite nation. Seul comptent les empires. Trump se plaint toutefois du peu d’efforts consentis par Poutine pour avancer dans la résolution du cessez-le feu de 30 jours, négociés entre les deux hommes. Le maitre du Kremlin n’aime pas se faire dicter son tempo. Lorsque le conseiller Rubio déclare à l’issue de sa rencontre en Europe, « si la paix n’est pas possible, alors nous passerons à autre chose ».
Poutine décide de reprendre la main en donnant des gages de bonne volonté et dit-il « d’humanité » en présentant un cessez-le-feu de 30 heures pendant le week end de Pâques. Une fois de plus, la perversion diabolique du tyran de Moscou est au Rendez-vous. Une « trêve » signée Poutine, ne peut être qu’une opération marketing avec une bombe dans la main. Le cessez-le-feu n’est pas respecté. Le pompier pyromane du Kremlin profite de l’accalmie pour continuer à bombarder les soldats Ukrainiens. Personne n’est dupe. Désormais, le choix trumpien se pose en ces termes : Trump est-il en train de se faire gruger par Poutine ? Ou bien est-il en train, volontairement, de fonder une véritable alliance économique russo américaine ?
Dans ce contexte de tromperie mutuelle permanente, il n’est plus du tout question de livrer des armes à la victime ukrainienne, ni de soutenir les initiatives de l’UE, il est tout simplement question de laisser tomber l’Ukraine, devenu coupable d’avoir causé la guerre.
5. Morale de l’histoire. Le fou et le fort
C’est l’histoire en miroir de deux mafieux, sans morale, ni limite: Trumpolini et Poutino.
Entre business et connivences de circonstance; entre bluff et intimidation, ils disent tout et son contraire, annonçant une chose un jour et l’opposé, le lendemain. Utilisant des méthodes viriles et la mise au pas brutale des récalcitrants qui osent s’opposer aux maîtres…ces deux là, l’américain Trumpolini et le russe Poutino, ont des intérêts communs. Leur logiciel repose sur une gestion menaçante du temps qui passe et une instrumentalisation grossière des relations diplomatiques. Dans les palais du pouvoir, les deux dirigeants se retrouvent sur la nécessité dictatoriale, avec solidement ancrée en eux la conviction que leur volonté pouvait plier le réel à l’aune de leurs désirs. Pour le premier, au gré de ses foucades illibérales. Pour le second, dans le miroir éternel de l’idéologie. Mais, à la différence de Poutine qui enregistre au compteur des dizaines d’années d’expérience professionnelle des renseignements au KGB puis au FSB, Trump est un amateur qui n’a pas les codes et se laisse mener par son égocentrisme et abuser par son ignorance.
Les deux mafieux sont unis par le goût de la revanche contre ceux qui, un jour, se sont moqués de leurs ambitions ou les ont prétendument vexés. Côté Trump : il s’agit de chasser les losers du Parti Démocrate, les fonctionnaires fédéraux, et les juges qui le poursuivent. Côté Poutine: on en veut à l’Union Européenne, on déteste l’Otan et on veut détruire l’Ukraine. L’orientation des deux complices est commune : la croisade contre les démocraties libérales, vers un totalitarisme populiste autoritaire. Ils sont adeptes de la même rhétorique de l’inversion où l’axe du mal devient l’axe du bien, l’agresseur devient l’agressé et la victime est le coupable. A celui qui abondera dans l’outrance, l’insulte ou l’intimidation.
Tous deux éprouvent la même détestation de Zelenskyi. Le président ukrainien est à leurs yeux «un petit dictateur va-t-en guerre». « Ce n’est pas bien de s’en prendre à plus grand que soi, » dit Trump qui n’accepte pas que Zelenskyi lui tienne tête. Zelenskyi n’a, selon lui, pas de légitimité. Il est corrompu. C’est un loser. Il a détourné l’aide militaire occidentale, trompé l’administration Biden. Il ne veut pas d’une Ukraine qui résiste avec, à sa tête, un chef courageux, qui force, depuis trois ans, l’admiration des Européens, et défend son pays avec dignité. Poutine lui, n’a de cesse de répéter que le président ukrainien est un nazi (alors qu’il est juif par son père). Tous deux veulent s’en débarrasser et le remplacer à la première occasion. Une petite différence tout de même. Le mafieux US se fiche de savoir comment la guerre en Ukraine va se terminer. Le mafieux du KGB-FSB, lui, serait ravi de voir l’entité Ukrainienne disparaître à jamais.
Trump et Poutine ont en commun la mégalomanie « Make America Great Again » pour l’un, et la fierté d’être à la tête de l’état le plus vaste de la planète pour l’autre. Ils estiment d’un même élan que ce sont les rapports de domination sur leur voisins qui doivent régir leur sécurité. Ils ne connaissent que les rapports de force et embrassent la même vision impériale. Leur objectif à peine caché serait de se partager les richesses du monde et de s’ériger en puissances coloniales. Les deux autocrates sont expansionnistes. Cela consiste, par exemple, à s’en prendre à leur « étranger proche » dans le but de les annexer à terme. Ce que réclame Trump pour sa sécurité : le Canada, le Groenland, et leurs avantages économiques. Ce qu‘exige Poutine pour sa sécurité: toute l’Ukraine. La Crimée, il l’occupe déjà. A terme, ce sont tous les pays voisins de l’ex sphère soviétique (Géorgie, Pays Baltes, Moldavie…et autres) que Poutine préempte, tandis que Trump s’apprête à mener la guerre des Tarifs douaniers contre plus de 180 nations à qui il ordonne de payer un minimum de 10% de frais douaniers jusqu’à plus de 100%.
Versatile et imprévisible, Trump peut changer d’avis le jour d’après. Il est capable de désavouer ses propres services et de donner raison à celui qui, hier encore, était un adversaire résolu. Sait-il seulement où il va? Le plus bel exemple de versatilité trumpiste s’exprime à travers les changements de ton permanents de l’administration de Washington. Poutine, lui est immuable sur ses lignes rouges menaçantes. A l’évidence, ni la Russie de Poutine, ni les Etats-Unis de Trump ne sont des nations normales quand on analyse la personnalité perverse de leurs deux dirigeants : Trampolino est le « fou » et Poutine joue « le fort ».
On a dit tant de choses sur les humeurs bouffonnes du Président américain: son caractère erratique, son outrance vulgaire et sa névrose de l’inversion. Imprévisible, mégalomane, calomnieux, inculte, le président américain est un cas de folie. Il met plus d’énergie dans le fait de rendre une image de ce qu’il veut être que dans la chose faite. Il est dans une bulle cognitive. Il créé sa propre réalité. Il croit en lui même. Le narcissique exagère ses faits et gestes pour être au centre de l’attention. Son comportement de pervers narcissique a attiré l’attention du monde entier à cause de ses déclarations et actions qui visent à flatter son ego, à dégrader le langage politique tout en manipulant l’opinion. L’ex-producteur de Téléréalité est un produit caricatural des médias sociaux. Il ne raisonne pas. Il sent, il flaire. Trump est en réalité un piètre négociateur qui, dans ce jeu de dupes ou de poker menteur, se fait enfumer sans jamais n’avoir levé le ton contre l’homme fort du Kremlin. Par sa versatilité et sa violence, il introduit le chaos dans les relations internationales. Son jugement est emprunté aux infos de Fox News et des réseaux sociaux.
Comme l’écrit le philosophe Michel Eltchaninoff, in Philosophie Magazine. « c’est bien une version grotesque de lui-même que Poutine a créée en parlant de Trump: brutale, vulgaire, bouffonne et débridée. Cela lui permet, par contraste, d’apparaître comme un dirigeant rigoureux, rationnel et raisonnable. » Le profil poutinien est celui d’un chef d’état obsessionnel replié sur lui-même, éloigné des technologies et coupé du monde ». Son information provient de son entourage et des rapports des services secrets. La psychorigidité, la pensée monolithique, la méfiance sont les traits de personnalité du paranoïaque. Le paranoïaque a toujours raison, il est dans la toute-puissance. En évoquant régulièrement l’usage de bombes nucléaires tactiques contre des cibles ukrainiennes ou occidentales, à des fins de « dénazification », Poutine correspond assez bien à la définition. Si l’on ajoute sa phobie des épidémies, sa crainte des voyages en train et en avion, ses exigences de distanciation sociale, Poutine « ne se sent pas en sécurité ». Poutine utilise aussi des sosies et fait contrôler sa nourriture par peur d’un empoisonnement. Il redoute la possibilité d’un assassinat causé par ses propres sujets ». Mégalo, paranoïaque, Poutine est aussi manipulateur. Poutine fait attendre ses interlocuteurs dans le salon et les met en position de demandeur, il établit un rapport de force pour les mettre en infériorité. Ainsi, il balade Trump et teste les limites de son interlocuteur, par exemple sur la question du cessez-le-feu. Quand il sent qu’il peut enfoncer le clou, il se lâche.
Quand Poutine fait apposer, au cœur de Moscou, une vaste affiche à l’adresse des Américains, « Nous sommes ensemble », bien avant que le cessez-le-feu soit décidé, bien sûr, il se moque de Trump mais l’autre ne s’en aperçoit pas. Il est convaincu de la sincérité de Poutine. Difficile pour le président US qui n’a aucune compétence pour gouverner de contrer celui qui, possédant la mémoire de l’histoire et l’expérience géopolitique, des renseignements secrets et des conflits, maîtrise la situation. L’opinion moscovite se gausse. Trump croit que cette assertion est vraie. Poutine se moque : « j’ai prié pour que Trump survive à son attentat » a-t-il fait savoir au lendemain de la tentative d’attentat à Butler (Pensylvanie). Il le flatte le courage de Trump. L’intention à peine cachée de Poutine est de ridiculiser Trump qui est à la peine pour tenir ses promesses de cessez-le-feu. Lors des échanges téléphoniques, il se plait à le faire attendre pour mieux le plumer. « C’est bien qu’ils se parlent » disent les optimistes. Le problème est qu’en réalité, ils ne se parlent pas, ils s’admirent, mais le fort l’emporte sur le fou. Ils se mentent dans le but, pour chacun d’entre eux, d’asseoir leur pouvoir. Le jeu est celui du Poker menteur. A la différence de Trump et de son équipe qui agissent en amateurs, ignorants du monde, Poutine et ses conseillers, notamment Serguei Lavrov, montrent leur professionnalisme. Ils sont capables de faire avaler des couleuvres à Trump. Poutine n’a de cesse de rappeler devant un Trump fébrile, pressé d’avancer dans la négociation d’un cessez-le-feu qu’il peine à obtenir, que la Russie a le temps pour parvenir à ses fins. Le maître du Kremlin se satisfait déjà de discuter d’égal à égal avec l’autre grand pays. Il voit dans cette union, un permis d’aller plus loin dans la guerre, le moyen de faire capituler l’Ukraine. L’homme d’affaire Trump se satisfait lui, de négocier sur des sujets commerciaux: « faire de grosses affaires, faire fortune ensemble, partager certains avoirs. Le sort de l’Ukraine, les crimes de guerre, les 30 000 enfants déportés, il s’en fiche.
Selon le Wall Street Journal, les États-Unis souhaiteraient l’annexion de la Crimée par la Russie pour parvenir à un accord de paix durable en Ukraine. Faute de quoi, Trump menace d’arrêter toute négociation. En cette fin du mois d’avril 2025, toute la pression repose sur le dos de l’Ukraine. Pour le président ukrainien, ces injonctions ne sont pas négociables. Pas question de céder sur la Crimée annexée par la Russie en 2014 et de vivre sous le joug de la menace russe. La Crimée est constitutionnellement attachée à l’Ukraine. Par cet abandon et le cadeau fait à Moscou, la réputation de Trump et celle des Etats-Unis restera entachée du sceau de la trahison. En réalité, en menaçant de se retirer de la négociation sur l’Ukraine, Trump a perdu son pari d’arrêter la guerre. C’est une défaite pour l’homme fou qui se dit plus fort que le fort..