1 juillet 2025

American suicide

La cause de l’effondrement des grandes civilisations, écrit l’historien Arnold Toynbee, est le suicide. A lui seul, coupé de ses alliés naturels, Donald Trump est en train de porter atteinte à son propre pays. Il incarne une entreprise de destruction massive de l’état américain 

Il fait le ménage, à coups de purge, dans la fonction publique, l’université, et dans l’état major de l’armée. Dans le même temps, mettre à bas la justice fédérale, casser l’état de droit et diffuser la haine de la démocratie à travers le monde. La vengeance de Trump sur les élites ne s’en tient pas là. Le monde de la culture, et de la science, catalogué plutôt « démocrate » subit aussi des dommages.. L’Amérique dont les succès économiques et la richesse  viennent de l’innovation, en grande partie financée par les fonds militaires, voit ses moyens de recherche réduit, en particulier dans les domaines du climat et de la santé – le responsable des vaccins Peter Monks – se voit contraint de démissionner de la FDA -, et du climat. Une liste des recherches acceptables et des recherches à bannir  a été dressée. Des dizaines de milliers de bourses d’étude sont supprimées et une grande quantité de scientifiques perdent leur emploi et leur statut. Beaucoup se voient obligés de s’exiler pour pouvoir poursuivre leurs travaux en Europe.  Cela porte un coup terrible au progrès de la connaissance et risque d’affaiblir gravement l’influence des Etats-Unis dans des secteurs clés.

Si le gouvernement de Donald Trump affirme œuvrer pour la paix, il engage, trois mois après avoir été élu à la Maison Blanche, une guerre d’un autre genre, pouvant être tout aussi désastreuse : une guerre fiscale passant outre l’organisation mondiale du commerce, jetant par dessus bord l’ensemble des règles du libre-échange.

La guerre des taxes douanières

En lançant début avril, la guerre des taxes douanières sur l’ensemble de la planète, Donald Trump conduit le monde vers l’inconnu. La planète entière est soumise aux calculs des tarifs à payer, exceptions faites de l’état russe et l’état coréen du nord. La pression est maximum. « Nous allons faire payer tous ceux qui profitent des Etats-Unis. L’UE nous traite très mal. Elle nous entube ; Elle n’achète pas nos produits ». Tant que personne ne s’occupe des Russes, tant que Trump entend récupérer l’argent américain qui, à ses yeux, lui a été volé, aussi bien par les nations fortes que les nations faibles, aussi bien par ses alliés que par ses ennemis, cela arrange les affaires de Poutine sur le théâtre de guerre. Pendant que l’ex-KGB massacre les civils ukrainiens, Trump bouleverse la vie économique des nations et s’en vante comme un écolier qui détrousse ses camarades de récréation.  «  Le monde entier vient me courtiser…et me lécher le derrière » ose-t-il dire, apportant à son mépris une note « obscène ».  

Lors d’un discours très attendu, peu après le 1er avril 2025, le président américain annonce au monde entier « le jour de la Libération » pour l’Amérique, soit le jour de la vengeance financière et l’avènement d’un nouvel impérialisme expansionniste. Par son avidité mercantile, il entend rendre l’Amérique riche à nouveau.  « Notre pays n’a cessé d’être pillé par des pays amis et ennemis. On se fait avoir depuis 50 ans (…) Les secteurs de l’automobile et de l’acier ont beaucoup souffert, et ont été témoins avec anxiété des acteurs étrangers qui ont volé le rêve américain.  Promettant un nouvel « âge d’or » à ses concitoyens Donald Trump proclame une «déclaration d’indépendance économique» par la mise en place de nouveaux droits de douane dits « réciproques » à 185 nations,  incluant des taux de 20 % pour les produits importés de l’Union européenne et de 34 % pour les produits chinois. Les Etats qui tirent leur croissance des exportations, comme ceux d’Asie du Sud-Est se voient ainsi lourdement sanctionnés par cette entrée en vigueur massive des imposition de droits de douane selon un barème totalement farfelu, entre 10 et 100%. Il s’en prend lourdement à l’UE en exigeant d’elle 50% de droits de douane. Son objectif: récuper les milliards de dollars soit disant « volés » par les Européens dans le passé.

Face à pareil chantage, le monde reste sans voix.

Même les plus traditionnels alliés de l’Amérique sont menacés. Le déclenchement de cette guerre des taxes que le cabotin de Washington déclare peu après le 1er avril 2025 n’est pas un poisson d’Avril. Cette décision outrepasse les pouvoirs que lui confère l’IEEPA. Trump ne peut en effet invoquer la loi d’urgence économique de 1977 (IEEPA). Augmenter les surtaxes douanières relève d’une prérogative du Congrès. Ce faisant, il contrevient aux lois du commerce international. En infligeant des sanctions douanières différentes selon les pays, l’offensive illégale de Trump a non seulement pour conséquence de déstabiliser l’économie mondiale, elle a aussi pour effet d’occulter dans les médias la guerre qui sévit toujours en Ukraine.

Pour l’économiste américain, Joseph Stiglitz, Prix Nobel 2001, en déclenchant une hostilité commerciale tous azimuts, visant à faire rembourser les créanciers, le président nouvellement élu s’engage dans une profonde impasse. Tout en revendiquant être un homme de paix, il provoque le sentiment angoissant d’un monde « fini », borné et limité. Ce capitalisme de la finitude qu’incarne Trump « se caractérise par la privatisation et la militarisation des mers, un « commerce » monopolistique et rentier qui s’exerce au sein d’empires territoriaux, l’appropriation des espaces physiques et cybers par de gigantesques compagnies privées aux prérogatives souveraines, qui dictent leurs rythmes. » explique Arnaud Orain dans son ouvrage « le monde Confisqué » (Flammarion Janvier 2025).

Les menaces proférées contre ses alliés – la menace d’agression contre une partie du Canada ou la reprise du canal de Panama – ne sont pas de simples paroles en l’air. Trump, en bon « parrain mafieux », s’en prend aussi au Danemark : Malgré la discorde sur le Groenland que Trump souhaite annexer, « pour des raisons de sécurité tant défensive qu’offensive »  au grand dam de Copenhague, le Danemark se dit prêt à acquérir des F35A américains supplémentaires. Ces prises de guerre économique risquent non seulement de s’attirer la colère des habitants et riverains mais aussi de  nuire fortement à l’environnement diplomatique sur le long terme. « Make América Go Away » crient les habitants du Groenland qui ne veulent pas de GI sur leur sol. Le chantage trumpien aboutit à un sentiment  largement partagé : une bonne partie des pays de la planète confesse détester le régime impérialiste américain. Le boycott des produits US  est en cours dans certains pays comme le Danemark, la Norvège, la Suède, le Canada…)

Largement influencé par l’ambitieux président William McKinley, son modèle, faisant souvent référence à la période du Gilded Age ( l’Age d’or), époque marquée, à la fin du XIXème siècle, par  la création d’empires industriels,  Donald Trump poursuit le même projet de politique d’enrichissement, d’expansionnisme et de protectionnisme… et de corruption politique généralisée. William McKinley, mourra assassiné !

L’agressivité économique se retourne contre les entreprises US

Cette guerre commerciale pourrait jouer contre les Etats-Unis et alimenter un chaos que l’administration Trump semble dénier ou ignorer. La baisse de popularité de Trump s’étend. Plus de la moitié des Américains désapprouvent sa gestion de l’économie. Cette agressivité économique s’est retournée contre les entreprises US, provoquant un des plus graves krach boursier que les USA ont connu. En détériorant sa propre économie avec des surtaxes douanières effarantes, Donald Trump affole les marchés financiers.  Très vite, la Bourse de New York vire au rouge tandis que la bourse de Pékin est au vert. Le marché de Wall Street a ainsi perdu près de 5 000 milliards de dollars en deux jours.  La suprématie du dollar a chuté. Pour la majorité des investisseurs qui pensaient s’y être préparés, le désastre est bien plus grand que celui attendu.  Une forme de suicide pour certains, car la politique de plein emploi et la prospérité des entreprises prospèrant  dans les nouvelles technologies engagée par Biden n’avaient pas laissé l’Amérique en mauvaise santé économique. Les erreurs s’accumulent. Un organisme, le DOGE, créé par Trump pour virer les fonctionnaires jugés inéfficaces, se voit obligé de les réembaucher face aux difficultés qui s’amoncellent. L’armée US subit elle aussi les caprices et les colères de d’administration Trump. De nombreux chefs de l’état-major ont été sommés de s’en aller, mais personne à la hauteur pour les remplacer.  En s’en prenant aux  droits fondamentaux des immigrés, des étudiants étrangers, des personnes transexuelles, des fonctionnaires de l’éducation, et des citoyens de l’opposition , il ruine l’État de droit.

Les chercheurs de l’Université de Yale qui suivent sans relâche les dégats causés par l’administration Trump, affirment que la perte annuelle de pouvoir d’achat pour les Américains pourrait s’élever à près de 4000 dollars par ménage avec, à la clé, des licenciements en masse partout dans le monde, et forcément une chute de revenus non seulement pour les Européens ou les Asiatiques mais aussi pour les Américains eux-mêmes. Une récession est annoncée. Le dévoiement autoritaire de Trump, devenu le porte-parole de Poutine, et son alliance avec la Russie suscitent une forte inquiétude en Amérique. Le peuple américain laissera-t-il leur président conduire leur pays à la faillite? Qu’est-ce qui peut  arrêter les délires du parvenu orange de la Maison Blanche ?

Des signes montrent que le soutien des citoyens américains à l’équipe de la Maison Blanche est loin d’être important. L’opinion publique reste fortement pro-ukrainienne et anti-Poutine. L’atlantisme reste majoritaire chez de nombreux républicains et démocrates, lesquels pourraient bien reprendre la Chambre des représentants en 2026. Il a remporté moins de 50 % des voix aux élections. Le soutien avoué de Trump à Poutine risque de lui porter préjudice. 56% des citoyens américains trouvent que Trump est trop aligné sur Poutine. 55% des Américains sont pour mettre la pression sur les agresseurs Russes.  (Council on foreign relations. 18 mars 2025). 61% des Américains  affichent leur sympathie pour l’Ukraine et souhaitent que l‘Amérique continue de soutenir l’Ukraine.

Trump sait que le sort de son destin politique se joue aux échéances de mi-mandat, en 2026.

Ce rendez-vous est vivement attendu par les Américains dans le secret espoir de sa destitution. Certains crispations politiques pourraient d’ici-là contraindre sa dérive autoritaire. Qu’il s’agisse de la résistance des juges, des tensions au sein du FBI et de la CIA victimes de purges, de l’opposition de la toute puissante Federal Reserve, des vagues de contestation dans le camp du Parti Républicain irrité par des mesures économiques jugées dangereuses, ou encore du mécontentement chez les hauts gradés de l’US Army. En outre, il paralyse l’influence US dans le monde en coupant les crédits d’institutions  et d’organisations internationales reconnues, comme l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID)

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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