Alors que le chômage reste élevé en France, le faible recours au temps partiel semble signaler l’existence d’un gisement d’emplois sous-exploité, explique dans un rapport France Stratégie

Pour le vérifier, il convient d’abord de mesurer le « déficit » de la France en la matière par rapport à ses voisins européens. Il faut ensuite tenter de l’expliquer, notamment en analysant l’effet des poli- tiques publiques menées depuis trente ans, qu’il s’agisse de politiques familiales ou d’emploi. Enfin, il convient de cerner les activités où des marges de manœuvre existent pour un développement du temps partiel.

En France, 4,7 millions de personnes travaillent à temps partiel, soit 12 % de la population en âge de travailler. Cette part est inférieure de 7 points à celle des pays européens affichant les plus forts taux d’emploi. Un décalage d’une telle amplitude suggère qu’il y a là une réserve d’emplois et qu’une politique bien ciblée de promotion du temps partiel répondrait aux attentes de certaines catégories de population en même temps qu’aux besoins de certains secteurs d’activité. Or l’analyse montre que le déficit d’emplois à temps partiel en France est à relativiser. D’abord parce qu’il est en partie compensé par le fait que les femmes d’âge médian travaillent davantage à temps plein. C’est là le résultat de politiques publiques menées au cours des dernières décennies en matière d’emploi et de famille. Ensuite parce qu’en France, l’emploi à temps partiel et l’emploi à temps plein tendent à se substituer l’un à l’autre, contrairement à ce qui est observé en Allemagne par exemple, où les deux types d’emploi sont plus complémentaires.

En termes sectoriels, les écarts d’emplois entre la France et les pays les plus performants proviennent principalement de l’industrie manufacturière et du commerce. Le déficit d’emploi manufacturier est dû pour l’essentiel au moindre poids économique de l’industrie. Dans le commerce, il s’explique pour une part importante par des différences en matière de temps de travail : le taux d’emploi à temps partiel est effectivement plus faible en France que dans les pays à fort taux d’emploi mais la durée moyenne des temps partiels y est aussi plus longue. Les écarts se resserrent ainsi fortement quand ils sont mesurés non plus en nombre d’emplois mais en équivalent temps plein, ce qui réduit encore l’ampleur du gisement espéré.

La différence du taux d’emploi entre la France et ses voisin européens renvoie en grande partie au moindre développement du travail à temps partiel. Cette situation résulte de politiques divergentes menées au cours des dernières décennies. Nos voisins ont fait une large place au temps partiel, principalement occupé par des femmes. Ils ont ainsi pratiqué, de fait, une forme de partage du travail. La France a choisi de privilégier l’emploi à temps plein, avec une politique familiale qui facilite cette forme d’activité féminine. En outre, au début des années 2000, elle a réduit la durée légale de travail de 39 heures à 35 heures et supprimé les dispositifs d’allègements de cotisations sociales patronales sur le temps partiel. Ces mesures ont eu pour effet de stopper la progression de l’emploi à temps partiel qui s’était amorcée au début des années 1980.

L’enseignement de ces observations est qu’il ne faut pas surestimer le potentiel de développement de l’emploi à temps partiel. La prédominance du temps plein et des temps partiels longs a le caractère d’un choix collectif. Celui-ci est en cohérence avec une durée légale du travail plus courte qu’ailleurs et des politiques scolaires et familiales qui permettent de concilier engagement professionnel et responsabilités familiales. Certes, ces choix peuvent être remis en cause, notamment parce que les modèles de nos partenaires apparaissent plus favorables à l’emploi que le nôtre. Mais la cohérence de fait de notre modèle d’activité féminine conduit à relativiser les bénéfices à attendre d’une éventuelle inflexion.

Des marges de manœuvre existent néanmoins pour encourager le recours au travail à temps partiel aux deux extrémités de la vie active, pour les hommes comme pour les femmes. En lien avec la formation, il pourrait être un moyen pour les jeunes de s’insérer plus tôt et plus facilement sur le marché du travail. Pour les seniors, il permettrait une sortie plus tardive et progressive du marché du travail.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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