Pour la première fois depuis 1966, le monde argentin de la science dans son ensemble s’est prononcé contre la politique d’un gouvernement. Cela n’est pas survenu depuis la « Nuit des Longs Bâtons », en 1966, sous la terrible la dictature du Général Juan Carlos Ongania. Sept mille scientifiques et tous les organismes de ce secteur ont critiqué de façon très dure les politiques du gouvernement Macri envers la science.

Deux mois de gouvernement ont suffit à Mauricio Macri pour récolter le rejet de la totalité de la communauté scientifique. Plus de sept mille chercheurs de toutes les disciplines ont signé un document dans lequel ils critiquent durement ses principales mesures. « Un gigantesque transfert de fonds aux secteurs concentrés de l’économie », « un abus de décrets de nécessité et d’urgence, pour détourner le système démocratique » et « la persécutions idéologique menée par des organismes de l’État » font la partie des préoccupations que les scientifiques du Conicet, de l’Invap, de l’Inti, de l’Inta et les enseignants des universités nationales ont signifiées dans le document, qui continue de rassembler des signatures.

« Nous nous inquiétons parce que dans le pays s’est imposée une politique qui marche en sens opposé du développement national et dans laquelle les libertés individuelles se trouvent en danger », a expliqué à Página/12, Eduardo Dvorkin , docteur en ingénierie et responsable de l’Académie Nationale de Sciences Exactes, Physiques et Naturelles. C’est la première fois en 50 ans que la communauté scientifique se manifeste dans son ensemble contre un gouvernement. La dernière fois fut en réponse à l’intervention militaire dans les universités publiques pendant la dictature du Général Juan Carlos Ongania [1], connue comme « La Nuit des Longs bâtons ».

« Notre travail quotidien est construit sur les bases de la pensée critique », expliquent les scientifiques sur les raisons de la lettre, « raison pour laquelle nous ne pouvons pas regarder de côté, face à des mesures qui visent à mettre à terre des conquêtes sociales et populaires et à installer un discours endormant de consciences ». La conclusion, unanime, est que Macri mène « une restauration conservatrice dans le pays ».

« Il ne s’agit pas d’une revendication concrète, économique ou corporative du secteur », s’est expliqué Dvorkin, « c’est simplement la communauté scientifique qui prend position à propos de ce gouvernement ». Parmi les plus de sept mille signatures, se remarque celles de l’ex-doyen de l’université de Sciences Exactes, Jorge Aliaga, la directrice du Conicet Dora Ravin, l’ex-directeur de Flacso, Daniel Filmus, le biologiste Alberto Kornblihtt, prix Konex 2013 ; le mathématicien Adrián Paenza, le physicien Juan Pablo Paz, chercheur au Conicet et à l’ l’UBA ; l’ex-président du Conicet Roberto Salvarezza et l’expert en neuroscience Osvaldo Uchitel.

« D’un modèle qui visait le développement autonome, avec les universités, les centres de recherche et les PME comme base de la croissance, nous passons en deux mois à un modèle basé sur des multinationales, qui plus que développer le pays importent tout, licencient et par-dessus le marché ont reçu un énorme transfert de ressources », a résumé Dvorkin.

Parmi les mesures que le document souligne comme « alarmantes » se trouvent « la voie libre à des répressions brutales » comme celle d’Ezeiza contre les travailleurs de Cresta Roja et contre les travailleurs municipaux la ville de La Plata , capitale de la Province de Buenos Aires ; la « dévaluation et les promesses de libérer l’importation », parce qu’elles « génèrent les conditions de dépendance », et les « déqualifications typiques d’un gouvernement élitiste » à cause de qui plus de 25 000 fonctionnaires ont été licenciés. « Nous avons voulu poser comme axe central que nous les scientifiques nous ne vivons pas dans un monde isolé. Qu’il existe un lien entre le modèle de développement et l’activité scientifique. S’il n’y a pas d’intérêt dans le développement de l’industrie et dans la souveraineté, il n’y a pas de place pour le développement scientifique », a défini Filmus

État vs. Marché

Dora Barrancos, directrice du Conicet, a expliqué la préoccupation quant au non renouvellement des ressources liées à la carrière de chercheur scientifique du Conicet avec l’arrivée du nouveau gouvernement, situation qui a fini par se dénouer « de façon heureuse ». Le risque concernait les 860 nouveaux entrants de cette année, dont l’admission a été retardée jusqu’à cette semaine. Le financement de la recherche, de toutes façons, continue de déclencher les signaux d’alerte. La semaine dernière, plus de 300 scientifiques du Conicet se sont réunis en assemblée et ont choisi d’adhérer à la grève de l’Association des Travailleurs de l’Etat (ATE), en un groupe unifié de chercheurs, enseignants universitaires et mouvement des étudiants. « Les alarmes sont au rouge. Les licenciements et la nouvelle orientation à l’Arsat génèrent des inquiétudes sur la durabilité du développement scientifique. Pour les gouvernements néolibéraux la science a toujours été un luxe et non une politique de l’État », a souligné Dora Barrancos, qui a écarté que des licenciements aient eu lieu au Conicet.

« Nous avons connu une augmentation de 10% par an des inscriptions, fruit de l’expansion de la capacité à développer de la science à travers des ressources pour la carrière de chercheurs et les bourses. Cela a permis un développement extraordinaire dans plusieurs spécialités, qui a permis d’avancer sur des brevets importants pour le développement. Le ministre Lino Barañao assure que tout cela va continuer, mais si l’on tient compte du contexte général du gouvernement, nous avons de très fortes inquiétudes à nous faire quant au soutien que vont avoir ces politiques », ajoute-t-elle.

« Le néolibéralisme et la science sont en contradiction », affirme Barrancos. « Nous l’avons déjà vécu avec Martínez de Hoz [ministre neoliberal sous la dictature Videla] et pendant la période néolibérale du ménémisme. Il y a une grande inquiétude lorsqu’ en face on a un gouvernement à la tête duquel se trouvent des dirigeants venant de multinationales, éduqués dans des universités privées, qui ont comme plan de diminuer l’État », souligne Dvorkin. « Dans n’importe quel pays, pour croitre, il faut des investissements à long terme et en prenant des risques. Cela, seul l’État peut le faire. C’est ainsi dans tous les pays du monde. Aux USA, en Chine, au Japon, etc. Cette réalité que nous défendons, aujourd’hui est occultée au profit des multinationales », résume t-il.

Matías Ferrari pour Página 12
Original : « Toda la ciencia contra el neoliberalismo »
Página 12. Buenos Aires, 21 février 2016.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi. El Correo de la diaspora. Paris, 21 février 2016.

  • Notes

[1] Général Juan Carlos Ongania dirigeant de la junte militaire de juin 1966 à juin 1970 en Argentine, période dans laquelle met en place un ordre moral catholique extrêmement rigoureux, interdisant les mini-jupes, les cheveux longs et tout mouvement d’avant-garde culturelle, il fut coorganisateur du Plan Condor et grand admirateur du Père Georges Grasset fondateur de la Cité catholique

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

GEOPOLITIQUES, Le Magazine, Sciences et société

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