Monsieur le Président de la République de Pologne, démocratiquement élu, permettez à quelques citoyens français sans affiliation politique de retenir votre attention quelques instants. Ceci pour deux raisons l’une très ancienne, l’autre très récente.

En Mars 1982, après plusieurs semaines d’attente de vents favorables et grâce à une souscription publique en France, depuis une plage méridionale de l’ile danoise de Bornholm nous lançâmes dix mille « ballons libres pour la Pologne ». De simples ballons d’enfants gonflés à l’hélium qui traversèrent la Baltique, chacun emportant une petite pochette plastique transparente laissant apparaître le logo de Solidarnosc sur la première page d’une brochure en papier bible de quelques grammes contenant différents textes. Contre personne, sauf ses citoyens, la Pologne était « en état de guerre ». Le lendemain matin tous les médias de cette « démocratie » impopulaire dénoncèrent cette initiative non-violente de redonner la parole à ceux à qui on l’interdisait, six cent soldats furent déployés sur les plages pour récupérer ceux des ballons qui s’y étaient échoués. Ces médias étaient contrôlés alors par le pouvoir comme votre gouvernement veut le faire aujourd’hui en ayant entériné la loi sur les médias publics.

Si, à nouveau, nous reprenons la parole à propos de ce qui se passe chez vous, c’est aussi parce que dans un contexte où, après l’Espagne et l’Angleterre, liberté de conscience et liberté de parole sont en France cibles d’attaques meurtrières, ce qui nous rend plus sensibles encore au maintien de ces libertés dans toute l’Europe.

Pour la défense de ces libertés, des Polonais en France et en Europe occidentale surent répondre présent. Point besoin de remonter à Napoléon comme l’évoque votre hymne national : … Bonaparte nous a donné l’exemple comment nous devons vaincre. Rappelons-nous, en 1940, la présence de troupes polonaises pour défendre le territoire français, puis dès les débuts de l’occupation allemande l’engagement de nombreux émigrés polonais de toutes confessions et d’un large spectre d’opinions dans ce qui ne s’appelait pas encore la Résistance, et en mai 1944 la victoire polonaise de Monte Cassino.

Ces libertés, les vôtres et les nôtres, de conscience, de liberté de parole, de libre circulation des personnes et d’égalité de droits sociaux sont celles de cet édifice imparfait qu’est l’Union européenne qui ne se résume pas à un guichet pour subvention d’infrastructures.

Monsieur le Président, acceptez le constat qu’un petit ballon supplémentaire de citoyens français vous apporte:

 en rendant impuissant le Tribunal constitutionnel, vous menacez la séparation des pouvoirs;

 en assurant la mainmise du Parti au pouvoir sur les médias vous bafouez la liberté d’expression;

 en voulant contrôler la haute administration, vous et le PiS (Parti Droit et Justice) recréez l’État-Parti.

Ces mesures constituent un démontage de l’état de droit, une atteinte frontale à la démocratie.

Monsieur le Président vous êtes aussi Docteur en droit, raison pour laquelle votre ancien directeur de thèse a signalé que vous avez violé trois fois la constitution polonaise ; la Pologne et l’Europe, Monsieur le Président, n’ont pas besoin d’un Lyssenko du droit constitutionnel polonais. Nul ne met en doute que votre parti a démocratiquement et légalement gagné les dernières élections, cela ne vous donne pas la légitimité pour violer les règles de la démocratie polonaise. Ne soyez pas surpris Monsieur le Président qu’il nous semble important de soutenir ceux qui chez vous refusent ce démontage, le Comité de Défense de la Démocratie, et les magistrats qui refusent les intrusions politiques. Il n’y a pas besoin d’un Erdogan, fût-il catholique, au centre de l’Europe.

Les Lanceurs de ce ballon supplémentaire.
Catherine Agulhon, Amzallag Michèle, Marie-Claire Bégot, Jean-Pierre Biondi, Françoise Bovet, Christiane Caroli, Boris Dänzer-Kantof, Jorge Dos Santos, Anne-Pierre Hocquet, Yan de Kerorguen, Denis Limagne, Caroline Mangin-Lazarus, Jean Mariani, Jean-François Méla, Claire Patoux, Alain Prato, Isabelle Saint-Saëns, Suzanne Srodogora, Agnès Thouly, Bernard Wach, Georges Waysand, Marianne Waysand, Emmanuelle Wollman.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

A LA UNE, CITOYENNETE, Le Magazine

Etiquette(s)

, ,