Appelons-le Joseph ! Joseph ? Un mélange de Rouletabille et de… Philippe Merlant. Philippe Merlant est journaliste et acteur. Pendant deux heures, sur l’estrade du théâtre de la Contrescarpe, fort de ses 40 ans d’expérience de la presse et de journaliste engagé, il nous fait participer à une aventure mi-policière, mi-intellectuelle, rondement menée, avec la complicité de Joseph Rouletabille, le petit reporter du journal L’Epoque, habile et méthodique, capable de trouver « le bon bout de la raison ». Joseph s’interroge : Pourquoi les journalistes sont souvent du côté des pouvoirs ? Comment expliquer ce mystère de la défiance des publics dans le travail des journalistes ? Quelles sont les solutions pour regagner la confiance ?

Sur les traces du célèbre « petit reporter », après avoir enfilé sa casquette, et armé de sa loupe, Joseph alias Philippe Merlant commence son investigation, seul en scène, interrogeant successivement la responsabilité des magnats de la presse, des actionnaires, mais aussi des simples rédacteurs. L’enquête prend la forme d’une conférence dite « gesticulée », un genre inventé dit-on par Mark Twain qu’on appelait alors « Conférence d’après-dîner ». Autrement dit : un mixte de « stand up », de journal et d’auto biographie, en forme de spectacle. De boutades en traits d’esprits, d’anecdotes personnelles en moments d’émotion, de rappels historiques en petites analyses sagaces, Merlant y va franchement.

A l’aide de démonstrations sur six panneaux, il analyse les problèmes des collusions plus ou moins dangereuses entre la presse et le pouvoir et explique en quoi la fonction de recueillir, de trier et de vérifier l’information n’est pas de tout repos et connaît bien des manquements à l’éthique. En passant, il reconnait qu’il a fait lui aussi, au cours de sa carrière, des erreurs, n’hésitant pas à pratiquer l’autodérision. Joseph s’amuse de la vanité des grands reporters, de la bêtise des sondages, de la rivalité mimétique entre journaux et confrères, sans épargner les pseudo-reportages que les reporters ne peuvent plus entreprendre, faute de moyens.

« Joseph » Philippe Merlant mime un comité de rédaction avec la salle dans le rôle des membres de la rédaction. « Pas d’articles trop longs rappelle Merlant au public, je ne cesse de vous le répéter : les lecteurs n’aiment pas lire ». Ironique, la charge est sévère et c’est du « vécu ». Et Philippe Merlant de conclure sa mise en scène en invitant les journalistes à reprendre la question des enfants lorsqu’ils découvrent le monde et l’altérité en répétant : Pourquoi ? Pourquoi ? Un mot qu’on avait oublié

Sans complaisance Philippe Merlant n’est jamais méprisant. Car il aime son métier et explique en quoi la profession est aussi garante de la démocratie, n’hésitant pas à rendre hommage à la Loi de 1881 sur la liberté de la presse. Hommage aussi aux journalistes « citoyens » comme le regretté Bernard Maris, tombé sous les balles des terroristes, dans les locaux de Charlie Hebdo, hommage aux citoyens co-producteurs de l’information et, au passage, hommage à Place Publique dont Philippe Merlant est un des co-fondateurs.

L’ensemble forme un vrai travail de décryptage qui nous apprend beaucoup sur les ficelles du métier. C’est intelligent, c’est drôle, c’est bien brossé, le ton est juste, sans manichéisme, et Merlant a du talent ! Le courant passe avec la salle. Merlant et Rouletabille ont réussi leur mission : réconcilier les citoyens avec la presse.

* Un évènement organisé par ChtiMédias et le Réseau des anciens de l’ESJ LILLE.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

Catégorie(s)

Le Magazine, Médias et démocratie

Etiquette(s)

,