Le « moderne » monsieur Macron, ci-devant ministre de l’Économie déclarait récemment que les 35 heures n’étaient pas un tabou. Le parti Les Républicains débat actuellement d’une possible sortie des 35 heures, pour revenir aux 39 heures hebdomadaires, voire, dixit le libéral Fillon, au cadre européen des 48 heures, s’il revenait au pouvoir. D’où leur vient donc cette obsession des « 35 heures », 15 ans après leur mise en place, à la satisfaction de la plupart des entreprises et salariés ?

Sexe des anges

Les 35 heures, d’ailleurs largement assouplies, sont-elles le mal absolu dénoncé par certains, l’origine première de nos difficultés économiques, nous conduisant à la paresse ? Ou ont-elles, au contraire, permis une amélioration de l’emploi et une augmentation de notre productivité ? Chacun sort les statistiques qui alimentent ses convictions. Qui croire ? J’ai tendance à penser, pour ma part, que leur instauration a plutôt été globalement bénéfique. En termes d’emploi, elles n’ont sans doute pas donné autant de résultats que la gauche d’alors ne l’espérait et ne nous ont pas sorti du chômage de masse, mais c’est évidemment très difficile à calculer. La situation serait peut-être pire encore sans leur existence. Et il faudrait pouvoir mesurer tous les emplois induits par le temps ainsi libéré et la qualité de vie gagnée.
Mais, au fond, peu importe le succès ou l’insuccès des 35 heures. Là n’est plus le problème. Ce qui m’atterre, c’est que l’on soit encore en train de discuter de la juste durée du temps de travail comme du sexe des anges, alors que ce calcul horaire à de moins en moins de sens.

Création destructrice

Une fois de plus, nos politiques regardent avec nostalgie vers le passé rêvé des trente Glorieuses et de leurs schémas industriels bien bordés, alors qu’il leur faudrait imaginer les contours d’une société sans travail, où, le travail, du moins, ne tiendra plus la place centrale qu’il tenait dans les vies du XXe siècle et devra prendre des formes nouvelles et différentes.

Cette mutation est déjà largement en cours, mais Macron, Fillon et consorts ne semblent pas s’en apercevoir. Au lieu que de l’accompagner, ils cherchent à l’empêcher pour revenir à un statu quo ante impossible et selon des normes libérales dépassées.

Leur échappe-t-il que le chômage, depuis 40 ans, dans nos pays développés, n’est pas conjoncturel mais structurel, et que c’est pour cette raison qu’aucune politique économique n’en vient à bout ? Et si d’autres pays occidentaux semblent s’en sortir mieux que nous, c’est par des mesures en trompe-l’œil : abus du temps partiel en Allemagne, contrat zéro heure (!) en Grande-Bretagne, salaire minimum indécent aux États-Unis… Va-t-on résorber les 25 millions de chômeurs européens en travaillant 4 heures de plus par semaine ? D’où leur vient d’ailleurs cette idée tenace que si chacun trime plus, cela va donner du boulot aux autres ? Elle est peut-être juste en période de forte croissance, mais n’a plus aucun effet quand celle-ci est atone.
Ne lisent-ils pas les économistes, qui, de plus en plus nombreux, nous disent que le travail se raréfie inexorablement sous l’effet conjugué de l’amélioration de la productivité et de l’automatisation numérique qui gagnent tous les secteurs et détruisent beaucoup plus d’emplois qu’ils n’en créent ? La destruction créatrice schumpeterienne ne fonctionne plus et s’est inversée en création destructrice.

Ne voient-ils pas que le salariat traditionnel prend eau de toutes parts sous les coups de boutoir de la mondialisation, mais aussi parce qu’il ne correspond plus, dans ses modalités horaires contraignantes, justement, et ses formes hiérarchiques figées, aux aspirations des jeunes générations numérisées et adeptes du « temps réel » de l’Internet ?

Contradictions

Il faudrait enfin que nos dirigeants aient une vision un peu globale de l’avenir pour éviter de s’empêtrer dans des contradictions que le cloisonnement de leur pensée semble leur cacher (ou qu’ils font mine de ne pas voir, parce qu’ils ne savent pas comment en sortir). Au moment où l’on fait grand bruit autour de la COP21 parisienne, dont on ne pourra tenir les engagements qu’en réduisant nos activités économiques, est-il bien raisonnable de prôner plus de travail (pour les salariés) pour plus de croissance (pour les actionnaires) ?

Notre modèle social et économique est à repenser et à reconstruire sur des bases totalement différentes de celles qui ont favorisé l’expansion industrielle. Notre manière de contribuer au développement de la société, qui a pris pendant à peine un peu plus d’un siècle la forme du travail salarié taylorisé, est, elle aussi à réinventer. Ce n’est pas en se focalisant sur les 35 heures qu’on y arrivera, mais peut-être en se posant cette question, à mes yeux plus en phase avec notre réalité du XXIe siècle : comment travailler moins, pour produire moins et vivre mieux.

Au sujet de Bruno Tilliette

Bruno Tilliette est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef des revues Autrement, Management et conjoncture sociale et Dirigeant. Il tient une chronique régulière sur place-publique.fr depuis plusieurs années. Il est également auteur ou coauteur d’une dizaine d’ouvrages portant sur la communication et le management en entreprise, l’éducation et la formation ainsi que sur l’évolution de la société française.

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