Enseigné le plus souvent de manière fragmentée dans l’enseignement supérieur, le développement durable est une approche transversale qui nécessite de revoir la manière de former les jeunes générations à des comportements et pratiques responsables.

Comment casser les barrières disciplinaires pour sensibiliser les futurs managers aux enjeux de la responsabilité globale ? Quelles sont les nouvelles formes d’apprentissage susceptibles de coller aux attentes des « yers » qui souhaitent réconcilier l’économie avec la société ?

Aujourd’hui, les étudiants comme les enseignants ne doivent pas être seulement des consommateurs du savoir, mais aussi des producteurs et auteurs de ce savoir. Or, la structure de l’enseignement supérieur très verticale et hiérarchisée, ne prépare pas les professeurs à cette évolution et les place en difficulté face à l’accès de l’information qui circule à l’horizontal. Le monde universitaire est donc aujourd’hui doublement interpellé : par le monde économique qui a besoin de décideurs lucides et responsables, par les jeunes générations qui aspirent à une cohérence de vie.

Dans son nouveau livre « Tu seras un manager responsable, mon fils. Intégrer la RSE dans l’enseignement supérieur » Sandrine L’Herminier, membre du comité éditorial de Place Publique, propose de nouvelles voies pour une ouverture de la formation initiale à la RSE parmi lesquelles :

Faire plancher les étudiants autour de dilemmes éthiques

Emmanuel Raufflet, chercheur et spécialiste du développement durable à HEC Montréal, a beaucoup réfléchi sur les méthodes les plus efficaces pour enseigner aux jeunes la pensée critique. L’une de ses propositions est de faire travailler les étudiants autour de « dark side of business » : des études de cas pédagogiques qui présentent une vision plus sombre de l’entreprise.
« Il faut savoir que généralement les études de cas proposées dans les écoles de commerce cherchent à diffuser les meilleures pratiques des entreprises, c’est une vitrine de leur savoir-faire. Mais la crise économique et financière, la crise de valeurs que nous traversons, n’ont pas épargné les multinationales qui recourent parfois à des pratiques « moins louables » et peu visibles car elles rechignent à les faire connaître. Or, la production et l’étude de ces cas plus critiques présentent des problématiques très instructives pour les étudiants car elles développent leur réflexion et leur sensibilité à des enjeux éthiques » mentionne le professeur qui a mis en place un référentiel de compétences pour évaluer les étudiants autour de ces nouveaux enjeux.

Do you speak RSE ?

Jean Christophe Carteron, directeur RSE de l’école de commerce Kedge Business School est un homme pragmatique et engagé. Il est parti d’un constat tout simple : pour intégrer de nombreuses écoles, les étudiants doivent prouver qu’ils savent se « débrouiller en anglais » avec des tests comme le TOEFL, pourquoi ne pas appliquer ce concept au développement durable ?

Porté par la Kedge Business School, le « Sustainability Literacy Test » a donc vu le jour dans la continuité du Rio+20. Objectif de ce QCM : créer un standard reconnu à l’échelle mondiale afin que plus aucun étudiant ne sorte d’une école sans un socle de connaissances commun sur la transition énergétique ou la responsabilité des organisations.

Il s’agit plus d’un test de connaissances élémentaires -50 questions- que d’un test de compétences. Le réchauffement climatique, l’entrepreneuriat social, les règlementations, la finance solidaire, la biodiversité, l’économie circulaire… figurent parmi les thèmes abordées dans ce questionnaire actuellement déployé dans plus 260 universités dans le monde. Cet outil fait déjà des émules et pourrait bien être adaptée au monde de l’entreprise pour évaluer la culture RSE des collaborateurs et/ou des futures recrues lors d’un entretien d’embauche.

Des cours pour déclarer la paix économique !

Des cours sur la Paix Économique : c’est le module assez inattendu proposé aux élèves de troisième année de Grenoble Recolle de Management. La formation placée sous l’égide de Dominique Steiler qui dirige la chaire Mindfulness bien-être au travail et paix économique n’est pas anodine. « Nous avons élaboré ce cours en réunissant des experts d’horizons très divers : ethnologues, spécialistes RH, psychiatres, philosophes et spécialistes des sciences de gestion qui ont réfléchi et échangé autour de la notion de « paix économique ». Puis nous avons découpé ce module en trois parties distinctes : un travail sur l’intime (qui suis-je en tant que futur manager), l’interrelationnel et la paix économique. Les étudiants sont sensibilisés à la mise en place d’une logique du don et du partage, basée sur des tactiques et des stratégies de coopération ». Ce programme aide donc les étudiants à décoder le langage guerrier de l’entreprise, à en décrypter les mécanismes pour mieux les éviter, en partant du principe que l’homme est plus fondamentalement un être de relation que de compétition.

Youth you can ! Créer des comités de jeunes

La France bénéficie de jeunes extrêmement bien formés, adaptés aux contraintes post industrielles, rompus aux nouvelles technologies…et pourtant les élites tardent à leur confier des missions à responsabilité en maintenant un « plafond de verre » peu propice à l’innovation. La création d’un comité de jeunes (Youth Board) pourrait être une alternative, un brin provocante certes, mais originale pour donner un nouveau souffle à l’entreprise. Objectif de ce Youth Board : challenger les engagements et les décisions stratégiques prises par l’équipe du Comex. A chaque organisation de déterminer le poids et l’influence attribué à ce Comité de Jeunes. Celui-ci pourrait siéger au comité de direction, être consulté par l’équipe dirigeante pour échanger sur des sujets d’actualité, travailler sur des projets transverses : le digital, l’économie collaborative, les nouveaux usages. Ce comité pourrait réunir de jeunes talents repérés dans l’entreprise ou faire appel à des compétences externes – des étudiants – aux profils pluridisciplinaires en instaurant un processus de sélection rigoureux. Le bilan de ces échanges pourrait être retranscrit dans le rapport annuel de la société.

Les jeunes sont un formidable réservoir d’idées et d’énergie.

Ce sont aussi les usagers et les décideurs de demain. Les intégrer à la vision stratégique permettrait aux dirigeants non seulement de s’engager de manière originale sur le terrain de la diversité mais aussi de sortir des débats d’experts en mettant cette intelligence collective au service de la performance de l’organisation.

Plus globalement, le propos de ce livre est de démontrer que la formation dans les écoles de gestion et les universités doit passer d’une éducation de transmission de connaissances à une éducation de transformation.

La France pourrait saisir l’occasion de la tenue de la COP21 (Conférence sur le Climat – Paris 2015) sur son territoire fin 2015 pour impliquer l’ensemble des acteurs de l’Éducation Nationale et en particulier les jeunes à impulser le changement au sein du système éducatif. Cet événement important constituerait l’opportunité de bâtir des projets communs autour de l’intégration des questions de responsabilité dans l’enseignement supérieur.

Sandrine L’Herminier : « Tu seras un manager responsable, mon fils. Intégrer la RSE dans l’enseignement supérieur ». février 2015, prix 12 euros.
_Editions Yves Michel, collection Place Publique.

Dossier Jeunes : lire aussi

RSE : la formation des managers responsables passe par les bancs de l’école]

Le numérique transforme la condition éducative

Apprendre au 21è siècle par Frédéric Taddei (vidéo)

Quelle école pour demain ? les pistes de réflexion d’Olivier Crouzet (vidéo)

Interview de Bernard Gauriau : Contrat unique de travail : attention aux risques de précarisation

Nouvelles formes d’emploi : vers une remise en cause du CDI ?

Génération Z (Zapping), les rois de l’hyperconnexion arrivent !