En six mois, le cours du baril de brut a perdu 40 % pour se situer à 60 dollars, un niveau prévu pour durer un certain temps, d’après la majorité des experts… à moins de circonstances exceptionnelles (arrêt des livraisons de gaz de la Russie, embrasement généralisé au Moyen Orient, incendies de puits de forage off-shore…).

Une situation aussitôt accueillie avec satisfaction par les pays européens consommateurs, y compris la France, dont la facture énergétique représente toujours le fardeau le plus lourd de la balance du commerce extérieur. Mais on peut se demander raisonnablement, sans céder à l’esprit de contradiction, si cette chute du prix de l’or noir, revenu au plus bas niveau depuis cinq ans, constitue vraiment une bonne nouvelle.

L’érosion des cours du brut tient pour partie au ralentissement de la croissance économique en Chine, devenue la première puissance en termes de PNB, détrônant ainsi les USA. Une baisse de rythme qui permet de calmer la surchauffe de l’économie chinoise, ce qui en soi n’est pas négligeable. En revanche, la faible croissance si ce n’est la récession, accusée dans l’Union Européenne, autre facteur de réduction de la consommation de pétrole, ne peut pas être jugée comme une nouvelle agréable. Voilà pour la demande.

Tout aussi déterminant est l’accroissement de l’offre de pétrole. Et ce qui est le plus notable, et le plus novateur, c’est la contribution des pétroles non conventionnels. Tant décriés en France, les pétroles et gaz de schistes ont permis aux Etats-Unis d’atteindre cette année leur plus haut niveau de production de pétrole depuis 1972, époque où, faut-il le rappeler, l’Opep s’apprêtait à dicter sa loi sur le marché. Ce boom des schistes aura non seulement provoqué des effets incontestables sur l’environnement –une atteinte aux réserves hydrologiques- mais aussi gravement perturbé le marché mondial de l’énergie. Gavés de pétrole, les Etats-Unis ont ainsi pu exporter à prix cassés leur charbon qui est venu alimenter les centrales électriques allemandes -qui avaient été relancées par l’abandon du nucléaire décrété à des fins essentiellement électorales par Angela Merkel après la catastrophe de Fukushima en 2011- mettant aussitôt au chômage technique de nombreuses unités alimentées au gaz. L’impact sur les émissions de C02 ne s’est pas arrêté à la frontière germano-française !

Qui dit pétrole bon marché dit aussi moindre incitation à la recherche-exploration. Quand on sait qu’une période moyenne de huit à neuf ans s’écoule entre la prise de décision d’un investissement et ses (éventuels) résultats, le coup de frein donné aujourd’hui par les majors pétroliers à leurs dépenses –de 30 à 40 % déjà pour certaines compagnies- aura des répercussions indéniables sur l’offre future de pétrole. Dans ce schéma, les seuls gagnants seront les pays disposant de ressources facilement exploitables à faible coût (moins de deux dollars/baril) comme les monarchies du Golfe. Pour les pays consommateurs, le risque d’un nouvel envol du prix du brut constitue une hypothèse d’autant plus inquiétante que le pétrole n’a toujours pas de concurrent massif et total comme source d’énergie dans le domaine des transports.

Pour l’instant, du côté de la consommation, le danger serait plutôt, en pure théorie économique, d’une reprise des achats de produits pétroliers. Hypothèse d’école. Les Etats jouent sur le levier de la fiscalité pour inciter à l’économie d’énergie, et les taxes évoluant ainsi en France autour de 70 % du prix final à la pompe. Sur ce dernier point, le statu quo persiste. Qu’importe le niveau des cours du Brent ou du WTI sur les marchés du brut !

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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